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Réflexions d'un médecin de type 1
Jennifer P. Schneider, M.D. (Traduction par Fabien Chabreuil)

Apprendre l'Ennéagramme a été pour moi une surprise et une révélation. Cinq ans plus tard, je me souviens encore nettement du moment où, après avoir digéré les chapitres d'introduction du livre d'Helen Palmer L'Ennéagramme, j'ai tourné la page pour accéder au premier type qu'elle décrit, le 1 ; je me suis identifiée à son titre, le Perfectionniste, avant même d'avoir commencé à lire. À la fin de la lecture du chapitre, il n'y avait aucun doute dans mon esprit sur le fait que c'était la description de mon type. Et il n'y a toujours aucun doute. Une chose me troublait pourtant : je pouvais me retrouver dans tout ce qu'elle disait à propos du 1, à l'exception de la partie concernant la colère, la passion du 1. Pas moi, ai-je pensé, non seulement je me mets rarement en colère, mais je ne me sens quasiment jamais en colère.

Ce n'est que quand j'ai prêté attention à mon dialogue intérieur que, horreur, j'ai découvert le flot continuel de jugements, de ressentiments et d'indignation vertueuse. Oui, j'étais indubitablement du type 1, colère déguisée et tout le reste. Aujourd'hui, bien qu'étant beaucoup plus consciente de mon fonctionnement, je me surprends encore parfois en transe d'indignation vertueuse, refusant de céder parce qu'après tout j'ai raison et comment les autres peuvent-ils se comporter ainsi ! Mais je fais des progrès et généralement je peux reconnaître cet état de transe et rire de moi.

J'ai aussi réalisé très vite à quel point mon type 1 collait parfaitement avec ma carrière de médecin spécialisé en médecine interne. Mon sens des responsabilités, mes capacités d'organisation, l'attention que je porte aux détails et au suivi, la façon dont toute chose anormale me saute aux yeux, tout cela constitue des compétences indispensables dans ma spécialité médicale. Je me souviens avoir été désolé pour les psychothérapeutes dont le travail nécessite souvent d'écouter longuement leurs clients, de n'exprimer leur point de vue qu'indirectement, voire pas du tout, et de distiller quelques mots pleins de sagesse en laissant leurs clients trouver seuls la bonne chose à faire. Pas moi ! Dans mon travail, on m'encourageait, on attendait de moi que je dise carrément à mes patients ce qu'ils devaient faire pour leur santé et pendant des années, je l'ai fait d'une façon très directe :

"Si vous voulez maîtriser votre diabète, vous devez perdre quinze kilos et faire de l'exercice régulièrement." "Si vous continuez à fumer, vous prenez un risque grave de maladie cardiaque et de cancer du poumon. Parlons de la manière dont vous pouvez commencer à arrêter immédiatement." "La première étape de prévention de l'ostéoporose consiste à faire de l'exercice et particulièrement de la marche. Voulez-vous vous impliquer dans un programme régulier d'exercices de marche ?" "Votre pression sanguine est trop élevée parce que vous ne prenez pas vos médicaments. Vous devez prendre ces pilules chaque jour !"

Bien évidemment, il était très clair pour moi que ces recommandations indiquaient la bonne chose à faire, mais j'étais très consciente que mes patients n'en étaient pas aussi convaincus que moi. En fait, et la plupart des médecins peuvent l'attester, très peu de patients changent de façon significative leur style de vie, sauf sur le court terme. Les articles sur le syndrome d'épuisement chez les médecins sont basés sur cette réalité. Je me souviens d'un médecin qui nous disait :

"Une des causes majeures d'épuisement est que nous passons nos journées à donner des conseils judicieux à nos patients, que ceux-ci ne les suivent pas et que nous nous sentons frustrés et contrariés. La solution est de changer nos attentes. Cessons de juger notre valeur en tant que médecin en fonction des résultats. Au lieu de cela, reconnaissons que la seule chose que nous pouvons faire est d'indiquer au patient ce dont il a besoin ; ce qui se passe après est son problème. Considérez que vous faites un bon travail si vous dites systématiquement aux fumeurs et aux buveurs qu'il est nécessaire d'arrêter ; ne considérez pas que vous avez échoué s'ils ne le font pas."

Excellent conseil ! Pendant des années, j'ai été une admiratrice de la Reality Therapy du docteur William Glasser. Un de ses principes est que la cause principale du malheur est le décalage entre les attentes d'une personne et la réalité extérieure. Glasser suggère de changer vos attentes quand vous ne pouvez pas changer l'autre personne ou la situation. C'est exactement ce que dit cet avis donné aux médecins : vous vous épuiserez si vous espérez que les autres vont faire ce que vous dites parce que vous ne pouvez pas les contrôler. Orientez plutôt vos attentes vers quelque chose sur quoi vous avez le contrôle, à savoir vos performances.

J'ai fait cela et j'ai continué à apprécier mon travail. Pourtant apprendre l'Ennéagramme m'a montré des façons de persuader plus efficacement mes patients de suivre mes recommandations et donc d'améliorer à la fois mes performances et mes résultats.

Tout d'abord, cela a été une révélation pour moi de découvrir que tout le monde n'est pas prêt à faire quelque chose sous prétexte que c'est la bonne chose à faire ! Ce raisonnement ne convainc pas le 7 dont le but principal est de s'amuser, ni le 9 qui veut éviter l'inconfort physique, ni le 3 qui tient à utiliser efficacement chaque instant, ni le 8 qui ne veut pas laisser quelqu'un lui dire quoi faire, ni le 6 qui a peur du changement. J'ai réalisé qu'il fallait que je m'ajuste au type du patient dans l'Ennéagramme.

Ce n'est pas que je commence délibérément à chercher le type de toute personne qui entre dans mon cabinet ; je ne fais pas cela. Je suis très consciente de la difficulté qu'il y a à déterminer à distance le type d'une personne. Même les experts, par exemple, ne réussissent pas à s'entendre à propos du type du Président Clinton. Dans la plupart des cas, il faut être suffisamment proche d'une personne et pouvoir passer du temps avec elle en tête-à-tête de façon à lui poser des questions pertinentes. Cependant, j'ai quelques avantages. D'abord, beaucoup de gens trouvent stressant de se trouver face à un nouveau médecin, aussi sympathique soit-il, et le stress amène les gens à manifester plus fortement leur type. (Oui, je suis plus rigide quand je suis stressée…)

Ensuite, le rôle d'un médecin est perçu de telle façon que les gens s'attendent non seulement à révéler leur corps, mais aussi leurs pensées et leurs émotions. Des questions qui, dans la vie courante, seraient considérées inappropriées ou indiscrètes semblent parfaitement acceptables dans le cabinet du médecin. Cela me permet de vérifier une impression que j'ai pu avoir à propos du type du patient.

Tenir compte du type du patient est particulièrement utile quand je perçois un conflit quelconque entre nous, quand le patient manifeste son opposition à une action appropriée, quand je me sens mal à l'aise avec un patient ou quand je sens que le patient est mal à l'aise avec moi.

Un scénario habituel me vient à l'esprit à propos du type 8, le Chef. Dans le passé, de nombreux patients 8 ont été réellement gênés par mon style directif. Ils me défiaient et me faisaient savoir clairement qu'ils se sentaient responsables et que je me trompais si je croyais pouvoir mener l'interview.

Ces dernières années, j'ai modifié mon approche. Mon modèle de la relation docteur-patient a évolué et je la perçois désormais comme un travail en équipe. Le patient et moi avons le même objectif : optimiser la santé du patient. Dans ce but, je fais des suggestions, nous les discutons et les négocions, nous nous mettons d'accord sur un plan d'action et nous examinons les résultats lors des visites suivantes. C'est le schéma général mais la manière dont il est appliqué dépend de chaque patient. Quand je sens que le patient est de type 8, je peux dire : "C'est mon boulot de vous donner des informations et de faire des suggestions, mais vous êtes responsable de votre corps et, en dernier ressort, c'est vous qui décidez." Ceci aide à désamorcer une lutte de pouvoir potentielle. Ainsi, je me débrouille beaucoup mieux avec mes patients 8 et les fait s'engager plus efficacement dans des actions bénéfiques à leur santé.

À l'époque où je ne connaissais pas l'Ennéagramme, je me rappelle être entrée dans la salle d'examen où ma patiente, un proviseur de lycée, était assise dans une posture agressive et tenant à la main une liste de toutes les choses que j'avais mal faites lors des trois précédentes visites. Joanne m'a déclaré sur un ton impérieux qu'étant donné mes précédentes infractions, elle n'était pas disposée à suivre mes suggestions, quelles qu'elles soient. Je me sentais sur la défensive et n'avais qu'une envie, sortir de la pièce. Au lieu de cela, j'ai tenu bon et je lui ai dit : "Il est clair que vous n'êtes pas contente de mon traitement et vous semblez penser que nous ne pouvons pas travailler ensemble. Peut-être la meilleure chose à faire est que vous trouviez un autre docteur." La réponse de Joanne a été de reculer et de suggérer que, peut-être, après tout, nous pourrions travailler ensemble. Pendant plusieurs années après cela, nous avons eu une relation de travail efficace et cordiale. Rétrospectivement, je perçois que, dans cette interaction, je suis sortie de mon rôle de 1 de "gentille fille" et que je me suis dressée face à elle, une bonne stratégie pour résoudre les conflits avec une personne de type 8.

Passons à d'autres types. Parfois, quand je rentre dans la salle d'examen pour rencontrer un nouveau patient, je le vois assis avec les bras croisés serrés, les pieds sous la chaise, son corps pressé contre le mur comme s'il voulait disparaître à l'intérieur. Une expression anxieuse sur son visage renforce l'impression d'une personne ayant peur et très stressée de rencontrer un nouveau médecin. Quel que soit son type dans l'Ennéagramme, son comportement à ce moment-là rappelle un 6 phobique. Plutôt que d'aborder immédiatement son histoire médicale et ses problèmes de santé actuels, j'ai appris qu'il était plus efficace de commencer par commenter le fait qu'il est inquiétant pour la plupart des gens de changer de docteur et d'aborder ses craintes. Avec de tels patients, je donne aussi des explications supplémentaires sur ce que je fais et je veille à décrire précisément les effets secondaires et les complications potentielles des traitements que je recommande.

Un problème que je n'ai pas encore réussi à gérer efficacement concerne plusieurs de mes patients. Dans chaque cas, un mari autoritaire de type 8 accompagne à chaque visite une épouse obéissante (peut-être une 6 phobique, peut-être une 2 cherchant à lui faire plaisir, peut-être une 9 médiatrice) et parle à sa place. Il me dit quel est son problème, ce qui a fonctionné et ce qui n'a pas fonctionné. Si je m'adresse directement à elle, il répond à sa place. C'est lui qui téléphone pour exiger immédiatement une lettre d'introduction pour amener sa femme chez un spécialiste, c'est lui qui se plaint si quelque chose n'est pas fait à son goût. Une fois, j'ai demandé à un de ces maris de rester dans la salle d'attente et j'ai cru avoir une visite réussie avec ma patiente ; quelques jours plus tard, il m'a envoyé une lettre courroucée pour m'expliquer que sa femme avait oublié de me signaler divers problèmes, qu'elle avait tendance à oublier ce que je lui disais et que je comprendrais certainement que c'est dans son meilleur intérêt qu'il l'accompagnait durant les visites ; sinon, il lui trouverait un autre médecin. Ces maris se positionnent comme les protecteurs en chef de leur femme contre un monde hostile qui inclut, bien sûr, les médecins incompétents qui doivent être supervisés en permanence.

Ma patiente, l'épouse, est bien évidemment d'accord avec ce style d'interaction médecin-patient. Elle accepte avec plaisir que je discute de son cas avec son mari et semble heureuse qu'il prenne si bien soin d'elle. Pour moi cependant, ce scénario est très frustrant. J'ai essayé d'utiliser mon approche par équipe (décrite plus haut) et d'inclure le mari en tant que membre de cette équipe. Mais ces maris ne veulent pas faire partie d'une équipe ; ils veulent être le chef. Si des 8 lisent cet article, j'accueillerai volontiers toute suggestion de solution constructive !

Récemment, une de mes patientes, Miki, a essayé de se suicider. Lors des visites précédentes, Miki était habituellement accompagnée par sa partenaire de vie, Judy, qui était toujours inquiète pour elle et en prenait grand soin. Judy était aussi ma patiente et était généralement attentive à sa santé. Après la tentative de suicide de Miki, Judy est venue seule pour discuter de ses soucis à propos de la santé de sa partenaire. Judy a admis qu'elle négligeait actuellement sa santé parce qu'elle passait son temps à s'occuper de Miki ; elle avait perdu le contrôle de son taux de sucre dans le sang. Sachant que Judy était de type 2, mon approche a été la suivante : "Je sais que vous êtes très concernée par Miki. Mais si vous négligez votre propre santé au point de tomber malade, vous ne pourrez plus prendre soin d'elle. Un des meilleures choses que vous pouvez faire pour aider Miki est de reprendre le contrôle de votre diabète de façon à pouvoir lui consacrer toute votre attention." De toute évidence, le message a retenu son attention.

Dans ma sous-spécialité, la médecine des dépendances, je parle souvent avec des épouses d'alcooliques et de drogués. Beaucoup d'entre elles ont pris l'habitude de négliger leurs besoins pour prendre soin de leur partenaire dépendant. Initialement, il est difficile de dire si elles sont vraiment de type 2 ou si elles se conduisent ainsi à cause de leur propre problème de codépendance. Quoi qu'il en soit, une stratégie efficace pour les amener à participer à un groupe pour famille d'alcooliques organisé par Alcooliques Anonymes consiste à leur dire : "La meilleure façon d'aider votre mari est d'aller dans un groupe Al-Anon et d'apprendre des choses sur l'alcoolisme et sur votre rôle dans la maladie." Bien sûr, une fois là-bas, elles apprennent à cesser de prendre excessivement soin de lui, à prendre de la distance vis-à-vis du problème et à prêter attention à leurs propres besoins. Leur donner ce message dans mon cabinet ne les persuaderait certainement pas d'assister aux réunions et d'obtenir l'aide dont elles ont besoin, alors que le leur présenter comme un moyen d'aider leur partenaire retient leur attention.

Une autre patiente, Cindy, est venue me voir après avoir pris 15 kg en un an. Elle avait un surpoids de 50 kg et était très découragée. Elle avait "tout essayé" pour perdre du poids et "rien n'avait marché". Elle faisait religieusement des exercices pendant quelques semaines, puis se démoralisait et arrêtait. Elle faisait un régime strict pendant la journée et mangeait excessivement le soir. J'ai essayé diverses suggestions mais nous n'avancions guère et elle était au bord des larmes. Alors, j'ai décidé d'essayer une approche différente. J'ai posé à Cindy quelques questions à propos d'elle-même et en quelques minutes, j'avais la sensation qu'elle était de type 1. Alors, je lui ai suggéré que nous fassions une liste. (J'aime les listes et je pensais qu'elle les aimait aussi.) J'ai écrit quelques brèves suggestions concrètes concernant le régime, l'exercice et le groupe de soutien et je lui ai donné comme consigne d'appliquer tout ce qu'il y avait sur la liste pendant les deux semaines suivantes. Quand Cindy est partie, son humeur était passée du pessimisme à l'encouragement, et sa motivation était élevée.

Nirvana, une pianiste qui jouait la nuit dans un hôtel de luxe, est venue me voir un matin à cause de fréquents maux de tête. Elle avait de longs cheveux raides teints en noir, était très maquillée et habillée en noir des pieds à la tête. Elle était douce et sympathique. Elle s'est plainte de ne pas obtenir la reconnaissance qu'elle méritait, de ne pas être appréciée de son employeur qui la sous-payait. Le stress aggravait ses maux de tête. Après un examen qui s'est révélé être entièrement normal, j'ai passé le reste de la visite à l'écouter parler de ses rêves de carrière et du caractère unique de sa musique. Je lui ai donné quelques comprimés pour ses maux de tête et je lui ai assuré qu'il n'y avait rien de grave. Nirvana est revenue plusieurs fois depuis et chaque fois, nous avons passé la plupart du temps à parler de sa carrière et de ses rêves de reconnaissance. Je n'ai pas été capable de guérir ses maux de tête mais elle est convaincue d'être parfaitement soignée. Je crois que la raison en est qu'elle ressent que je comprends son angoisse, que je l'écoute réellement, elle et ses soucis, que j'apprécie son talent et ce qu'elle a de spécial. Comme le dit un de mes amis de type 4, "ce que nous voulons profondément est de nous sentir écoutés".

L'Ennéagramme m'est particulièrement utile quand je me sens coincée. Quand c'est le cas, je tourne mon attention vers le style de mon patient dans l'Ennéagramme et je modifie mon approche en conséquence. Plusieurs fois, j'ai été capable de sauver une situation difficile et d'aboutir à un succès, le patient et moi ayant l'impression que la visite a permis d'atteindre les buts du patient. Et que pourrait vouloir de plus un médecin de type 1 ?

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Jennifer Schneider, M.D. est un médecin qui pratique la médecine interne et la médecine des dépendances à Tucson (Arizona). Elle est l'auteur de Back From Betrayal : Recovering From His Affairs, et de Sex, Lies, and Forgiveness : Couples Speak on Healing From Sex Addiction. Elle peut être jointe au : 520-721-7886 ou par courrier électronique à l'adresse suivante : jschndr@azstarnet.com. Visitez son site Internet : www.azstarnet.com/~jschndr.