Scroll To Top

Bénéfices secondaires
Tom Condon (Traduction par Sandrine Beky)

"Tout ce que nous faisons, nous le faisons avec une idée derrière la tête."
Aristote

Avant même de commencer à vouloir changer quoi que ce soit au système de défenses de votre personnalité, il est bon de mieux comprendre quel est son fonctionnement et comment il opère.

La plupart d'entre nous avons des sentiments partagés quand il s'agit de changement. D'une part, nous voulons quelque chose de nouveau dans nos comportements et dans nos vies ; de l'autre, notre ego s'ingénie à maintenir le statu quo. Quand une personne va consulter un psychothérapeute pour recevoir une aide quant à un problème, en réalité elle dit : "Une partie de moi veut changer et une autre ne veut pas." Même si le problème rencontré par cette personne est douloureux, elle peut vouloir le conserver. Ce problème peut exprimer des besoins inconscients même consciemment si l'individu ne peut pas le comprendre. En PNL (Programmation Neuro-Linguistique), ces besoins sont appelés des intentions positives ou "bénéfices secondaires".

"La loi des Intentions Positives" énonce que tout comportement malsain ou problématique a eu un jour une fonction positive et a permis une meilleure adaptation à son environnement. Dans d'autres contextes, nous avons ensuite appris à mieux prendre soin de notre propre personne. Pourtant aujourd'hui, nous continuons à croire inconsciemment que ce comportement malsain est encore une solution. Nous faisons toujours le meilleur choix possible compte tenu des informations dont nous disposons, mais souvent nous relevons les défis du présent avec les méthodes du passé.

Mon premier professeur en la matière m'expliqua ce concept de la façon suivante : "En tant qu'adulte, tu n'imaginerais pas une seule seconde d'aller dans un restaurant, t'asseoir et commencer à pleurer comme un bébé afin d'être nourri. Mais quand tu étais un bébé, c'était ton seul moyen, ton meilleur choix possible. Aujourd'hui bien sûr, pleurer quand tu as faim et t'attendre à ce que quelqu'un vienne te donner à manger serait impensable."

La première fois que j'ai entendu cet exemple, je me suis dit : "Ce type n'a jamais été serveur." Quiconque a servi des clients de restaurant sait que parfois ils sont assis à leur table et pleurent pour être nourris, surtout les soirs de pleine lune.

Les manuels d'Ennéagramme nomment souvent les difficultés créées par les styles de personnalité comme des "choses" que vous possédez : fixations, compulsions, filtres d'attention, dépendances, mécanismes de personnalité qui s'enclenchent tout seuls et pilotent des comportements automatiques.

Une dépendance est rarement seulement une dépendance. Les bons thérapeutes, même ceux spécialisés dans le traitement des automatismes, ne s'occupent pas uniquement des comportements automatiques de leurs clients. Bien qu'appliquant des techniques qui modifieront l'automatisme, un thérapeute essaie de découvrir sa signification et son origine profonde : les besoins émotionnels rattachés à ce mécanisme, comment le comportement problématique fait partie intégrante de l'histoire de vie du client et comment malgré tous ses inconvénients, la dépendance vient satisfaire certains des besoins du client.

Dans le même registre, toute expression défensive de la compulsion dans l'Ennéagramme se fonde sur une intention positive. Toute attitude aussi névrosée soit-elle est une tentative sincère, même si elle est confuse, de bien faire face à notre environnement. Même si nous voulons nous libérer de la douleur causée par nos comportements problématiques, nous pouvons rester attachés à eux puisqu'ils représentent le meilleur moyen que nous connaissons de satisfaire nos besoins.

Dans le processus de changement des systèmes de défense de notre personnalité, il est tentant de surévaluer notre perception consciente de la situation et notre détermination. Or notre conscient ne contrôle pas nos comportements. Les réactions dues à notre compulsion sont toujours le produit de l'inconscient. La nature de la compulsion fait que vous vous regardez faire. Consciemment vous n'avez aucunement l'intention d'agir de la façon dont vous agissez, mais à un autre niveau, il y a une partie de vous qui agit ainsi.

En conséquence, un des meilleurs moyens pour commencer à changer les défenses de votre personnalité est de supposer qu'elles ont une signification cachée, et de trouver en quoi elles vous servent : démasquer l'intention positive derrière le comportement malsain et votre contribution active, quoique dissimulée, à le créer. Si vous pouvez commencer à sympathiser avec vos motivations cachées, qu'importent leur confusion et leur histoire, vous mettrez en place des réactions plus nouvelles et plus à jour qui continueront à respecter vos intentions et vos besoins. Ce moyen sympathique et étonnamment efficace de changer est bien plus facile et sensé que de se battre contre son système de défenses.

Généralement parlant, il y a trois catégories d'intentions positives qui alimentent les systèmes de défense de l'Ennéagramme. Le premier groupe est stratégique et biologique et inclut des fonctions comme la contention, la prédiction et l'homéostasie. Le deuxième est plus symbolique et psychologique, tandis que le troisième est existentiel. À chacun des niveaux il y a une problématique autour de l'identité et du pouvoir.

Intentions positives psychologiques

Frank, un 9 introverti, a demandé de l'aide pour son problème "d'oubli de soi", c'est-à-dire sa tendance à dissimuler ses préférences personnelles et minimiser ses propres besoins. Il a fait le lien entre ce problème et son type et l'avait vécu, sous une forme ou une autre, depuis son enfance. Il était compétent, intelligent et avait une carrière couronnée de succès en tant que médiateur au sein d'un syndicat, un travail où son attention était exclusivement centrée sur les autres.

L'habitude d'oubli de soi créait souvent des difficultés à Frank dans ses rapports avec ses proches, mais il avait des problèmes à affirmer ses besoins même dans des situations où il avait des droits légitimes. Le gain d'un petit prix de loterie à un magasin de quartier en était un exemple récent ; Frank hésitait à réclamer immédiatement son gain parce que cela signifiait s'adresser la caissière du magasin, souvent irritable. Dans son esprit, il l'imaginait dédaigneuse et refusant de lui valider son billet de loterie. Frank a quitté le magasin et est revenu huit heures plus tard pour récupérer son argent auprès du timide manager de nuit.

J'ai demandé à Frank de faire un simple exercice : citer toutes les raisons possibles qu'il puisse imaginer pour garder son problème, et découvrir ce que l'oubli de soi faisait pour lui. Frank est revenu une semaine plus tard avec une liste des intentions positives de son problème. Sa liste couvrait la gamme générale d'intentions positives existantes quand les gens réagissent de manière excessive à travers leur type Ennéagramme. Prenons-les une par une :

Vivre dans un univers métaphorique

Frank mentionna que l'oubli de soi l'a aidé à éviter une image intérieure familière qu'il appelait "le spectre de l'échec existentiel". Cette image reflétait le modèle du monde de Frank, l'univers subjectif métaphorique dans lequel il a vécu.

Chacun d'entre nous a une représentation ou une image interne (une carte en PNL) "du monde" à travers laquelle nous filtrons les événements. Il vous est difficile de la voir, parce qu'elle est profondément ancrée dans l'inconscient, mais c'est une image réelle que vous stockez quelque part dans le fond de votre esprit et à laquelle vous vous référez constamment. L'intensité et le degré auquel vous croyez en votre modèle du monde sont partiellement ce qui vous motive et vous fait avancer, particulièrement quand vous êtes dans les transes de votre système de défenses.

Frank avait une vue générale du monde comme un endroit indifférent dans lequel il ne comptait pas. La dissimulation de ses préférences le protégeait de déceptions inévitables : pourquoi se donner la peine de se faire valoir dans un monde où vos besoins n'importent pas vraiment ?

Le "spectre de l'échec existentiel" de Frank correspondait parfaitement au modèle du monde de nombreux 9. Tôt dans la vie, ils arrivent à la conclusion que ce qui est important pour eux ne fait aucune différence pour d'autres. Cela conduit à la colère et à un fatalisme résigné. La transe des Neufs repose sur l'intime conviction que "rien n'importe vraiment et ma vie n'est pas la mienne." Les Neufs peuvent alors voir le monde comme un endroit indifférent et sans signification dans lequel en fin de compte ils sont maudits et leurs actions sont inutiles.

D'autres types de l'Ennéagramme vivent dans des univers subjectifs différents. Certains 1 vivent dans des univers qui semblent chaotiques et ont donc besoin de correction ou d'ordre. Les 2 vivent souvent dans des univers qui sont fondamentalement interpersonnels et où les autres gens sont toujours dans le besoin. Les 3 voient la vie comme une compétition et leur modèle inconscient du monde peut être un palais des sports ou un champ de courses.

En règle générale votre modèle du monde est une version déguisée de votre vision du monde lorsque vous étiez enfant. Si vous deviez lister vos dix croyances les plus profondes sur "le monde" et ensuite réécrire la liste en utilisant les mots "Enfant, mon monde était…", vous pourriez trouver les deux listes étonnamment semblables.

Si votre environnement familial était un endroit agréable, votre modèle du monde actuel sera fondamentalement bienveillant. Si votre environnement familial était hostile, votre vision inconsciente du monde aura tendance à être plus sombre et plus menaçante.

Gérer les Blessures

Frank a réalisé que l'oubli de soi l'a aidé à éviter une réaction négative à laquelle il s'attendait chaque fois qu'il énonçait ouvertement ses besoins. Il craignait tout particulièrement le ridicule, le rejet et l'indifférence. C'était une blessure qu'il avait ramenée du passé et qu'il gérait dans le présent.

Le ridicule et le rejet avaient été fréquents dans l'enfance de Frank et il se sentait toujours vulnérable. Même maintenant, s'il exprimait ouvertement ses besoins et les voyait rejetés, cela ne faisait que tristement confirmer ses premières croyances à propos de sa vraie valeur. Frank sentait bien qu'il avait déjà très peu d'estime de soi. S'il s'affirmait et était rejeté, il en aurait encore moins.

Chaque transe de l'Ennéagramme obéit à ce qui pourrait être appelé un vœu fondamental de protection, destiné à gérer la blessure propre à chaque type. Plus nous avons été blessés dans le passé (et n'en avons pas guéri), plus dans le présent nous nous protégeons de la possibilité d'être de nouveau blessés pareillement.

Nous gérons notre vulnérabilité par des tactiques inconscientes de prophéties auto-validantes consistant à faire que les choses se produisent tel que nous nous y attendons et en évitant des alternatives plus mauvaises. Nous les mettons en œuvre et nous recréons nos blessures comme une façon de nous protéger contre l'effet de surprise de blessures plus douloureuses causées par d'autres. Dans la logique de notre système de défense, nous tirons le meilleur profit d'une mauvaise situation en agressant les autres et en déchirant nos propres cœurs avant que d'autres ne puissent le faire. Paradoxalement, ces tactiques laissent nos blessures bien en place, mais au moins nous évitons la reproduction de sentiments qui avaient autrefois été insupportables.

L'oubli de soi a aidé Frank à gérer une ancienne vulnérabilité liée la négligence. Les 9 minimisent souvent leurs besoins et sont conciliants vis-à-vis des autres afin de ne pas être oubliés et négligés. La logique inconsciente est : les gens vont m'ignorer de toute façon ; si je m'ignore d'abord, j'éviterai la douleur ; je n'éprouverai des sentiments que si je suis vraiment ouvert et vulnérable.

D'autres types vivent des blessures différentes. Les 4, qui ont été rejetés par les autres se rejettent d'abord eux-mêmes afin de se protéger d'un autre abandon. Les adultes 5, qui ont grandi en se sentant submergés par des attentes sociales, se submergent maintenant eux-mêmes avant que d'autres ne puissent le faire. Les 8, qui ont été brutalisés, se brutalisent dans le présent en espérant inconsciemment que cela les aidera à rester invulnérables.

Les formes dénaturées de contrôle

Quand vous travaillez sur les systèmes de défense de votre personnalité, vous pouvez constater que certains comportements compulsifs sont pilotés par un besoin de pouvoir et de contrôle. Dans votre expérience subjective et en fonction de vos vulnérabilités, vous préférez une certaine forme de contrôle.

L'oubli de soi a aidé Frank à adopter une forme de pouvoir par défaut. Avoir ses besoins ignorés ou rejetés l'a non seulement conduit à se sentir blessé, mais aussi impuissant, comme si d'autres pouvaient le contrôler. L'ignorance de ses propres besoins avant que même d'autres ne puissent les rejeter a procuré à Frank un sentiment de pouvoir. Puisqu'il croyait qu'être ignoré ou rejeté était inévitable, il pouvait au moins en contrôler le moment précis et l'intensité en s'ignorant d'abord.

Chaque type a une méthode favorite de contrôle. Celle des 9 est l'oubli de soi ; leur style de défense les amène à supprimer leurs besoins et ensuite à réduire le plus possible leur inconfort en se concentrant sur la façon de s'adapter à leur environnement.

Les 6, en revanche, contrôlent de façon névrosée par le doute. Leur principal style de défense est de mettre la réalité en question afin d'en révéler les dangers potentiels cachés et de trouver le pouvoir et la sécurité en anticipant le pire. Les 1, eux, prennent le pouvoir par le jugement en adressant à eux-mêmes et aux autres des reproches sur leurs erreurs afin de contrôler leur anxiété. Les 7 prennent le contrôle en s'offrant des choix multiples afin de compenser le sentiment inconscient de se sentir sans ressources et pris au piège.

Le poids de la famille

La première relation que chacun d'entre nous s'est efforcé d'entretenir est avec nos parents ou les gens qui nous ont élevés. Notre survie nécessitait de faire ce que l'on nous disait de faire et de nous adapter aux attentes de notre environnement familial. Nous modélisions nos parents en intériorisant leurs attentes, leurs personnalités et leurs modèles du monde. Maintenant, nous les portons en nous et certains de nos systèmes de défense sont de reproductions confuses de ces relations de notre prime enfance.

Le bon sens nous dit que nous avons des aspects de notre caractère qui sont semblables à ceux de nos parents. C'est évident, par exemple, quand nous nous surprenons à dire à nos enfants des choses que nos parents nous ont dites. En psychologie, ce phénomène est appelé introjection : c'est le processus par lequel nous modélisons d'autres personnes que nous portons alors en nous, les faisant ainsi devenir des parties de nous-mêmes.

Chacun d'entre nous introjecte ses parents et quand nous avons un conflit psychologique, l'introjection de nos parents représente souvent une partie du problème. Nous avons tendance à exprimer tout ce qui n'est pas achevé dans ces relations, soit intérieurement sous la forme de conflits entre des parties de nous-mêmes, soit extérieurement dans nos relations actuelles.

Par exemple, Frank, inconsciemment, craignait les jugements de sa mère de type 1, depuis bien longtemps décédée. En effet, elle n'était pas vraiment morte : son souvenir accompagnait Frank chaque jour, planant près de son épaule gauche où elle s'asseyait, critiquant souvent son comportement. Frank disait que lorsqu'il était dans l'oubli de soi, il évitait d'agir ; il faisait alors moins d'erreurs, donnait à sa mère moins d'occasions de le prendre en faute et réduisait ainsi le nombre de ses jugements.

Un autre homme, de type 8, construisit agressivement un empire commercial. En vieillissant, il souhaitait passer plus de temps avec ses jeunes enfants, mais quand il a essayé de réduire sa charge de travail, il a constaté qu'il ne s'y autorisait pas. En explorant ses sentiments, il s'est rendu compte que son besoin compulsif de travailler lui venait d'un vœu de vengeance contre son père. Le père disait souvent au fils qu'il ne réussirait jamais à rien. Ce 8 s'est rendu compte qu'inconsciemment, il voyait une image de son père chaque matin, une image typique de ce à quoi son père ressemblait quand il dénigrait les capacités de son fils. Et l'étape suivante pour ce 8, c'était de sauter du lit et d'aller travailler.

Nos dynamiques parentales non réglées se retrouvent souvent dans nos histoires d'amour. Par exemple une femme 2, dont le père avait l'habitude de disparaître pendant un certain temps, a eu tendance à avoir des relations avec des 7 malsains, des hommes qui au bout du compte l'abandonnaient. Aussitôt qu'une relation était entamée, elle commençait à craindre qu'elle finisse. Elle devenait alors si collante et exigeante qu'elle faisait fuir son partenaire. C'était une répétition métaphorique de sa non-relation avec son père, lui aussi 7, durant son enfance. Les hommes de type 7 malsain qu'elle fréquentait pouvaient à leur tour, avoir eu des relations non réglées avec des mères de type 2.

Vos dynamiques parentales se reflètent également dans vos rapports avec les institutions et se manifestent dans ce que vous projetez sur votre employeur, sur le gouvernement ou sur l'église. Une institution pourrait symboliser un de vos parents ou les deux et la façon dont subjectivement vous la percevez peut révéler une dynamique non réglée. Les gens qui fulminent régulièrement contre le gouvernement, par exemple, parlent souvent de leurs parents de façon déguisée.

Quand vous êtes au maximum sur la défensive, il y de grandes chances pour que les thèmes non réglés avec votre famille d'origine soient apparus sur votre lieu de travail, dans vos relations amicales ou au sein de votre famille actuelle. Des parents, frères et sœurs fantômes apparaîtront et disparaîtront tout au long de votre vie. Même quand votre vie va bien, cela peut arriver subtilement.

Un 5 a décrit cela de cette manière : "J'ai rejoint quatre groupes distincts à des moments différents de ma vie. Dans chaque groupe je me sentais manipulé par les gens et écrasé. Je pensais que le problème c'était moi, parce que je m'investissais trop dans chaque groupe et qu'ils en profitaient et m'envahissaient. Mais, j'ai remarqué quelque chose d'autre : mon père est un 8 malsain et ma mère est un 2 malsain. Dans chacun de ces groupes, il y avait un 2 flatteur et un 8 brutal travaillant en tandem contre moi. Dans les quatre groupes j'avais reproduit une scène de ma dynamique familiale."

En plus de l'acquisition de notre propre système de défense, nous modélisons ceux de nos parents et grands-parents et les reproduisons. Nos parents nous montrent comment être des adultes et il arrive que parfois nous nous trouvions en train de mimer leurs limitations, en pensant que c'est ainsi que doit se comporter un homme ou une femme.

Nous faisons aussi apparaître nos parents intérieurs en situation de stress. Quand nous ne savons pas quoi faire d'autre et que nous avons besoin de conseils, nous avons recours à ce que nous avons appris tôt dans la vie, même si cela ne fait guère plus de sens dans le présent. En fait, nous nous maternons ou paternons, et faisons face à une situation difficile de la meilleure façon que nous connaissons. Nous nous "parentons" toujours de la façon que nous avons connue jusqu'à ce que nous apprenions à le faire différemment.

Obtenir de l'amour et de l'approbation

Toutes les familles définissent des manières acceptables pour les enfants de se comporter et leur offrent une définition émotionnelle et pratique de l'amour. Les enfants naissent avec un besoin vital de se sentir aimés et si une reconnaissance et une acceptation authentiques de sa personne ne se manifestent pas, un enfant comblera ce besoin par autre chose. Quelle que soit la façon dont nous avons été traités, nous en sommes arrivés à considérer comme de l'amour ce qui nous a valu le plus d'attention et d'encouragements. Parfois un comportement aujourd'hui dysfonctionnel est un moyen confus pour se faire aimer selon notre vécu.

Dans l'enfance, en étant dans l'oubli de soi Frank a obtenu de l'amour. Moins il attirait l'attention et moins il commettait d'erreurs, plus il était accepté par son environnement familial. Les jeunes 9 peuvent assimiler une absence d'attention négative à de l'amour et de l'acceptation. S'ils ne sont pas critiqués et s'ils évitent de se voir retirer l'approbation de leur entourage, alors ils se sentent aimés, presque par défaut.

D'autres types de l'Ennéagramme ont des définitions différentes de l'amour. Pour des 3, l'action et la réussite mènent à la reconnaissance de leurs actes extérieurs. Ils confondent alors les applaudissements du monde pour leurs accomplissements avec de l'amour. Les 1 associent parfois la critique à une marque d'amour puisque seuls sont critiqués ceux dont vous vous souciez. Les 6 qui ont été maltraités peuvent avoir une définition déformée de l'amour basée sur la violence et peuvent rejouer des scénarios destructifs dans leurs relations à l'âge adulte. Leur comportement est basé sur une formule inconsciente : être maltraité c'est être aimé.

Une cliente 4 autocritique disait qu'elle se sentait harcelée par une petite voix critique et en colère de 1. Quand je lui ai demandé de se concentrer sur cette voix, elle a soudain vu l'image d'un singe assis sur son épaule droite. Elle m'a demandé si je pouvais l'aider à se débarrasser du singe ou à le faire taire.

Je lui ai dit que l'amour prenait plusieurs formes et que nous portions tous, en nous de vieilles, et parfois même punitives, versions de l'amour. Je lui ai demandé si elle avait l'impression d'être sans valeur, sentiment que les 4 ressentent souvent. Elle a répondu qu'en effet elle le ressentait. Je lui ai alors demandé si ce sentiment lui faisait jamais se sentir particulière, spéciale, unique et même aimée. Elle l'admit en souriant.

"Donc votre singe vous critique pour vous aider à vous sentir aimée. Et vous voulez que je vous en débarrasse ou que je le réduise au silence et qu'alors vous arrêtiez de vous sentir aimée ?" Cette femme a ri et a admis qu'après tout sa partie "singe" et son autocritique avaient des intentions positives.

Des accords de codépendance

De même qu'aucun de nous n'a eu une enfance idéale, aucun de nous n'a eu des parents parfaits. Les enfants ont besoin de croire que leurs parents sont des adultes grands et tout-puissants, mais bien sûr, peu le sont vraiment. Par amour et pour leur propre bien-être, les enfants se transformeront pour se conformer aux limites de leurs parents. Ils emmènent alors cette transformation dans leurs relations à l'âge adulte.

L'oubli de soi a aidé Frank à dissimuler ses succès. Derrière cette impulsion se cache un désir d'enfant de protéger son père, un homme dont beaucoup d'entreprises avaient fait faillite. Frank se rappelait l'aura d'échec de son père ; enfant, il s'était juré de ne jamais humilier son père en le surpassant. C'était un accord basé sur la codépendance que Frank avait passé et continuait d'honorer dans le présent en étant dans l'oubli de soi.

Ces accords de codépendance sont acceptés par nécessité ; l'enfant croit que venir au secours d'un de ses parents est la seule façon d'obtenir de l'attention et des soins. La logique est : si je peux aider papa à se sentir mieux alors un jour il grandira et s'occupera de moi.

Au fil du temps, cela peut aboutir à une tendance en tant qu'adulte à vouloir compenser les besoins inappropriés des autres. Nous pourrions, par exemple, prendre trop de responsabilités vis-à-vis de nos conjoints ou de nos amis. Ou être attiré par le potentiel des gens plutôt que par leur degré réel de maturité adulte. Ou maintenir des relations non épanouissantes parce qu'elles nous apportent une sécurité familière ou parce qu'être seul est un choix bien plus effrayant. Ou être attiré par quelqu'un qui souffre parce que nous sentons que nous devons le sauver. Ou attendre d'être sauvé nous-mêmes.

Quand nous compensons les limitations de nos parents, une partie d'entre nous reste un enfant, le fils ou la fille de quelqu'un plutôt que notre propre personne. Parfois cela a des avantages inconscients : nous pouvons aimer jouer le rôle de la personne qui prend soin ou qui sauve en évitant de prendre nos propres décisions et responsabilités. Ou se sentir protégé en ayant toujours un parent, même un parent nécessiteux imaginaire. Ou croire que tout soin que nous recevons des autres ne l'est qu'à un certain prix.

Pour mieux comprendre la codépendance, imaginez une voiture qui s'écrase dans la salle de séjour de votre maison. En examinant les dégâts, vous êtes convaincus qu'enlever l'épave de la voiture ferait s'effondrer la maison entière. Donc vous décidez de faire au mieux avec la situation : vous décorez le coffre de la voiture comme si c'était une table, prétendez que les sièges avant sont un divan et remplissez de terre les pare-chocs pour planter une rangée de fleurs. Plutôt que de prendre le risque de faire s'écrouler la maison entière, vous vous adaptez à un empiétement non naturel.

Hommage

Parfois vos limites actuelles reflètent la façon dont votre identité est fusionnée avec celle de vos ancêtres. Nadine, une 1 riche mais habitée d'un esprit de sacrifice voulait prendre ses premières vacances depuis 10 ans, mais ne se décidait pas à faire des réservations. Elle avait mené une vie disciplinée de spartiate et disait qu'elle se sentait souvent pilotée par la règle "Je devrais toujours essayer de mieux faire." Quand je lui ai demandé à qui cette règle appartenait, elle a soudain vu l'image de sa pionnière de grand-mère. La grand-mère de Nadine, une 1 également, avait vécu dans de rudes conditions dans les forêts du nord de l'Amérique et supporté une existence sinistre et misérable alors qu'elle élevait la mère de Nadine.

Nadine s'est rendu compte qu'en rendant sa vie difficile, elle rendait hommage à la vie dure de sa mère et de sa grand-mère. Prendre des vacances et, pire encore, jouir de son existence était un affront aux sacrifices qu'elles avaient faits. En y réfléchissant bien, Nadine conclut qu'il y avait probablement des moyens meilleurs et moins compliqués d'honorer leurs vies. Elle décida de passer quelque temps sur une plage à Hawaï pour penser à ces moyens.

Images de soi déformées

Au-delà de notre besoin biologique d'identité, nous avons le besoin de savoir qui nous sommes à un niveau profond et personnel. Chacun d'entre nous entretient une image de soi basée sur qui nous étions quand nous étions dans notre milieu familial, culturel et sous-culturel d'origine.

Notre image de soi reflète partiellement la façon dont les autres nous ont d'abord perçus. Le thérapeute Salvador Minuchin a observé que "les familles créent des spécialistes" et les enfants souvent se sentent attribués un rôle dans le scénario familial. Tôt dans la vie, on a reconnu certaines de nos qualités ("Elle est sensible, comme sa grand-mère.") et ignoré d'autres que nous avions pourtant aussi. Quand nous étions jeunes, notre famille a pu avoir besoin que nous jouions un rôle (un héros, quelqu'un qui prend soin, un bouc émissaire…) et nous avons adopté ce rôle pour survivre.

Nous avons intériorisé une vision réductrice de notre personne et avons commencé à y croire, en oubliant que c'était une tactique, un masque de défense que nous avions adopté pour survivre dans notre enfance. Des décennies plus tard, nous pouvons nous apercevoir que le masque est toujours collé sur notre visage, perçu à tort (même par nous) comme notre identité complète.

Notre image de soi est profondément inconsciente et accrochée à des souvenirs, des rôles, des émotions habituelles ; elle a même un emplacement dans notre corps. Dans la transe de notre type Ennéagramme, nous sommes attachés à notre image et croyons inconsciemment que nous ne pouvons pas exister sans elle. Parfois un comportement excessivement sur la défensive est un moyen de maintenir dans le présent une image de soi du passé.

Quand Frank s'est concentré sur son problème d'oubli de soi, il s'est vu comme un mendiant dans les rues et il s'est rendu compte que ses comportements étaient cohérents avec cette image. Ce n'est pas une image de soi insolite pour un 9 ; d'autres ont des images de paysans, de réfugiés, de clochardes, de domestiques ou de citoyen de deuxième classe.

D'autres types de l'Ennéagramme cultivent des images de soi différentes. Les 1 peuvent se voir comme des prophètes, des réformateurs ou les arbitres des règles, les 2 comme des anges ou des sauveurs, les 3 comme des machines à succès très performantes, les 4 comme des étrangers uniques et sensibles, des orphelins ou des invalides. Les 5 parfois se voient comme des ordinateurs ou des bibliothécaires, les 6 comme des victimes ou des esclaves et les 7 comme des bouffons ou des aventuriers. Les 8 peuvent se voir comme des guerriers ou des animaux, particulièrement des chiens de garde, des requins et des lions.

Chaque transe de l'Ennéagramme est fixée par une image de soi métaphorique qui véhicule la préoccupation fondamentale du type. Votre image de soi dicte en partie l'histoire de vie que vous êtes susceptible de vivre, avec toutes ses forces et ses inconvénients. L'agressivité d'un 8 malsain fait davantage sens quand vous savez que subjectivement il vit dans une jungle et a pour image de soi un animal sauvage.

Une autre sorte d'image qui surgit souvent quand vous travaillez sur le système de défenses de la personnalité est celle d'un enfant, une partie plus jeune que vous-même qui est coincée dans le temps, menant une vieille bataille ou faisant face à une circonstance difficile. Quand vous êtes excessivement sur la défensive, vous êtes généralement en train de protéger quelque chose de vulnérable en vous. L'inconscient se représente souvent cette vulnérabilité comme un jeune moi.

Si j'avais demandé à Frank de développer davantage son image de mendiant, l'image aurait pu facilement se métamorphoser en celle d'un jeune garçon. Les enfants 9 s'estiment parfois négligés et indésirables et l'image de mendiant de Frank était la métaphore d'une enfance dans laquelle il s'est senti désespéré, invisible et timide.

D'autres types ont des images d'enfant différentes. Les 1 explorant leur système de défenses peuvent découvrir des images d'enfants qui sont accablés, critiqués ou tristes. Les 2 trouvent des enfants qui sont indésirables ou non aimés ; les 3 voient des enfants qui sont peu sûrs d'eux ou qui recherchent désespérément l'attention tandis que les 4 peuvent trouver des enfants qui se sentent rejetés ou privilégiés.

Avec les 5, les images d'enfant ont tendance à être anxieuses, embarrassées ou honteuses. Les images d'enfant 6 peuvent être choyées, impuissantes ou terrorisées. Les 7 trouvent des enfants qui sont abandonnés, redevables, coupables ; tandis que les images d'enfant des 8 sont souvent sans défense, trahies ou innocentes.

Éviter les Ombres

Frank affirme que l'oubli de soi lui a permis de "garder le contrôle" en l'aidant à contenir un autre aspect de son caractère, un égotiste flamboyant et sociable qui veut être le centre de l'attention : l'opposé d'un mendiant discret. C'était l'ombre de Frank.

Trop s'identifier avec une partie de notre moi signifie s'identifier insuffisamment avec une autre ; plus nous favorisons notre image de soi habituelle, plus nous créons son ombre opposée. Quand un 1 s'identifie de façon défensive avec un être plein de vertus, il doit supprimer toute partie de lui qui veut s'amuser et transgresser les règles. Les 2 qui se voient seulement comme des gens qui aident les autres doivent réprimer leurs propres besoins plus égoïstes. Les 3 doivent réussir pour tenir l'ombre de l'échec à distance. Les 4 s'efforcent d'être super-uniques pour conjurer leur propre sentiment intérieur d'être ordinaires.

Quand nous rejetons nos traits de caractère indésirables, souvent nous les projetons et ensuite n'aimons pas ces traits chez d'autres gens. Les 1 voient la partie d'eux-mêmes qui voudrait être irresponsable chez un 7 proche. Les 6 voient l'ombre de leur propre pouvoir dans une figure d'autorité voisine. Les 8 voient leur propre faiblesse dans ceux mêmes qu'ils attaquent ou bien protègent.

Toute sur-identification avec une image de soi préférée porte son contraire. Chaque fois que vous vous identifiez trop avec une façon d'être, il y a une polarité, un opposé que vous essayez de ne pas être. Selon la profondeur de votre système de défenses, vous pouvez dépenser beaucoup d'énergie inconsciente pour déplacer, projeter ou réprimer votre ombre. Comme nous le verrons, chaque type de l'Ennéagramme a un mécanisme de défense typique qui l'aide à tenir son ombre à distance.

Vous pouvez penser à votre ombre comme à une sorte d'allergie psychologique, une hypersensibilité dont vous vous éloignez pour l'éviter. À proprement parler, les allergies sont des réactions exagérées du système immunitaire. Quand quelqu'un a une réaction allergique, son système répond comme s'il était envahi par une substance dangereuse, interprétant à tort l'allergène comme une infection. Mais la plupart des allergènes (pollen, poussière, fourrure et aliments) sont inoffensifs. Votre corps par erreur se met sur ses gardes contre un non-danger.

Il serait trop facile de dire que les allergies n'existent que dans votre tête, mais les gens fortement allergiques peuvent déclencher des réactions rien qu'en pensant à un allergène ou en voyant une image. Il est aussi bien établi que les gens peuvent se désensibiliser aux allergies ou même s'en débarrasser au fil du temps.

En résolvant des problèmes liés à l'Ennéagramme, vous devez parfois vous résoudre à découvrir votre côté ombre, ne serait-ce que pour réaliser qu'il a été perçu à tort comme un danger. Travailler sur votre ombre peut être une étape majeure de la reconquête de votre intégrité et de la sortie de la transe de votre type. Souvent, ce que nous évitons le plus en nous-même est exactement ce à quoi nous devons faire face avec un esprit ouvert.

Intentions positives existentielles

Sans le système de défenses de notre personnalité, nous serions dans un territoire inexploré, faisant psychologiquement face à l'inconnu, exposés aux mondes de l'expérience au-delà de notre Soi réel. Notre type dans l'Ennéagramme à la fois nous protège d'une relation avec ces mondes transcendantaux et préserve cette relation. La dernière catégorie d'intentions positives est existentielle, liée à notre plus grande existence au-delà de notre histoire personnelle et de notre identité sociale. Les fonctions existentielles les plus importantes d'un type de l'Ennéagramme sont :

Contrôler l'incontrôlable

À bord d'un avion, pour rassurer un homme effrayé par le vol, on lui dit que tout allait bien. Accroché fermement aux accoudoirs de son fauteuil, il répondit : "Bien sûr que tout va bien ; je soutiens ce satané avion !"

Notre système de défenses a quelque chose de superstitieux. Nous y avons parfois recours comme s'il formait un bouclier magique qui va nous protéger du mal. Si nous travaillons dur, restons dans le cadre de notre scénario et restons sur la défensive, alors la vie nous récompensera ou, au moins, de mauvaises choses n'arriveront pas. Notre ego croit qu'il peut contrôler le destin, tromper la mort et tenir les avions en l'air.

Pourtant, la vie a des dimensions imprévisibles. Vivre, c'est faire face aux possibilités de pertes, de souffrances et de calamités. Certains événements sont au-delà de notre contrôle et notre scénario Ennéagramme n'est pas un filet de sécurité contre un hasard cruel et des événements aléatoires.

Néanmoins, vous pouvez constater parfois que vous vous accrochez à vos vieilles défenses dans un effort pour vous défendre contre l'inévitable. Nous nous gardons tous inconsciemment de la mort, des accidents et de l'imprévisible, comme si nous étions incapables de tolérer l'idée que pour beaucoup la vie est au-delà de notre contrôle.

Recherche de permanence

L'ego recherche la permanence, une sorte d'immuabilité dans un monde de changement et chaque transe Ennéagramme est ancrée par une image fixe "du monde". D'une certaine façon, nous organisons nos vies afin qu'elles se conforment à nos attentes par rapport à ce monde. Nos convictions les plus fermes nous confortent dans le fait que la réalité est ce que nous pensons qu'elle est, une construction figée qui soutient nos présuppositions de base et nous donne une formule pour la vie.

Au fond, il y a souvent une croyance de base qui pilote tout ; il y a une chose dont nous sommes sûrs, "une vérité" sur laquelle nous pouvons toujours compter, une condition permanente, une question fermée. Au fond d'eux-mêmes, les 9 en transe sont certains que rien n'importe vraiment et que de toute façon ils sont perdus. Les 6 en transe croient fermement que le pire arrive toujours. Les 4 sont sûrs qu'ils seront inévitablement abandonnés et cette croyance, bien que, douloureuse, crée leur propre sécurité.

Bien sûr, rien n'est permanent ; la vie est une série d'embardées et de virages. Mais, vous pouvez constater que votre ego s'oppose parfois à l'expérience de l'impermanence et se prémunit contre elle en entretenant votre système de défenses. Évoluer et changer signifie parfois accepter l'éphémère, tout en l'intégrant paradoxalement comme la seule chose que vous pouvez considérer comme allant de soi, votre seule vraie stabilité.

Éviter le Vide

L'image subjective du monde de Frank, son "spectre de l'échec", a bloqué l'ensemble de l'univers et constituait, d'une certaine façon, une défense contre ce spectre. Chacun d'entre nous entretient une frontière subjective intérieure autour de notre monde et croit inconsciemment que si nous nous aventurons au-delà, nous périrons. Quand nous atteignons le bord de notre carte subjective nous rencontrons le vide de l'incertitude, une sorte de vide existentiel, comme l'équivalent intérieur du vide du cosmos. Dans différentes traditions spirituelles, ce sens de l'inconnu est mentionné comme le Vide, le Mysterium Tremendum, le Grand Esprit ou l'Infini.

Les gens décrivent leur expérience du Vide comme intense, informe et beau. C'est le royaume du mysticisme, celui où vont les artistes pour obtenir l'inspiration. L'expérience directe du Vide est le but de la plupart des pratiques méditatives et spirituelles et il est présent pendant les épiphanies religieuses et les expériences maximales.

Nous connaissons le Vide dans la vie ordinaire quand nous entrons dans "un état de flottement" ou que nous sommes dans un état second en éprouvant, façon zen, une absence de séparation entre le monde extérieur et nous-mêmes. À des moments exceptionnels, nous pouvons nous sentir totalement immergés dans notre expérience, comme si nous suivions l'impulsion de vie qui existe au plus profond de nous et vivions au bord du mystère.

Mais le Vide est aussi effrayant et déconcertant. L'expérience négative du Vide, c'est comme être en chute libre au beau milieu des airs, sans filet, ce qui crée inquiétude existentielle, confusion, perte de contrôle, isolement et dépouillement. Il y a aussi une perte d'identité, le sentiment d'être insignifiant ou inexistant.

Bien que le Vide soit l'origine de nombre d'expériences spirituelles et créatrices, nous en évitons généralement l'expérience directe. L'expérience du Vide donne l'impression de mourir et notre ego résiste à l'extinction. Souvent, quand nous nous approchons du Vide, nous essayons rapidement de le remplir ou nous renforçons soudainement notre système de défenses.

À un niveau psychologique, quand nous entrons en contact avec nos vulnérabilités ou avec les ombres de notre personnalité, nous pouvons les vivre comme des "mini-vides" et les confondons avec le grand Vide. Nous ressentons un vide que nous assimilons à une forme de non-être et que notre ego bloque de façon défensive. Fritz Perls, le créateur de la Gestalt Thérapie, avait l'habitude d'appeler ces mini-vides "des trous dans la personnalité". Ils peuvent être ressentis comme quelque chose qui manque, une partie sombre et embrouillée de nous-mêmes que nous n'approchons jamais de près.

N'importe quel changement important ou soudain dans notre vie peut aussi nous mettre au contact du Vide. La perte d'un travail, un mariage ou un divorce peuvent être éprouvés comme une "petite mort". Chaque fois que nous entrons dans une nouvelle phase de notre vie, nous pouvons sentir comme une mort de notre passé. Notre ego se bat contre ce sentiment et le confond avec la mort physique. Mais nous autoriser à le ressentir quelque peu permet parfois l'abandon de vieilles défenses.

Idéologies de défense

Un moyen pour l'ego de se défendre contre le Vide est l'adhésion à des idéologies qui renforcent son modèle du monde. Cela peut se manifester par les idées politiques de quelqu'un, une religion, une philosophie, un système de croyances ou toute autre cause qu'il adopte et à laquelle il s'identifie.

Bien que les idéologies semblent traiter de sujets externes (les questions religieuses, les débats politiques, les thèmes culturels), ce sont en fin de compte des expressions de notre psychologie interne puisque "nos opinions sur le monde sont l'aveu de notre personnalité." Au mieux, une idéologie peut représenter nos valeurs les plus profondes et nos aspirations à ordonner et améliorer le monde. Au pire, une idéologie peut être une expression directe d'une névrose personnelle, une façon déguisée d'entretenir notre système de défenses et de rationaliser notre immaturité. Être au maximum sur la défensive dans sa typologie Ennéagramme et adhérer de façon rigide à une idéologie représentent exactement la même chose.

Un ami iranien avait l'habitude de temps en temps de secouer la tête et de dire : "Le fondamentalisme. C'est le même dans le monde entier." Ce qu'il voulait dire, c'est que les gens qui s'accrochent trop fermement à leurs croyances se comportent toujours de façon identique, peu importe le contenu de leur idéologie. Les fondamentalistes à travers le monde entier s'identifient excessivement à leurs causes, prennent souvent à tort les symboles pour des faits et croient à des principes absolus qui laissent peu de place à l'ambiguïté.

Dans notre transe Ennéagramme, nous pouvons pratiquer une forme semblable de fondamentalisme. Quand nous nous sur-identifions avec le modèle du monde de notre ego, nous pouvons aveuglément croire au symbolisme de notre histoire de vie et éviter l'ambiguïté en nous raccrochant aux principes absolus de notre type. Comme les gens dans Le Livre du Grotesque, nous pouvons nous saisir d'une Vérité et l'appeler notre Vérité, mais quand nous agissons ainsi, cette Vérité se transforme en quelque chose d'autre. Nos défenses tentent de nous protéger de l'incertitude et de l'immensité du monde mais parfois le prix à payer est une vie incomplète.

L'Ego collectif

Nos idéologies défensives sont renforcées par des groupes de gens qui partagent nos croyances et forment un ego collectif. Même si les membres d'un groupe partageant la même idéologie ont des intentions purement constructives, quand les croyances du groupe sont trop inflexibles ou absolues, le groupe fonctionne exactement comme un individu s'accrochant à son système de défenses. L'ego individuel et l'ego collectif fonctionnent de la même manière, sauf qu'au niveau collectif nous avons plus de compagnie.

Il y a des ego collectifs sains et malsains comme il y a des ego individuels sains et malsains. Dans des groupes malsains, les membres unissent leurs systèmes de défenses individuels pour créer une défense psychologique commune. Les membres du groupe partagent un certain modèle du monde, une certaine image de soi et une même ombre (un autre groupe ou une force extérieure contre lesquels ils sont ligués). Les membres du groupe peuvent aussi recréer et manifester la dynamique familiale de leur enfance de façon méconnaissable et parfois dysfonctionnelle.

L'ego collectif a aussi un type dans l'Ennéagramme. Par exemple, beaucoup de groupes fondamentalistes religieux sont par plutôt nature du type 1. Les groupes organisés pour protéger les opprimés et les minorités peuvent être 8 ou 6. Les groupes dévoués au service des autres ont parfois un ego collectif à tendance 2. Chaque ego collectif est d'un certain type qui, invisiblement, détermine les présuppositions et les comportements du groupe, pour le meilleur ou pour le pire.

Idolâtrie

Une autre façon pour l'ego de combler le Vide est l'idolâtrie. La plupart des traditions spirituelles mettent en garde à propos des différences entre une spiritualité authentique et l'adoration d'idoles et de faux dieux. La première implique de vivre en contact direct avec le Vide ; mais dans l'idolâtrie, nous pratiquons une sorte de religion de remplacement, en essayant de combler un besoin spirituel avec quelque chose qui est incapable de le faire. Les expériences spirituelles authentiques surviennent seulement quand nous sommes profondément ouverts et non défensifs. Sinon, nous avons tendance à expérimenter des états qui ne font que symboliser des potentiels spirituels et ont la couleur de l'or sans être de l'or.

Quand notre personnalité est en transe, nous pouvons pratiquer une forme d'idolâtrie et créer une religion personnelle remplie de dieux symboliques, masquant les principes de notre type de l'Ennéagramme sous une signification spirituelle. L'idolâtrie est une forme de romantisme qui élève les manifestations du moi à un statut divin ou religieux. Vous pensez alors être dans une démarche spirituelle, mais en fait vous renforcez votre système de défenses.

Parfois cela se manifeste par la croyance que votre idée de Dieu est la même chose que Dieu lui-même, confondant ainsi une partie psychologique de vous-même avec ce qui est au-delà de vous. Un 1, par exemple, relatait une vision dans laquelle Dieu lui disait que sa mission dans la vie était "de l'aider à parfaire le monde". Il se pouvait que Dieu lui parle directement, mais les gens qui le connaissaient coléreux et perfectionniste, disaient que c'était plutôt son ego qui semblait lui parler.

Une autre forme d'idolâtrie implique la projection de qualités divines sur d'autres gens, comme ces gens qui déifient des athlètes, des personnages historiques et des célébrités. Certains 6, par exemple, prendront certaines autorités choisies pour des Dieux, idéalisant les gens ayant du pouvoir comme s'ils étaient des êtres supérieurs. Certains 4 font de l'amour une religion et leur fantasme d'union romantique avec un partenaire est l'imitation d'une union spirituelle avec Dieu. Le 4 voit son bien-aimé comme surhumain, envoyé du ciel pour le sauver d'une vie de rejet et d'abandon.

La troisième forme d'idolâtrie est de croire que vos valeurs personnelles reflètent les lois de l'univers. Les 3 prétendront parfois que nous sommes tous ici sur la terre uniquement pour surmonter des défis et devenir de plus en plus performant jour après jour. Les 1 déifieront parfois la raison : un 1 se disant athée ne croyait pas en Dieu parce que l'idée était irrationnelle. La raison, expliqua-t-il, est le pouvoir le plus grand de l'univers. Un 8 disait : "J'adore Dieu parce qu'il a du pouvoir. S'il existait un pouvoir plus grand que Dieu, c'est ce pouvoir que j'adorerais."

Vrai Soi/Faux Soi

Les traditions spirituelles peignent généralement l'ego comme une barrière que nous plaçons entre nous et les mondes divins transpersonnels. Dans la transe de notre personnalité, nous sommes des amnésiques ayant oublié notre véritable identité, voyant uniquement une fraction de ce qui est devant nous et inconscients des bases de notre existence.

Quand l'Ennéagramme est présenté dans un contexte spirituel, c'est en général en tant qu'un système "Faux moi - Vrai moi". Votre type de personnalité est perçu comme antithétique à votre vraie nature, une fausse construction terrestre qui vous aliène de Dieu. Votre vrai moi est spirituel et représente votre essence divine, votre nature originelle avant qu'elle n'ait été éclipsée par le faux parapluie de votre ego. Ainsi, votre personnalité est entièrement un système de défenses, représentant votre chute de la grâce, un peu comme la notion chrétienne de péché originel.

Mais les choses sont plus compliquées que cela. Au fond, votre ego a une fonction première : préserver votre bien-être et votre intégrité. Cela signifie que vos limitations les plus égotiques sont d'une façon ou d'une autre métaphoriquement et inconsciemment connectées à la préservation et à la protection du meilleur de vous-même, y compris votre nature spirituelle essentielle.

Bien qu'en fin de compte vous ne soyez pas votre ego, votre essence n'est pas sans forme et même les personnes éclairées ont une qualité d'expérience qui est teintée par leur type dans l'Ennéagramme. La plupart des gens considèrent que le Dalaï-lama est un homme spirituellement développé. Il est néanmoins 9. La qualité de ses pensées, ses préoccupations et ses valeurs sont fondamentalement 9.

Le problème rencontré par la plupart des gens n'est pas la présence de leur ego, mais l'effet hypnotique de ses déformations défensives ; pourtant ces déformations symbolisent leur potentiel spirituel. Jurer de surmonter ou d'éliminer votre ego, c'est rater l'objectif. Votre "faux" moi est votre vrai moi déguisé et chaque expression compulsive de votre type est l'expression déformée d'une motivation saine. Votre système de défenses est un obstacle pour l'expérience de votre essence ; paradoxalement, il est également le chemin y menant.

Il fut un temps, il y avait un dispositif de protection contre les cambrioleurs qui se vendait dans les grandes villes. C'était l'exacte réplique gluante et en plastique d'un chou en train de pourrir, équipée d'une porte invisible sur le côté. Pour protéger vos bijoux, il fallait ouvrir la porte, les cacher dans le chou vide et mettre ensuite le chou dans le bac à légumes de votre réfrigérateur. Si un cambrioleur fouillait votre appartement et dans votre réfrigérateur, il était repoussé par l'odeur du chou en décomposition et ne touchait pas à vos objets de valeur.

Parfois le changement est question de se souvenir où vous avez caché vos propres bijoux. Beaucoup d'intentions positives peuvent sembler insensées ou perverses avant que vous ne considériez que ce sont des moyens cachés pour maintenir votre intégrité et votre bien-être. Chaque fois que c'est possible, il est utile de retrouver l'origine saine d'une défense névrosée.

Souvenez-vous : votre ego ne sait pas en quelle année il vit. Quand vous êtes au summum de votre déformation ou de votre défense, vous répondez souvent à un dilemme de votre passé que vous avez inconsciemment en surimpression sur une situation actuelle. La plupart du temps, vous vous rendrez compte que vous avez à faire à une partie plus jeune de vous-même qui fait face avec les outils du passé de la meilleure façon qu'elle connaît. Les actions qui ne font pas sens à l'adulte font sens à la partie plus jeune de votre personnalité.

__________

Tom Condon vient de publier une édition augmentée de The Enneagram Movie and Video Guide et le premier volume de son nouveau livre The Dynamic Enneagram : How to Work With Your Personality Style to Truly Grow and Change sera bientôt sur les rayons. Pour obtenir des informations à sur les séminaires, les livres et les vidéos de Tom, contactez :

Katherine à The Changeworks
PO Box 5909 - Bend, Or 97708
téléphone : +1 (541) 382-1894 ; fax : +1 (541) 389-2031
ou visitez son site internet :
http://www.thechangeworks.com
Pour vos commandes, appelez le +1 (800) 937-7771.