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Sri Aurobindo (1872-1950)
Cullen Mc Voy (Traduction par Fabien Chabreuil)

Connu sous le surnom de "Yogi rebelle", Sri Aurobindo a créé les yogas "intégral" et "supramental". Cherchant à créer "la vie divine sur terre", il s'opposait à la volonté du yoga traditionnel de transcender le monde physique, y voyant une fuite et une pulsion de mort ; il prônait à la place une meilleure participation au monde physique1. Il a fait la synthèse du meilleur du monde oriental, la capacité d'introspection, et du meilleur du monde occidental, la capacité à agir2.

Il semble que Sri Aurobindo était un 6 contrephobique de sous-type sexuel à aile 5. Il manifestait les plus hauts niveaux d'intégration du 6 par sa croyance que la croissance spirituelle était l'œuvre collective de l'humanité et ne pouvait être achevée par une personne seule3 et par son approche concrète et pragmatique de l'illumination. Il est étrange que les 6 soient motivés par la peur mais, que dans leur recherche de la sécurité, ils aient un immense courage pour lever les voiles et examiner honnêtement le monde qui les effraie. C'est ce qu'il donnait l'impression de faire.

Au niveau moyen, il manifestait le profil 6 en agissant à la fois avec loyauté et avec sa contrepartie, la rébellion. Sa principale loyauté dans le monde matériel était envers sa patrie, l'Inde, et était combinée à une rébellion contre l'Angleterre dont l'Inde était à l'époque une colonie4. Son père l'avait envoyé faire des études en Angleterre et avait donné des consignes strictes pour qu'il soit isolé de toute influence indienne5. Mais à l'adolescence, il chercha ses racines, adopta sa culture originelle et à l'âge de 20 ans, il retourna en Inde pour y devenir un activiste politique militant pour l'indépendance de l'Inde6.

L'implication politique de Sri Aurobindo dura 15 ans et lui fit courir de nombreux risques personnels7. Il fut arrêté deux fois, évita de justesse la peine de mort et fut emprisonné pendant un an avant d'être acquitté contre toute attente8. Pendant tout ce temps, il paraissait peu concerné par le danger. C'est pourquoi s'il était un 6, nous pensons qu'il était contrephobique.

Son aile 5 était forte, au point qu'il aurait presque pu être un 5 à aile 6. Ses écrits ont un niveau d'abstraction caractéristique des 5. Il avait un air de détachement personnel qui n'était peut-être pas entièrement dû à son haut niveau d'accomplissement spirituel9 et il a passé les vingt-cinq dernières années de sa vie dans la solitude10.

Il avait l'appétit vorace des 5 pour les livres. Il lisait constamment des ouvrages en plusieurs langues et synthétisait ce qu'il apprenait de manière originale et profonde11. Mais ses motivations pour acquérir des connaissances étaient plus 6 que 5. La motivation des 5 pour apprendre peut les mener sur différentes voies. Ils s'intéressent à des sujets ouverts et leur évaluation des informations qu'ils acquièrent peut réorienter leurs recherches dans une nouvelle direction.

Les 6 ont tendance à garder l'œil fixé sur leur but et n'oublient jamais que leur poursuite de la connaissance a un objectif spécifique et le plus souvent pragmatique. Ils peuvent chercher ailleurs ou même changer d'objectif, mais uniquement quand l'ancienne approche ne marche pas ou ne répond pas à leurs attentes.

C'est ainsi que fonctionnait Sri Aurobindo. Il accumulait et analysait des informations pour pouvoir agir dans le monde matériel. Peu à peu, il devint désenchanté par la recherche extérieure d'informations et par l'analyse intellectuelle et comprit qu'elles ne pouvaient suffire à elles seules. Il réalisa que son esprit pouvait manipuler perpétuellement des informations, mais qu'il ne se rapprochait pas de Dieu pour autant12. Aussi, il cessa sa quête, écouta à l'intérieur de lui-même et apparemment y trouva des choses qu'il pouvait avaler sans mâcher.

D'une certaine manière, il devint aussi désabusé de son propre activisme politique, sa rébellion contre l'Angleterre en faveur de l'indépendance de l'Inde. Il évolua vers une approche plus fondamentale et en conclut que ce qui était nécessaire ce n'était "pas seulement une révolte contre l'Empire Britannique que n'importe qui pouvait entreprendre… mais une révolte contre la Nature universelle tout entière !"13 Cela devint évident en 1910 quand, peu après sa sortie de prison, il abandonna la politique, se détourna de son "yoga intégral" pour une forme de spiritualité plus haute qu'il nomma "yoga supramental" et s'associa avec une figure spirituelle légendaire semblable à lui, Mère14 [Note du traducteur : Mirra Alfassa (1878-1973)].

Nous proposons l'instinct sexuel à la fois par défaut et par choix. Nous excluons l'instinct de conservation parce qu'il était souvent oublieux de ses besoins physiques et de son confort15. Pour quelqu'un qui identifiait la spiritualité à la vie dans le monde réel, il n'était que peu préoccupé par la connaissance de ses besoins physiques16. Dire qu'il était de sous-type social sur la base de ses activités politiques serait une simplification abusive. Elles étaient plus motivées par sa loyauté envers son pays que par le désir de trouver une place dans la société. De plus, son isolation à la fin de sa vie aurait été difficile pour un 6 de sous-type social.

Il nous reste donc le sous-type sexuel. Sri Aurobindo était peu enclin à plonger dans des relations intimes, mais il créa un lien profond avec Mère. Il disait : "L'esprit de Mère et le mien sont identiques."17 De plus, les descriptions de ses comportements suggèrent une sorte d'intensité, de spontanéité, de focalisation proche qui serait sa manière de nouer des relations "1-1" dans le monde.

À quel point Sri Aurobindo était-il intégré ? Il a certainement montré l'esprit collectif du 6 intégré et a vécu, dans l'ensemble, une vie pleine et productive ; il semblait être présent la plupart du temps et a apporté beaucoup à son pays et à la théorie et la pratique du yoga. Mais je me demande quelle part de sa vie a été consacrée à travailler avec amour, que ce soit en accord avec son type dans l'Ennéagramme ou en le transcendant. Une partie de la réponse est donnée par le degré de congruence entre sa vie et ses croyances.

Cela me ramène aux vingt-quatre ans de solitude qu'il s'est imposée. L'isolement n'est pas compatible avec l'idée qu'il a défendu toute sa vie d'apporter "le ciel sur la terre". L'isolement, c'est justement ce qu'il reprochait aux autres yogis. Comme les relations avec les créatures vivant sur terre, et particulièrement les êtres humains, sont une part importante de la vie terrestre, on pourrait penser que le concept d'illumination terrestre doit inclure une grande appréciation de ces relations.

Sri Aurobindo a peut-être bien expérimenté et accompli beaucoup de choses durant sa période d'isolement ; il a correspondu avec ses étudiants et rencontré Mère et quelques-uns de ses disciples. Mais il n'empêche que la vie commence par un contact intensif avec le monde et les gens et s'achève par la solitude. En ce sens, le yoga de Sri Aurobindo ne lui a pas apporté "le ciel sur la terre".

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Notes
  1. Satrem, Sri Aurobindo or The Adventure in Consciousness (Mt. Vernon, WAk: Institute for Evolutionary Research, 1993), p. 2
  2. Ibid., p. 2.
  3. Ibid., p. 301.
  4. Ibid., p. 23.
  5. Ibid., p. 6.
  6. Ibid., pp. 10 et 23.
  7. Ibid., p. 23.
  8. Ibid., pp. 129, 136 et 190.
  9. Ibid., p. 24.
  10. Ibid., p. 250.
  11. Ibid., p. 8 et 24.
  12. Ibid., p. 25.
  13. Ibid., p. 271.
  14. Ibid., p. 271.
  15. Ibid., p. 24.
  16. Ibid., p. 24.
  17. Ibid., p. 250.