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Les alibis de l'ego
Antonio Barbato (Traduction par Pico Berkowitch)

Dans une lettre à l'éditeur publiée dans le numéro de février 2002 d'Enneagram Monthly, Scott Crowther suggérait l'utilisation du mot "justification" plutôt que "colère" pour désigner la passion du 1, puisque ceux qui appartiennent à ce type ont souvent tendance à se justifier pour donner l'impression qu'ils ont raison.

Je n'étais pas d'accord avec cette substitution, mais j'avais l'impression que Crowther était sur la piste de quelque chose d'intéressant. Je me suis demandé si un raisonnement du même ordre ne devait pas être appliqué non seulement au 1, mais à tous les autres types. Je suis d'avis que chaque type adopte une stratégie spécifique pour justifier son agressivité envers autrui et le reste de l'univers.

C'est une vieille idée qu'une fonction psychologique est sans cesse à l'œuvre en nous pour justifier nos actions et nous permettre d'exprimer notre agressivité sans trop culpabiliser. Otto Rank, l'un des premiers étudiants de Freud, déclarait en 1907 que "nous pouvons exprimer plus facilement notre agressivité, même si elle prend une forme passive ou résistante, à partir du moment où nous arrivons à rendre les autres responsables de notre comportement." Cette attitude de notre ego peut être comprise comme la manifestation d'une utilisation à demi consciente d'une stratégie prédéterminée s'appuyant sur une justification précise de nos propres actions. C'est comparable à une prise d'analgésiques qui atténuerait le contraste entre notre impulsion instinctive d'agression, celle que l'on définit généralement par le terme freudien mortido ou l'instinct de mort [cf. "Instincts, centre et sous-types", EM, novembre 2001] et les forces combinées que Peter O'Hanrahan a baptisées le système de défense [cf. "Le système de défense", EM, février 2000].

Il nous arrive de nous comporter d'une telle façon que nous encourrons un blâme social ou que nous choquons nos propres convictions morales. Par exemple, si nous nous engageons dans un comportement de type "prédateur" (en référence à l'expression de Baenniger), nous avons besoin d'un alibi, de quelque chose qui puisse justifier notre action à nos yeux, mais aussi à ceux des autres.

J'utilise le mot alibi parce que nous recherchons non seulement l'absolution, mais aussi à échapper au sentiment de culpabilité. Plus fort encore, nous avons besoin d'identifier une raison de faire porter le blâme de notre agressivité sur les épaules des autres : nous réagissons à ce que les autres nous ont faits et du coup, nous nous contentons de répondre par un acte d'autodéfense.

La perception des autres comme étant la cause de notre comportement joue comme un puissant adhésif qui nous empêche de nous détacher de nos réactions mécaniques et compulsives. De ce point de vue, les alibis pourraient être inclus dans l'ensemble des habitudes qui constituent ce qu'on appelle le système d'illusions : ce sont des astuces créées par notre ego pour compenser les pertes résultant du drame ou de la blessure originelle.

C'est aussi un des moyens par lesquels l'ego se protège de la possibilité de devenir complètement conscient de lui-même, ce qui l'amène à perpétuer le samsara (mot sanskrit qui décrit le voyage perpétuel à travers les cycles de naissance et de mort, jusqu'à l'obtention de la libération).

Afin de mettre en valeur la logique interne des alibis, je donnerai, pour chacun des types, des descriptions reflétant ce que j'imagine être leurs utilisations par des individus de développement moyen.

Le débat théorique sur le rôle et l'importance de l'agression

Le rôle de l'agression a été depuis toujours un sujet très controversé, que le débat sur la personnalité soit situé plutôt dans le champ des sciences sociales (philosophie, psychologie ou éducation) ou des sciences exactes (neurobiologie ou physiologie). Je pense que l'agressivité et sa relation à l'expression de nos instincts ne doivent pas être jugées comme bonne ou mauvaise [cf. "Instincts, centre et sous types", EM, Novembre et décembre 2001].

Des recherches récentes menées par des pédopsychologues (Restoin et al., Bulletin de Psychologie, 37, n° 365) ont montré que "l'agressivité est naturelle pour l'être humain et que, comme la perception de la douleur, elle est nécessaire pour que l'enfant construise un sens de la réalité." Dans une certaine mesure, on peut dire que l'agression est aussi naturelle que d'avoir deux bras et deux jambes. Donc, on ne peut juger cette agressivité naturelle comme moralement positive ou négative quand elle émane d'un ego relativement peu évolué.

Dans son ouvrage L'Homme agressif, l'éminent neurobiologiste français Pierre Karli analyse avec soin les origines neurobiologiques de l'agression en regard avec les différentes théories psychologiques qui leur correspondent. Il déclare qu'il est extrêmement difficile "d'exposer de façon claire, objective et calme l'ensemble des problèmes en rapport avec l'agressivité. On peut avoir l'estomac tout retourné, rien qu'à l'évocation des aspects intimes de cette question. Dans la vie ordinaire, la plupart des gens approchent ces problèmes par les schémas de pensées habituels ou par des clichés qui trouvent leurs sources dans des préjugés ou dans des mythes."

Dans cet article, je ne me concentrerai pas sur les détails des formes d'agression pour chaque type, mais je vais plutôt donner une courte description des différents alibis que chaque type utilise pour justifier son style d'agression.

Dans le but d'être le plus clair possible, il est utile d'expliquer au préalable les différences entre les alibis et les autres éléments qui appartiennent au système de défense.

Alibi et image idéale

L'image idéale de l'ego concerne tout ce que nous pensons que nous devons être pour acquérir de la valeur et une identité, alors que l'alibi est en rapport avec ce que nous pensons en termes négatifs des autres et de leurs actions. Un alibi constitue l'ombre ou la version négative si l'on fait la comparaison avec l'image idéalisée.

Par exemple, ce serait absurde pour un 3 de déclarer"Je réussis" si d'autres peuvent affirmer avoir rencontré le même succès. Cette affirmation ne peut acquérir un sens que si les autres échouent. Nous voyons donc ici comment un alibi fonctionne, en suggérant au 3 que les autres ne sont pas capables d'atteindre le résultat espéré.

Alibi et compulsion d'évitement

Les compulsions d'évitement sont en action quand nous essayons, inconsciemment, d'éviter certains sentiments ou expériences. Au contraire, par l'utilisation d'un alibi, nous ne réprimons plus nos sentiments négatifs, mais nous les justifions. Nous partons du principe que c'est la conduite des autres qui est responsable de nos réactions. À ce moment-là, nous affirmons, comme Jessica, le personnage du dessin animé Qui veut la peau de Roger Rabbit : "Je ne suis pas mauvaise, ce sont les autres qui m'y ont poussée."

Alibi et mécanisme de défense

Un mécanisme de défense opère automatiquement et inconsciemment en réponse à des menaces spécifiques à l'encontre de la personnalité, alors que l'alibi est une disculpation de nos sentiments et de nos actions agressives envers les autres. De plus, le mécanisme de défense est une manifestation de notre instinct de rétraction. Nous l'utilisons pour éviter quelque chose que nous n'aimons pas, tout en protégeant notre conscience d'une réalité déplaisante. L'alibi, par contre, est une expression de notre instinct d'expansion. Nous l'utilisons pour agir et nous exprimer librement dans le monde.

Ci-dessous, vous trouverez un mot-clef qui décrit le prétexte, ainsi qu'une courte phrase qui illustre la justification que chaque type utilise en préambule à un comportement agressif.

Type 1 : Manque de fiabilité (Vous n'êtes pas capables de vous contrôler, pas plus que de travailler autant que nécessaire, donc…)

Le 1 n'a confiance en personne et il pense qu'en général, les gens ne s'engagent pas vraiment à fond. En conséquence, les 1 s'emploient à contrôler les actions et la vie des autres. L'alibi ou la justification est que les gens sont paresseux, peu fiables et incapables de contrôler leurs besoins et leurs désirs et qu'ils ne peuvent donc pas partager le sens des responsabilités et de l'ordre des 1.

Les 1 sont bien conscients de l'effort physique et psychologique nécessaire pour arriver à maintenir un tel contrôle de soi. Beaucoup de 1 évoquent des expériences de leur enfance où ils n'étaient pas autorisés à faire ce que les autres enfants pouvaient faire. Après avoir eu des entretiens avec de nombreux 1, j'ai pu avoir une idée très nette de la profondeur de leur humiliation (leur drame originel ou blessure). Ils se souvenaient d'épisodes douloureux où on leur interdisait de se salir, d'avoir une glace ou un jouet qu'ils désiraient. Plus grave, ils n'avaient même pas le droit d'exprimer de tels désirs.

Le fait de comparer ses expériences avec celles d'autres enfants laisse une marque profonde dans le monde intérieur du 1. Il le pousse à se vouloir supérieur aux faiblesses des autres et à chercher à atteindre ce but par l'auto-contrôle et une absolue maîtrise de soi. Cette croyance encourage la tendance des 1 à être critiques et les autorise à expliquer aux autres ce que devrait être la bonne manière (la leur, évidemment) de vivre et de se comporter. Cependant, quand un 1 est convaincu que quelqu'un n'est pas fiable, il peut très bien inventer une forme alternative d'agression en érigeant une véritable barrière qui lui permet de se débarrasser de celui qui lui est désagréable, une façon de procéder similaire à "l'oubli" du 9.

Type 2 : Insensibilité (Tu n'es pas assez bon pour apprécier ou évaluer ce que je fais, donc…)

Le 2 est persuadé que sa bonne volonté et ses actions ne sont pas assez appréciées. Par conséquent, pourquoi devrait-il accorder de l'attention aux réactions ou aux semonces des autres, même quand ils ont raison ?

Les 2 peuvent avoir une attitude de défiance et de dédain pleine de dépit (similaire à celle des 1) envers ceux qui ne semblent pas capables de comprendre leurs motivations, leur bienveillance ou leur générosité. L'alibi du 2 est que ceux qui ne sont pas susceptibles de comprendre leur profondeur, ne méritent pas leur considération. C'est ainsi qu'un 2 réussit à ne pas percevoir consciemment sa capacité d'intrusion et son manque de respect envers les sentiments des autres.

Cet alibi est à l'image de leur drame originel ou blessure, la peur d'un abandon, réel ou imaginaire, qui fait craindre à tout moment à l'enfant 2 de perdre l'amour. De la même façon, être proche de quelqu'un devient dangereux, parce que trop d'intimité (ce que les 2 recherchent malgré tout sans cesse) implique le risque d'une séparation irrémédiablement douloureuse.

En ce qui concerne leur impulsivité émotionnelle et leur condescendance excessive envers leurs propres désirs, les 2 s'en prennent le plus souvent, à l'insensibilité des autres même si c'est eux qui l'ont provoquée.

Type 3 : Incapacité (Tu n'es pas capable d'atteindre mon niveau de réussite et tu es jaloux de mes aptitudes, donc…)

Les 3 pensent que tous ceux qui n'apprécient pas leur succès, ne partagent pas leur vision ou s'opposent à eux, les envient profondément. En particulier, les 3 sont persuadés que les autres ne sont pas capables d'atteindre le succès maximum, ou de le faire aussi bien qu'eux. Ils sont tous incompétents.

Cette motivation autorise les 3 à poursuivre leurs objectifs sans s'embarrasser de trop de scrupules ou de soucis moraux. Leur alibi est que les autres pourraient procéder exactement de la même façon, mais qu'ils n'osent pas parce qu'ils ne peuvent pas prétendre atteindre les mêmes résultats. De cette façon, l'idée que les autres puissent ne pas être intéressés par ce que font les 3, ou qu'ils puissent ne pas partager les mêmes valeurs ou opinions, est remplacée par la conviction de leur incapacité. Un 3 pense que si vous aviez son habilité, vous feriez comme lui, mais qu'il est clair que vous n'en êtes pas capable.

À un niveau plus profond, les 3 transfèrent la dépréciation dont ils ont souffert quand ils étaient petits (quand leur environnement ne semblait pas se préoccuper ou pire encore se moquait de leurs désirs d'enfants) en mépris des autres. Un enfant 3 ressent comme insupportable l'impossibilité d'atteindre le résultat espéré. La seule chance que cet enfant a d'échapper à ce problème est de ne rien espérer d'autre que ce qui lui est offert. À l'âge adulte, un 3 fera beaucoup d'efforts pour développer efficacité et habilité, jugeant très souvent avec sévérité ceux qui ont moins de capacité que lui.

Type 4 : Injustice (Tu ne mérites pas plus que moi, tu es vulgaire ou chanceux et donc…)

Calimero, un charmant mais infortuné poulet d'un dessin animé italien (il était l'unique avorton décharné au milieu d'une couvée parfaitement guillerette de poussins dorés), terminait chacune de ses mésaventures les bras en croix de désespoir : "C'est pas juste. Tout le monde est après moi parce que je suis petit et maigre", une incarnation parfaite du problème du 4.

Le sentiment d'un manque intérieur rend le 4 fortement conscient qu'il est différent des autres. S'il compare son état de manque à l'apparente abondance qu'il constate chez les autres, le 4 se sent aller de plus en plus mal. Et comme le 4 considère en secret que les autres sont plus superficiels ou insensibles que lui, l'injustice lui semble encore plus flagrante. Comment se peut-il que les autres puissent se payer tant de bon temps et sembler si chanceux, alors qu'ils n'ont rien fait de plus méritant ou de raffiné et qu'ils sont grossiers et superficiels ?

Une telle vision du monde peut pousser les 4 à penser que cette injustice doit être changée, même si cela implique parfois le recours à une agressivité extrême. Cette idiosyncrasie psychologique du 4 a été explorée en littérature et a donné naissance à de nombreux personnages aussi sinistres que Iago, Uria Heep ou la Cousine Bette de Balzac.

En particulier dans le cas du sous-type social, le 4 souffre d'une désorientation qui l'amène à éprouver des difficultés à blâmer un coupable extérieur qui mériterait son agressivité. C'est ainsi qu'un sentiment de malaise indéfini se trouve constamment perpétué, une forme de dépression obscure que les 4 n'arrivent souvent pas à dépasser. Cet alibi est en connexion avec la blessure originelle et peut être interprété comme un perpétuel cri de rébellion, le plus souvent inarticulé, devant l'injustice totale d'un enfant qui ne se sent pas aimé.

Type 5 : Indifférence (Tu ne comprends pas vraiment ce que je dis, tu ne m'es d'aucune aide, donc…)

L'agression du 5 se manifeste principalement à travers une résistance à l'agressivité et elle s'exprime par le retrait ou le refus de participer. C'est comme si le 5 était fataliste quant à sa capacité de se faire comprendre et même quand il se trouve en position de se faire comprendre, il n'y a pas de différence. Ce profond scepticisme à l'encontre de la possibilité d'une vraie communication est un aspect particulièrement important dans la vision du monde du 5. C'est cela qui lui procure la justification pour maintenir une façade extérieure de renoncement, bien qu'à l'intérieur se trouve une indifférence agressive envers les autres.

Un 5 croit essentiellement que personne ne veut donner ce qui pourrait avoir de la valeur et donc à quoi cela servirait-il de s'impliquer ? C'est de cette façon que le drame originel ou la blessure se manifeste pour les 5 qui lorsqu'ils étaient petits, non seulement ne recevaient pas grand-chose, mais subissaient aussi froideur et indifférence en réponse à leurs appels à l'aide.

Si un enfant pleure et exprime son désespoir (ce que fait un 4), il existe une chance qu'il soit entendu et aidé ; mais s'il se rend compte que personne ne s'y intéresse ou ne l'écoute, l'enfant 5 va se contracter et abandonner tout espoir de communiquer. Emily Dickinson a exprimé ce sentiment dans un poème :

Le silence est tout ce que nous craignons
Une rançon existe dans une voix
Mais le silence est l'Infini

Avec son habituelle concision, Dickinson exprime sa perception subtile de la réalité dans le dernier vers "Mais le silence est l'Infini" par lequel elle suggère une vision dramatique, mais aussi très terre à terre de l'existence. Elle permute l'ordre des mots pour communiquer son expérience quotidienne, celle d'un silence intérieur qui devient obscurément infini.

Type 6 : Calcul (Tu n'agis pas avec spontanéité, mais d'une manière savamment calculée, donc…)

Aussi surprenant que cela puisse sembler, le 6 est le plus viscéral de tous les types. Le 6 a un instinct naturel du danger et est capable de percevoir physiquement la force des autres. Le 6 répond en choisissant soit l'attaque, soit la reddition, les deux pôles opposés de la peur.

L'évaluation viscérale par instinct de conservation est évidente dans le comportement animal, une attitude complètement naturelle, pas une passion, tant que cet instinct n'est pas conditionné par une insécurité provenant du drame originel. Mais à partir du moment où l'enfant comprend son besoin de trouver de la protection auprès de ceux qui sont plus forts que lui, il réalise aussi qu'il a le besoin de se protéger de tout. Le danger peut surgir de partout. C'est à cette condition que la peur peut se transformer en passion. En conséquence, les 6 apprennent à considérer le monde comme une immense partie d'échec, dans laquelle chacun se positionne d'une manière calculée et dans son propre intérêt, de façon ouverte ou pas. Cette hypothèse est en partie exacte, mais les 6 lui accordent trop d'importance, en présupposant que le comportement de tous est motivé par le calcul et ils justifient donc leurs propres actions comme un moyen de révéler les vraies intentions des autres.

Et même dans les cas où les 6 sont apparemment acceptés par les autres, ils ressentent qu'il en est ainsi uniquement parce que cela peut servir à autre chose. Et puisque décider de ce qui peut servir ou pas peut se décliner dans une infinité de combinaisons suivant l'inspiration du moment, la peur ne s'arrête jamais. Les circonstances se modifient sans cesse et avec elles, la nécessité compulsive de la réassurance. C'est pourquoi la plus grande part de l'agressivité et de l'esprit de compétition chez les 6 dissimule un désir de mettre la main sur la preuve que rien n'est changé dans la relation aux autres (associés, famille, groupe) et que rien ne changera jamais dans le futur.

Type 7 : Indulgence (Tu ne peux pas être blessé ou offensé par ce que je te fais, donc…)

J'ai éprouvé pas mal de difficultés à comprendre un aspect contradictoire des 7. J'ai été profondément étonné de constater à quel point ils peuvent être agressifs envers les autres sans se rendre compte de leur comportement. Tout aussi étonnant est la capacité des 7 d'être confiants et vulnérables, préparant ainsi le terrain pour des déceptions majeures.

Nombreux sont les 7 qui défendent et justifient leurs comportements à coups d'arguments rationnels, mais ils ont tendance, en même temps, à minimiser les graves conséquences de certains de leurs choix. Presque à chaque fois, leurs entretiens se terminaient par quelque chose du genre : "OK, la prochaine fois, je ferai plus attention. Je m'exprimerai mieux ou j'essaierai de changer… Mais après tout, j'ai aussi fait ce que j'ai cru être le meilleur pour les autres." Le drame originel du 7 est le bonheur forcé et derrière ce comportement, on trouve un enfant habitué à être traité avec indulgence.

Le côté négatif de cette indulgence est qu'elle fut donnée pour quelque chose d'autre que le nécessaire soutien émotionnel. Il en résulte une difficulté à évaluer émotionnellement les situations. Puisque les 7 ont une bonne dose de complaisance envers eux-mêmes, ils ont tendance à prendre pour argent comptant des explications un peu légères, plutôt que de plonger dans des situations plus gênantes qui pourraient les amener à devoir faire face à des vérités fort peu plaisantes.

L'idée de base des 7, en contraste complet avec celle de leurs voisins 8, c'est que les autres vont accepter d'autant plus facilement des comportements discutables qu'un accrochage éventuel pourrait ainsi être évité. Ceci encourage les 7 à dissimuler leurs véritables pensées derrière un sourire ou un bon mot. Leur tendance à rechercher un rafistolage rapide, quitte à tordre le cou à la vérité, provient de leur désir de pacifier les drames et de maintenir une bonne atmosphère. Pour ce faire, une promesse facile, même si elle n'est destinée qu'à rester une promesse, peut s'avérer suffisante pour calmer la tempête. Si ce truc ne marche pas, les 7 peuvent devenir très agressifs et se justifier avec l'excuse d'avoir essayé, par tous les moyens possibles, d'éviter la dispute.

Type 8 : Illégitimité (Tu n'as pas le droit ou tu ne mérites pas le pouvoir de me faire cela, donc…)

Rage et agression ouverte sont des traits identifiés comme appartenant au 8, mais il y en a peu parmi eux qui sont conscients que ce qui alimente ce processus est une anxiété dévorante. Lorsque j'étais en train d'investiguer les racines de cette anxiété, j'ai réalisé qu'elle était liée à un problème d'identification à une image mythique du père. Dans ma propre famille étendue, le type 8 était celui qu'on rencontrait le plus souvent chez les mâles et j'ai donc eu maintes occasions d'écouter d'interminables histoires puisque les 8 aiment beaucoup parler d'eux-mêmes. Ce qui me frappait le plus dans leurs histoires, plus que leurs omniprésents récits d'enfance maltraitée, c'était la différence dans leurs perceptions des dits abus.

Certains 8 ont subi pendant des années des épreuves auxquelles aucun enfant ne devrait jamais avoir à faire face et pourtant ils associent l'enfance à un temps heureux. D'autres au contraire avaient pleinement conscience d'avoir souffert. Cette opposition liée aux souvenirs de l'enfance doit être reliée, semble-t-il, aux différents rôles joués par leurs pères.

Parmi les 8, ceux qui pensent que leur enfance était généralement heureuse, se souviennent de leur père comme d'un homme fort et déterminé, qui leur a appris à ne jamais abandonner, à faire face bille en tête aux épreuves de la vie. Que le 8 soit homme ou femme, ce père bienveillant mais dur le soumettait à d'incessants tests et dépravations. En guise d'exemple, vous pouvez jeter un coup d'œil sur le chapitre consacré à son père par Gurdjieff dans Rencontres avec des Hommes Remarquables.

Les 8 qui considèrent que leur enfance fut pénible, avaient soit un père qui était faible, à moins qu'ils l'aient perdu à la suite d'un décès, d'un abandon, de longues absences ou d'autres circonstances de ce genre. Ils étaient malgré tout soumis à une figure autoritaire et brutale, éventuellement celle de leur mère, qu'ils percevaient comme abusive.

Si l'on examine le rôle que le père a pu jouer dans les années formatives, on se rend compte que les 8 ont dû être fortement influencés par la façon dont ils percevaient la force de leur père. Un père tyrannique mais non doté d'une force intérieure, devenait une caricature de l'autorité légitime et finissait par être détesté. Dans de nombreux cas, le comportement ambivalent du père fournit la base d'une croyance dans l'injustice et l'hypocrisie des autres. Au contraire, un père fort et conséquent, même s'il se trompait de temps en temps, était considéré comme un modèle et quelqu'un dont les décisions devaient être acceptées.

Chez l'adulte 8, ces deux attitudes se mélangent en une vision des actions des autres comme étant souvent illégitimes, injustes et motivées par des intentions dissimulées. Cet alibi peut auto-justifier ses propres comportements, qui ne sont pas perçus alors comme l'expression d'une agressivité mais plutôt sous la forme d'une revanche légitime contre le monde.

Type 9 : Fragilité (Tu es trop faible pour faire ceci ou supporter cela, donc…)

Dans la littérature psychologique, le type qui correspond au 9 est celui qui est le moins susceptible de manifester de l'agressivité. La personnalité passive-agressive décrite dans le DSM et dépeinte par Wilhelm Reich comme masochiste dans sa classification des caractères, correspond au type 9. En réalité, les 9 ont autant de capacité que les autres d'avoir une mauvaise opinion d'eux-mêmes et ils entretiennent en secret des sentiments agressifs envers eux.

Leur alibi principal est semblable à celui du 1, à cela près que les 9 n'ont pas de modèle à imposer. Ils se contentent de tenter de résoudre les problèmes de manière pratique et obligeante. Les 9 croient, plus encore que les 2, que les autres ont toujours besoin d'aide et ne peuvent y arriver par eux-mêmes.

Les 9 sont parfaitement conscients du prix qu'il faut payer pour cette attitude en termes d'effort et de stress ; ils sont également conscients de l'étendue de leur insatisfaction qu'ils dissimulent derrière une façade serviable. Mais ils vont retenir leur rage en utilisant un alibi en rapport avec la fragilité des autres. Cette renonciation compulsive est si forte que les 9 peuvent être bousculés au-delà de ce qui serait intolérable pour tous les autres types, tout en s'estimant plus chanceux et moins en manque que leurs amis proches. Quoi qu'il en soit, les 9 sont parfaitement capables d'assumer et d'entretenir un entêtement agressif manifesté par une attitude résolue, sans toutefois exprimer directement leur agression.

Les 9 peuvent se montrer ouvertement agressifs à partir du moment où ils sont persuadés d'avoir perdu ou si les principes auxquels ils tiennent le plus sont contestés. Ces réactions témoignent de l'effet à long terme de leur blessure originelle. La renonciation est acceptée dans le but de maintenir l'amour et sur base de valeurs éthiques inviolables, dans le cas où ces conditions basiques sont violées, elle devient absurde.

Considérations additionnelles

Mon ami, Jack Labanauskas qui est un esprit billant, tant que la politique ou la bourse ne sont pas abordées, a suggéré que les alibis pourraient constituer une liste de projections négatives. C'est en partie vrai puisque les alibis appartiennent à notre représentation mentale du monde. Mais une simple projection négative du monde m'amènerait à nier ma propre agressivité, ce qui me maintiendrait dans un état de transe. Or l'alibi me sert de signal d'autorisation à penser que mes agressions sont causées par les actions des autres, ce qui me procure une splendide excuse dans n'importe quelle situation.

Une autre amie, Maria Molinotti, un professeur de thérapie par le théâtre et d'Ennéagramme, a attiré mon attention sur le fait que les alibis sont étroitement liés au mécanisme de déni, décrit par Helen Palmer à propos du 8. Dans les deux cas, alibi et déni, notre attention est si complètement en activité que les motivations des autres personnes ne sont pas prises en considération. C'est certainement vrai mais nous devons garder à l'esprit que les 8 utilisent le déni essentiellement pour éviter la douleur, pas pour justifier leurs propres comportements.

Enfin, mon épouse Giovanna a suggéré que, dans la vie quotidienne, différents alibis peuvent être utilisés dans différentes circonstances. Plutôt que de rattacher un alibi différent à chaque type, nous devrions parler de celui qui prévaut pour chaque type. C'est une bonne idée puisque les alibis sont interchangeables mais, de la même façon que pour les neuf passions, l'un d'entre eux est dominant pour chaque type. D'une certaine façon, chaque alibi colore nos perceptions, nous procurant ainsi une vision particulière du monde et des autres.

Bibliographie

  • Rank O. "Annuary of Psychoanalysis" 1907.
  • Baenninger R. "Some aspects of predatory behavior in Aggressive Behavior" vol.4
  • Restoin A. and others in "Ce que peut apporter l'éthologie à la connaissance du développment des comportements sociaux de l'enfant" in Bulletin de Psychologie, 37.
  • Karli P. "L'homme aggressif", Edition Odile Jacob.
  • Karli P. "The biology of aggression" ediz. Sijthoff and Noordhoof
  • Palmer H. "L'Enneagramma" ediz. italiana Astrolabio Editore
  • Gurdjieff G.I. Incontri con Uomini Straordinari ediz.italiana Adelphi Editore.
  • Freud S. "Oltre il Principio del Piacere" ediz.italiana Newton Compton.
  • AA.VV. in Enneagram Monthly