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Étude de l'ennéatype de Philippe Bouvard
Jérôme

L’émission « Un jour – Un destin », diffusée par France 2 le 7 décembre 2014, était dédiée à Philippe Bouvard. C’est une opportunité intéressante pour découvrir sa personnalité au travers de témoignages de dizaines de personnes qui l’ont côtoyé dans différents contextes de sa vie privée et professionnelle, et à différentes époques.

Il est lui-même interviewé lors de rétrospectives et, à la fin de l’émission, il répond aux questions de Laurent Delahousse. Sur l’ensemble des témoignages de l’émission, la plupart sont directement utilisables et convergent pour décrire les mécanismes de l’ennéatype 3. Cet article tente de l’illustrer.

Philippe Bouvard

Un cas représentatif

Le 1er février 1987, Philippe Bouvard devient directeur de France Soir. Ce chapitre est appelé « La consécration » dans le documentaire et il illustre tous les mécanismes de l’ennéatype 3 (les témoignages de ce paragraphe sont laissés dans l’ordre du documentaire).

On note tout d’abord l’identification à un modèle de réussite :
« Il espérait un jour accéder au fauteuil de Pierre Lazareff, 100 rue Réaumur, où se trouvait France Soir qui avait un tirage extraordinaire. »
« Dans sa tête, dans son cœur, dans son âme, son ambition, il se dit : je serai le successeur de Pierre. »
« Toute la vie de Philippe Bouvard a été fixée sur la carrière de Pierre Lazareff : Lazareff roulait en Bentley, Bouvard voulait lui aussi rouler en Bentley. »
Un modèle qui avait bien identifié ses capacités « marketing »
« Sa promotion est un symbole, pour celui à qui Pierre Lazareff avait conseillé de suivre une carrière commerciale. »
Le centre émotionnel est bien là quand il atteint son orientation et vit sa fierté :
« C’était presque une messe d’aller dans le bureau de Lazareff. »
« Et là, il se met à pleurer, parce qu’il se rend compte ce que ça fait d’être dans le fauteuil de l’homme qu’il avait tant admiré. »
« C’est sûrement le moment où il a pensé que sa vie était une réussite. »
« C’était une telle fierté, c’était énorme. »
Mais l’activité au service d’une nouvelle réussite reprend vite le dessus pour éviter l’échec :
« Passée l’émotion, Philippe Bouvard se met immédiatement au travail pour relancer un quotidien en perte de vitesse »
« Comme souvent avec Philippe Bouvard, il y a intérêt à ce que ça aille vite, c’est-à-dire à ce que l’on comprenne vite ce qu’il veut. »
Et quand la compulsion d’évitement de l’échec s’active, le centre émotionnel bascule parfois :
« Il n’y mettait peut-être pas les gants. »
« Philippe était adoré, détesté, il ne laissait pas indifférent. »
« Je me souviens une fois où il m’a refait faire un papier sept fois : “C’est nul, ça ne veut rien dire, on ne comprend rien, vous n’accrochez pas le lecteur.” J’ai hurlé dessus intérieurement. »
« Il pouvait être exigeant, extrêmement cassant. »
Son style de communication « propagande » transparaît :
« Il voulait des titres accrocheurs. »
Il sait motiver les autres pour qu’il puisse atteindre ses objectifs :
« Quand il est content de nous, quand il voit qu’on s’investit, il y a un petit papier dactylographié qui dit “bravo pour votre papier sur…”, alors il mettait lui-même le nom, et “vous avez une prime de […]” qu’on retrouvait sur notre salaire en fin de mois. »
Il continue de multiplier les activités pour avoir autant de chances de réussites :
« Malgré sa charge de travail, Philippe Bouvard ne veut en aucun cas abandonner ses émissions quotidiennes que ce soit à la radio ou à la télévision. »
« Il a un emploi du temps millimétré, 9 h ce n’est pas 9 h 01. »
« Il détestait attendre parce que, pour lui, c’était des minutes vides, du temps perdu »
« Il a horreur des vacances. Son seul but dans la vie, c’est le travail. Il n’a que ça, que ça, que ça. »
Sans travail, plus de réussites, plus de regards positifs des autres, c’est le vide identitaire :
« La boulimie du travail le sauve d’une inquiétude métaphysique. »
« Il a peur de se regarder dans la glace, peur de son ombre, difficile de se retrouver seul, il court après son ombre. »
La vanité et l’affichage de la réussite s’allient à des solutions pour maximiser le temps de travail :
« Pour vivre plusieurs vies en une, Philippe Bouvard travaille de 16 à 17 h par jour. »
« Il voulait une voiture-bureau, pour transporter son bureau et ne pas perdre de temps. C’est toujours le même principe de travail et d’efficacité. »
« Il y avait un chauffeur, une vitre de séparation, écritoire, téléphone, télévision, magnétoscope, c’est tout juste s’il n’y avait pas un lavabo. »
« Lui qui adorait frimer, là, c’était le sommet »
« Il lui arrivait de dormir dedans.
[…] C’était sa chambre et son bureau tout à la fois. »
Mais l’ego mène souvent à une impasse ; à vouloir trop en faire, il n’a pu éviter l’échec :
« Les ventes du journal continuent à décliner, et l’actionnaire décide de mettre un terme à son contrat seulement deux ans après son arrivée. »
Que sa compulsion cherche pourtant à éviter à tout prix :
« Ça n’a pas dû lui faire plaisir, c’est probablement la première fois qu’on le remerciait. »
« Il ne supporte pas l’échec, il l’a très mal vécu. »

Au-delà de ce cas particulièrement représentatif, le documentaire détaille les différents mécanismes de l’ennéatype 3.

Orientation : capacité à réaliser et à réussir

L’émission commence par la découverte d’un dossier sur un possible enlèvement de Philippe Bouvard par Jacques Mesrine. Trois témoignages situent la réussite de Philippe Bouvard à cette époque, à la fin des années 1970 :

  • « Faut pas oublier qu’à cette époque, Bouvard était quand même le journaliste numéro 1 en France, c’était la superstar, hein ! »
  • « C’est vrai qu’à une époque, il était partout, il dirigeait France Soir, il était à la télévision, à la radio, dans la presse, oui c’était une omniprésence. »
  • « Il n’y avait pas d’équivalent : c’était à la fois celui qui gagnait le plus d’argent et celui qui avait l’aura médiatique la plus forte. Il impressionnait. »

Ses réussites illustrent régulièrement le reportage :

  • « Il reçoit le grand prix de l’Académie de l’humour. »
  • « Ça faisait rire la France entière. », « C’est une émission qui rendait les gens intelligents tout en s’amusant. », « Le triomphe est tel qu’il n’est plus question pour l’animateur d’arrêter Les Grosses têtes. »
  • « Le théâtre de Bouvard en lui-même pulvérisait tous les records d’audience. », « La Deux, pour la première fois de son histoire — et ça sera la seule fois — passe devant la Une pour le journal télévisé. »
  • « C’est lui qui avait gagné, c’est lui qui revenait parce que son public lui avait demandé de revenir. », « Il y avait à la fois la fierté bien entendu, et à la fois l’émotion. », « Il a eu le triomphe extrêmement modeste. », « Ça a été son triomphe absolu, c’est son triomphe. »

Fierté de réussite et d’efficacité

La recherche d’efficacité est détaillée par sa femme et ses filles :

  • « Tout était comme ça, découpé, minuté, il était dans l’efficacité maximum, et les rapports familiaux étaient minutés aussi. », « Il était très exigeant. Ses enfants devaient être là quand lui avait le temps, ça pouvait durer dix minutes, une demi-heure. »
  • « Il voulait une voiture bureau, pour transporter son bureau et ne pas perdre de temps, c’est toujours le même principe de travail et d’efficacité. »

Réussite par le travail

La réussite s’obtient avant tout par le travail. Les témoignages qui suivent détaillent son ascension au Figaro, son premier emploi de coursier au service photo qu’il obtient grâce à l’aide d’un copain :

  • « J'ai vu arriver un jour dans la salle des informations générales, un gamin, un gamin vraiment très pétillant, un gamin blagueur, farceur, rigolo, rigolard, et à l’occasion, certains confrères dont j’ai peut-être été lui disent : “Tiens Philippe, tu veux nous rendre un petit service, va nous chercher un paquet de pipes au bistrot d’à côté.” »
  • « À chaque fois qu’on le sollicite, le jeune homme sait se montrer disponible. »
  • « Il était partout, toujours à l’écoute. », « Tous les confrères ont senti que Philippe Bouvard, le gamin, le gamin pétillant, c’est un surdoué, il était tellement content d’entrer dans un journal. », « Il travaillait tout le temps, il y a un moment même il disait qu’il amenait son sac de couchage pour ne pas louper un truc. »
  • « On lui demandait d’ajouter quelques lignes sur les photographies. Au début ces quelques lignes, c’était effectivement une ou deux lignes, et puis petit à petit, c'est devenu des articles. », « Et tout d’un coup, ben, le voilà journaliste avec nous. Au début bien entendu il fait comme nous tous, il gratte la dépêche, comme on dit, mais on remarque très vite qu’il la gratte avec un talent exceptionnel, avec une rapidité, avec une facilité d’écriture. »
  • « Le talent différent et singulier de Philippe lui permet au bout d’un an d’avoir des missions qu’on donne habituellement à des gens beaucoup plus expérimentés. »
  • « Il ne refusait rien, il était prêt à tout couvrir. »
  • « Un an après son arrivée au journal, Philippe Bouvard décroche à 23 ans sa première carte de presse. »

Il participe ensuite rapidement à sa première émission de télévision :

  • « Il a bossé, y’a rien à faire, ce n’est pas improvisé, bien entendu, tout ça était préparé, mais Philippe il travaille, c’est l’homme des fiches, il ne fait rien comme ça à l’improviste. Il peut très bien improviser, il a assez d’esprit, mais là ,on voit bien, c’est du boulot. »

Sa famille passe après le travail, et fait même en sorte de lui permettre de se concentrer sur son travail :

  • « Mais Philippe Bouvard consacre peu de temps à sa vie de famille, accaparé par sa soif de reconnaissance professionnelle. »
  • « Sa femme a fait en sorte de lui faciliter beaucoup de choses, la vie domestique, l’éducation des enfants, de sorte qu’il n’ait à s’occuper que de son métier. »
  • Sa femme : « Il n’y avait pas de jours fériés, pas de samedi, pas de dimanche, il a la passion de son métier et vraiment, son métier est sa plus grande maîtresse. », « On est le balai de la quille de curling, on doit faire que la vie, que le quotidien soit doux et facile pour lui, c’est-à-dire qu’il n’y ait rien qui vienne entraver le travail, c’est un boulot à plein-temps. », « Le quotidien de la vie, il ne veut pas en entendre parler, tout doit rouler pour qu’il perde le moins de temps possible (chemises déboutonnées, ceinture enfilée, chaussures cirées et chaussettes à côté). »

Tout au long de sa vie, il multiplie les activités pour multiplier les chances de réussites : journaliste, animateur radio, animateur de télévision, directeur de troupe du Petit Théâtre, écriture de plus de 60 livres, direction de France Soir, direction du cabaret Bobino, etc.

Le travail sert à assurer la réussite, et la réussite visible par les autres à définir son identité (voir plus bas les mécanismes d’identification et de mensonge identitaire). Dès lors, arrêter de travailler équivaut à perdre cette reconnaissance et cette identité. Alors qu’il a 80 ans et continue Les Grosses têtes, sa femme dit : « Il veut continuer à travailler, malgré ses ennuis de vue et d’ouïe. Il essaie de surmonter tout ça en s’organisant pour continuer à travailler, car pour lui ne plus travailler est un gouffre sans fond. » Quatre ans plus tard, la direction de RTL « prend la décision pour lui, car il ne la prendra jamais lui-même », la fin de sa présentation des Grosses Têtes est programmée. Philippe Bouvard se réfugie derrière l’humour : « Bon, d’habitude je ne vais pas aux enterrements, mais là comme c’est le mien, je suis obligé. »

  • Enrico Macias : « Pour lui, franchement je n’exagère pas, c’est une première mort. »
  • Le directeur de RTL : « Si vous regardez bien dans ses petits yeux, on verra bien que l’homme est forcément fort triste. »
  • Sa fille : « Il ne veut absolument pas s’arrêter. Pour lui, retraite rime avec défaite, et on n’en sortira pas. »
  • Son autre fille : « S’il s’arrête, c’est sa mort annoncée. »
  • Jacques Chancel : « C’est le ciel qui l’arrêtera, ou le diable, ou les deux, mais lui ne peut pas s’arrêter. », « Il y a un côté Molière, mourir en scène chez Philippe. »
  • Philippe Bouvard : « On ne m’avait jamais donné à vivre un événement aussi stressant. »

Meneur d’hommes pour réussir

La réussite ne peut pas toujours s’obtenir seul, et le 3 sait motiver les autres pour atteindre ses objectifs, il a souvent l’âme d’un manageur :

  • « Philippe Bouvard était un directeur de la publication [journal du lycée] qui s’imposait à tous les camarades. »
  • « Il avait un véritable pouvoir, avec cette page, c’était un peu le roi du monde. »
  • Il devient chroniqueur à la télévision puis intervieweur de personnalité – Alain Delon en équilibre sur une chaise et un trapèze, lui sur une échelle : « Encore une fois, Philippe Bouvard va trouver des artifices pour se démarquer. », « C’est un metteur en scène. », « Il invente, il transforme, il transgresse. », « C’était une manière de pouvoir prendre le dessus sur les gens qu’il interviewait. »
  • « Il s’impose comme le chef d’orchestre incontestable de cette bande de sociétaires… »
  • « Il était malheureux car quand il s’est retrouvé dans l’émission de Ruquier, il a pris pleinement conscience qu’il n’était plus le maître du jeu. », « Ruquier, c’était le patron, et Bouvard avait l’âme d’un patron, alors forcément ça ne pouvait pas fonctionner. », « C’est là qu’il a beaucoup souffert, il n’était plus qu’un des figurants de l’émission. », « Je ne sais pas si c’était conscient, mais il avait une manière de vouloir prendre le pouvoir, de s’installer dans l’émission d’une manière un peu spécifique. »

Compulsion d’évitement de l’échec

« Il ne supporte pas l’échec », témoigne sa femme, alors pour l’éviter il l’anticipe et change d’objectif avant que l’échec ne soit constaté. Par exemple lors de la première transposition des Grosses Têtes à la télévision, en 10 minutes avant le journal de 20 h : « Les audiences ne sont pas au rendez-vous, et comme souvent, Philippe Bouvard se rend compte qu’il faut passer à autre chose, que s’il continue comme ça de toute façon on ne lui laissera pas longtemps. »

Lorsqu’il est inévitable, il le minimise, par exemple à la fin du Théâtre de Bouvard après trois années de succès : « Bon, n’exagérons rien, ça n’est pas terrible, ça n’est pas dramatique, mais c’est un peu triste pour nous et peut-être pour vous, parce que c’est ce soir notre dernier rendez-vous. »

Lors de sa brève éviction des Grosses Têtes en 2000, la pilule passe plus difficilement : « On lui retire son enfant, la chair de sa chair radiophonique. », « C’est un coup de poing, un coup de poignard dans le dos, dans le cœur, c’est une gifle gigantesque. », « J’ai cru qu’il allait s’effondrer », « Il a d’abord le sens du devoir, il devait pour les auditeurs aller au bout de la saison. », « Je le retrouve à la sortie de la rue Bayard, il est seul, on a passé la soirée ensemble, et j’ai eu en face de moi quelqu’un de profondément triste, mais je sentais dans l’homme, dans son regard, qu’il était profondément blessé. »

Mais l’échec ne l’arrête jamais, il sait rebondir et se remotiver rapidement, depuis le début de sa carrière après des études ratées et une absence de diplômes dont il souffre toujours aujourd’hui : « Malgré trois échecs au Bac et le renvoi d’une école de journalisme, il a toujours l’ambition de devenir un grand auteur. »

Bascule de l’émotionnel

Comme déjà illustré ci-dessus dans l’exemple de sa présidence de France Soir, le centre émotionnel bascule quand la réussite n’est pas au rendez-vous. Une autre situation le montre, quand la seconde semaine du Petit Théâtre de Bouvard ne se montre pas à la hauteur de ses ambitions :

  • « Lors de cette session, Philippe se rend compte des limites de l’improvisation. », « Il y a eu des sketches qui étaient soit moins drôles soit où la mayonnaise n’a pas pris tout de suite. », « Il y avait fatalement du déchet. »
  • « J’ai souvenir d’un Philippe Bouvard fou furieux qui nous dit : “Mais vous ne vous rendez pas compte les moyens qui sont mis à votre disposition, il y a 5 caméras, du public, on déplace une vedette pour venir vous juger, et voilà ce que vous avez fait ! À partir de maintenant je veux voir les sketches avant qu’ils soient enregistrés.” »
  • « On est passé de l’improvisation à l’improvisation contrôlée, et chaque sketch préalablement validé par le présentateur avant le tournage. », « On propose à Bouvard qui dit “oui très bien”, “non, vous n’allez pas le faire comme ça, vous allez le faire comme ça.” », « Bouvard dit, sans aucun commentaire : “Vous, Monsieur, vous m’intéressez ; vous, vous ne ferez pas carrière.” », « C’est en gros “je prends, je jette”, et il fallait que ça aille vite, c’était dit de manière un peu expéditive et il n’y avait pas matière à trop tergiverser. »
  • « Il a une tension d’abord parce qu’il n’a pas le temps, son chauffeur l’attend, pour le ramener au journal, parce qu’il a autre chose à faire. Après il a une émission de radio, alors quand il arrive, c’est très concentré. »

Question identitaire

Lorsque son centre émotionnel bascule, le 3 n’accède plus à ses émotions ni à celles des autres, il se connaît mal et vit un grand vide identitaire.

Mécanisme de défense d’identification

Le 3 répond à sa question identitaire en s’identifiant à ses réussites, et aussi parfois à d’autres personnages par exemple Pierre Lazareff (cf. supra).

Le début du reportage détaille une identification majeure dans la vie de Philippe Bouvard : « Il sait parfaitement ce qu’il veut être plus tard, et ce depuis un épisode vécu sur la Côte d’Azur. », « À 8 ans, Philippe Bouvard se retrouve avec ses parents en vacances, et il voit un homme sortir d’une grosse voiture, un homme aux cheveux blancs, un homme très beau, assez mince, d’un certain âge. Il a demandé à ses parents qui c’était et ce qu’il faisait, et quand il a su que c’était un poète, il a cru, peu de temps, que les poètes gagnaient excessivement bien leur vie. », « Cette rencontre avec Jean Cocteau a servi de révélateur. À partir de cet instant, Philippe veut se lancer dans l’écriture. »

Comme pour souligner ce problème identitaire, ces propos sont illustrés à l’écran par le livre de Jean Cocteau : La difficulté d’être.

Passion de mensonge à lui-même

L’identification à la réussite ou à des figures de réussite éloigne le 3 de ses propres désirs, et pour lancer le reportage, Laurent Delahousse dit : « Son secret principal est probablement qu’il a toujours rêvé d’autre chose, d’une autre vie. »

Philippe Bouvard va toute sa vie faire le grand écart entre ce qu’il aurait voulu être, à savoir un grand écrivain, un homme de lettres, et ce qu’il a été en favorisant la recherche de réussite. Dans la fin des années 1970, il dit lors d’une interview télévisée :

— Pourquoi vous avez le sentiment de ne pas être pris au sérieux, et peut-être avez-vous la réponse ? Pourquoi n’êtes-vous pas pris au sérieux ?
— J’avais rêvé d’être comme vous l’êtes maintenant, directeur de journal, et puis j’ai essayé de l’être et je ne l’ai pas été. Alors il y a effectivement sinon une réussite apparente, au moins j’ai eu l’air de faire beaucoup de choses et de les faire pendant un certain temps, mais en fait ça ne m’a absolument pas satisfait parce que j’ai été assez loin sur une route, mais ce n’est pas sur cette route-là que j’aurais aimé marcher.

À cette époque, pour marquer son regret, il aurait souhaité comme épitaphe : « Ci-gît Philippe Bouvard qui fut journaliste et ne fut que cela. » Suite à cette interview, il cherche à recadrer son image vers ce qu’il cherche à faire, en animant le journal non-stop de 13 h où il invite des hommes politiques : « Il a envie de montrer qu’il n’est pas seulement l’amuseur et le journaliste léger qu’on connaît. », « Pour cela il fallait qu’il réforme son image, il fallait qu’il gomme le côté saltimbanque du présentateur d’émission de variétés, pour devenir un journaliste sérieux et de haut niveau. » C’est le contraire de ce que l’auditoire attendait. Il a fallu arrêter le journal. Il est avant tout un homme de divertissement. « Donnez-lui un jeu ! » dit le directeur de la station.

Dès 1947, avant même d’avoir un métier, il avait monté une pièce de théâtre qu’il a écrite pour démontrer qu’il était un auteur dramatique à part entière, avec la troupe Les compagnons de Figaro, président fondateur Philippe Bouvard. Le succès est mitigé.

Plus tard, sa femme et sa fille témoignent : « Il aurait voulu être un grand romancier, mais on ne peut pas tout faire. », « Un romancier, il doit prendre le temps, et donner le temps au temps, chose qu’il a beaucoup de mal à faire. », « Je pense qu’il aurait aimé être aimé plus pour son talent de plume que pour son côté amuseur, il aurait rêvé être Sacha Guitry. »

Une grande adaptabilité

L’identification aux autres ou à des rôles amène une grande aptitude à l’adaptabilité chez le 3 qui est souvent appelé le « caméléon » de l’ennéagramme.

Lors de sa première télévision, un confrère rapporte : « Je trouve qu’il a une facilité déconcertante. », « Maîtrise de la voix, maîtrise du comportement, il ne bégaie pas, c’est comme un comédien qui maîtrise très bien son rôle. »

La nouvelle émission qu’il anime depuis 2014, après Les Grosses têtes, est partie d’une idée à lui de « parler de tous les sujets avec tout le monde ».

Oubliant sa propre personnalité, il endosse ses rôles de manière congruente et convaincante. C’est la fameuse « orientation marketing » du 3 :

  • « Il s’est même fait renvoyer avec la mention “est plus doué pour les carrières commerciales”. »
  • Pierre Lazareff, qui ne l’embauche pas à France Soir : « Vous êtes fait pour le commerce, jeune homme. »
  • « Philippe Bouvard s’est mal vendu ce jour-là. »

L’adaptabilité à différents interlocuteurs nécessite de rester neutre et discret quant à sa propre personnalité, voire de compartimenter les contextes de la vie pour que les différents rôles n’aient pas à interférer.

  • « Il n’a jamais voulu se dévoiler et a choisi le masque de l’humour. »
  • « En 1973, Philippe Bouvard totalise déjà plus de 20 ans de carrière, il est un journaliste connu et reconnu, et néanmoins très secret. », « Plus que secret, je pense que c’est quelqu’un de pudique, qui ne se livre pas facilement, et pas à n’importe qui. », « La vie et la carrière de Philippe Bouvard son très compartimentées, c’est-à-dire qu’il y a d’un côté le Philippe professionnel, de l’autre côté le Philippe privé, qu’on ne connaît absolument pas. », « On voyait jamais ses enfants dans le studio, sur le lieu de travail, ni sa femme Colette, jamais, jamais, jamais. C’est deux vies très séparées. »
  • « Au sein de la rédaction, il est un journaliste investi dont on ne sait finalement pas grand-chose. », « Sur le plan privé, aussi bien des opinions politiques que des choix religieux, ou autres, de la vie sentimentale, il était quand même d’une très grande pudeur et d’une très grande discrétion. »

Préférant le centre émotionnel, la vérité du 3 est dans l’instant, et ses opinions politiques et choix religieux sont en effet adaptables aux objectifs du moment, comme en témoignent son baptême et sa position vis-à-vis de François Mitterrand :

  • « Seulement, Philippe Bouvard n’a rien dit de sa judéité, il choisit donc de se faire baptiser en toute discrétion. »
  • Sa femme : « Je ne l’ai su qu’après, je n’ai rien su avant. »
  • « Le 12 mai 1981, il était l’homme le plus triste de France. »
  • « Finalement, il trouvait beaucoup de qualités à François Mitterrand. » Il avait choqué l’opinion en rédigeant son article « Incroyable, je suis devenu mitterrandiste », qui lui a cependant permis de rencontrer le Président d’alors, assouvissant sa soif de rencontres de personnes importantes.

Sa devise elle-même a bien changé au cours de sa vie :

  • Dans les années 1970 : « —  Quel est votre rêve ? Quelle est votre devise ? — Eh bien, c’est de vivre aussi bien et aussi longtemps que ceux qu’on appelle mes victimes. J’y suis presque parvenu. »
  • Interviewé par Laurent Delahousse : « Je m’étais fixé un double objectif : “Mourir jeune et laisser un grand livre.” Je n’aurais réussi aucun des deux. »

L’adaptabilité et la soif de réussite poussent parfois aux vrais mensonges, par exemple avec le petit Théâtre de Bouvard, alors que tous les sketches sont préparés : « Philippe Bouvard ne laisse plus de place au hasard, et pourtant à l’antenne il entretient l’illusion de l’improvisation. », « Souvent Philippe leur indiquait par un petit signe le petit papier à tirer. »

Fixation de vanité

Le 3 a besoin du regard des autres pour répondre à sa question identitaire. Ses réussites doivent par conséquent être visibles et reconnues. Cette recherche du regard des autres est très présente chez Philippe Bouvard.

Dès le lycée, il publie un journal vendu 3 francs et tiré à 100 exemplaires : « Le but était de capter l’attention des autres sur des sujets communs. »

Il voulait arrêter Les Grosses têtes peu après leur lancement : « En septembre 1977, le dispositif de l’émission change, l’animateur s’installe dans le grand studio, l’enregistrement a lieu désormais en public. D’où réactions, rires, applaudissements qu’il n’y avait pas forcément dans le petit studio du début, et l’émission s’envole. »

Il est d’abord important de se faire connaître :

  • « Pour se faire connaître, Philippe Bouvard disait ce soir je suis à tel endroit, tel endroit, tel endroit, et ses copains appelaient à tel endroit. Quelqu’un disait “on demande M. Philippe Bouvard au téléphone”, “c’est moi !”, et c’est comme ça qu’il s’est fait connaître auprès du Tout-Paris. »
  • « Il était partout, c’était le furet. »
  • « Il a inventé, bien avant tout le monde, le fait que l’animateur lui-même devient une vedette. »
  • « Il imagine, écrit et met en scène à la télévision. », « Il est désormais seul à présenter une émission de variétés dans laquelle il joue des sketches. »

Puis il faut montrer sa réussite :

  • « J’ai beaucoup frimé pendant une partie de ma vie, je m’étais fixé de vivre au moins aussi bien que les gens qui disaient du mal de moi. »
  • « Cette réussite, Philippe Bouvard ne s’en cache pas, bien au contraire. En avril 1962, il reçoit un journaliste de télévision dans sa grande maison du Vésinet. », « Quand il s’est mis à gagner beaucoup d’argent, il a voulu dire : “Ben voilà, vous voyez, vous me vouliez à peine pour écrire les rubriques des chiens écrasés dans les journaux, et ben vous voyez ce que je suis devenu.” »
  • « Il allait dans les palaces, il était reçu à droite à gauche, ah oui il avait un peu la grosse tête, quoi. », « Il a eu assez tôt du personnel pour s’occuper de sa maison. », « Il a eu très vite une voiture avec un chauffeur, ce qui n’était quand même pas banal pour un jeune homme. »
  • « C’était, je pense, indispensable, il ne pouvait pas avoir l’air minable face aux gens qu’il interviewait, il fallait qu’il se mette à leur niveau, et ça crée une familiarité qui était très importante pour arriver à avoir ce qu’il voulait au cours des interviews. »
  • « Il était quand même très fier et content qu’on lui donne la Légion d’honneur, mais il a trouvé que c’était un peu tardif. », « À 76 ans, le journaliste peut enfin afficher cette reconnaissance qu’il a cherchée toute sa vie. »

Il peut aussi utiliser les autres pour sa propre réussite, en l’occurrence Jacques Martin et Jean Yanne : « La force de Philippe c’est d’exploiter les personnages qu’il a devant lui. Il sait les valoriser et se servir d’eux à son profit. »

La réussite se vérifie dans le regard des autres, et pas seulement le regard :

  • « Nombre d’hommes auraient aimé avoir les femmes qu’il a eues dans sa vie. »
  • Jean Pierre Coffe : « Ce n’était pas Cary Grant, mais il avait le pouvoir, il avait l’argent, il était connu. »
  • Sa femme : « La séduction, c’est une réussite. C’est quand même une fierté pour un homme d’être séducteur. »

Il n’y a cependant pas d’engagement dans ces relations. Philippe Bouvard dit lui-même : « Je pratiquais ce que les joueurs d’échecs appellent la prise en passant, ce que Jean Yanne appelait les furtifs. »

Mécanismes avancés

Au-delà du type de base, qui identifie un trait principal de personnalité parmi neuf, le modèle de l’ennéagramme décrit des mécanismes plus subtils, parmi lesquels : les variantes, les sous-types et les ailes.

Variante 3 mu

Un centre mental bien visible

Le centre mental est très visible chez Philippe Bouvard, à travers sa passion pour la littérature et pour la culture abondamment illustrée précédemment.

Il se manifeste aussi par l’usage permanent de l’humour, souvent provocateur, qui peut le faire passer pour un 7 :

  • Un camarade de classe : « Il était déjà ironique, sarcastique, pas toujours très gentil. »
  • « De l’amusement, mais aussi une plume féroce. [...] Il imposait son style, sa patte, son ironie. », « Gentiment incisif, c’est des petites griffes, il se moque aussi des gens. »

Le centre mental amène aussi la confiance en soi et le sang-froid : « Bouvard a toujours gardé un sang-froid extraordinaire. C’est une qualité, il aurait pu être commandant de bord… »

Le centre mental n’étant pas réprimé indique une variante 3 mu.

Un centre émotionnel bien caché

Le 3 préfère le centre émotionnel et le réprime également lorsqu'il bascule. Ce centre n’est donc pas forcément visible, surtout dans la sphère professionnelle, comme le souligne Laurent Delahousse : « Il y a souvent les bons mots, souvent le masque, souvent le trublion, mais rarement l’émotion avec vous. »

Dans la vie privée, sa fille témoigne : « C’est un père qui travaille beaucoup, mais en même temps ce n’est pas un papa absent, pour moi. Ce n’est pas un père qui jouait avec moi, mais il discutait beaucoup, il s’intéressait. Toujours très affectif, câlin. »

Mais même dans son travail, ses interlocuteurs ont pu percevoir son côté émotionnel dans des circonstances particulières de réussite ou de difficulté.

Le passage de son père biologique qui est revenu le voir pour profiter de sa notoriété est une blessure qu’il racontait avec une certaine amertume. « En fait, c’est un grand sentimental. »

Lors de la dernière du Théâtre de Bouvard : « On voit un monsieur ému… qui réalise peut-être à quel point il a créé une belle aventure et à quel point il a permis à tous ces jeunes inconnus d’exploser. », « On était un peu rigolard et forcément un peu triste, et Philippe incontestablement, il marque le coup. »

Jean Pierre Raffarin, revenant sur la Légion d’honneur : « Je l’ai senti honoré et amusé, conscient, mais distant, peut-être qu’il y avait une larme, ce n’est pas impossible, mais elle était à l’intérieur et bien cachée. »

Une forte émotion était visible lors de sa dernière des Grosses têtes en 2014 : « Il était très très très ému. » Jacques Balutin le voit pour la première fois au bord des larmes.

Un centre instinctif réprimé

Il est difficile de parler d’une forte répression du centre instinctif tant Philippe Bouvard a fait de choses dans sa vie. Il dit quand même que son père, qui était tailleur, était étonné qu’on puisse aussi bien et aussi vite gagner sa vie « en écrivant et en parlant seulement ».

Lorsque Philippe Bouvard parle du jeu, il dit :

  • « Le jeu, c’est le risque immobile : vous n’avez pas pu être explorateur, vous n’avez pas été soldat, vous êtes derrière un tapis vert. »
  • « J’ai échangé beaucoup d’argent contre un peu d’adrénaline. »

Sa fille témoigne : « Ce n’est pas un père qui jouait avec moi, mais il discutait beaucoup, il s’intéressait. »

Sous-type social « Prestige »

Instinct social

Philippe Bouvard a cherché toute sa vie à rencontrer et à se faire connaître de personnes célèbres ou influentes, probablement poussé par son instinct social qui dans le cas du 3 associe la réussite à la notoriété de ses relations.

Avec un brin de vanité, il précise : « Dans le carnet mondain je pense avoir évoqué 220 personnalités parisiennes très importantes. »

  • « Il fait venir les plus grandes stars de la chanson, du cinéma, du théâtre, de la littérature, du sport. »
  • « Il n’était pas impressionné par les artistes, c’est lui qui nous impressionnait. »
  • « “RTL non-stop” devient la plateforme sur laquelle il faut être pour être connu. »

François Mitterrand lui demande de venir lui rendre visite :

  • « Philippe Bouvard aime l’idée de se retrouver devant le président de la République. »
  • « Les hommes de pouvoir sont des hommes qui le fascinent. Rencontrer des gens qui vont rester dans les livres d’histoire, pour lui, c’est essentiel. »
  • « Il est surtout fasciné par les gens qui ont du charisme et qui ont réussi, voilà. »
  • « Il est assez heureux, je crois, au fond de lui-même, de recevoir la Légion d’honneur d’une manière que personne d’autre ne connaîtra, c’est-à-dire dans cette extrême intimité du bureau du Premier ministre. »

À la fin de l’émission, il qualifie sa réussite d’abord par ses rencontres :

— Que reste-t-il du gamin de 8 ans qui avait vu sortir Cocteau d’une belle voiture ?
— Il reste une vie à laquelle rien ne me donnait droit, ni la naissance au foyer de petits commerçants, ni le physique, ni la culture, et finalement j’ai eu une vie avec des rencontres exceptionnelles, dans des lieux prestigieux, avec une liberté presque totale dans ma profession, ce qui est peut-être le luxe suprême, encore aujourd’hui.

Autres instincts

L’instinct de conservation est visible par l’accumulation de biens matériels. Il dit être rassuré par tous les livres qui l’entourent dans sa bibliothèque.

L’instinct sexuel est aussi actif, bien que moins visible, notamment au travers des nombreuses conquêtes évoquées ci-dessus.

Ailes 4 et 2

L’aile 4

L’aile 4 est visible dès le lancement du reportage : « Son secret principal est probablement qu’il a toujours rêvé d’autre chose, d’une autre vie. »

Il se mésestime et envie ceux qui réussissent mieux que lui, à commencer par son identification fondatrice à jean Cocteau, mais pas seulement.

  • — Philippe Bouvard, vous aimez-vous ?
    — Eh bien, je vais vous surprendre, non !
  • — Quel est votre rêve, quelle est votre devise ?
    — Eh bien, c’est de vivre aussi bien et aussi longtemps que ceux qu’on appelle mes victimes, j’y suis presque parvenu.
  • « J’ai beaucoup frimé pendant une partie de ma vie, je m’étais fixé de vivre au moins aussi bien que les gens qui disaient du mal de moi. »

La mélancolie se manifeste par de la tristesse ou des regrets lorsqu’il ne se sent pas assez reconnu :

  • Après sa première éviction des Grosses têtes en 2000 : « J’ai eu en face de moi quelqu’un de profondément triste, mais je sentais dans l’homme, dans son regard, qu’il était profondément blessé. »
  • À son arrivée dans l’émission de Laurent Ruquier sur Europe 1 après cette éviction, lorsqu’il n’est plus qu’un chroniqueur parmi d’autres, Isabelle Alonso se rappelle : « Son arrivée était un peu tristounette, j’avais envie de lui tendre la main, de le prendre dans mes bras et de lui dire “ça va aller”. »
  • « Il était quand même très fier et content qu’on lui donne la Légion d’honneur, mais il a trouvé que c’était un peu tardif. », « À 76 ans, le journaliste peut enfin afficher cette reconnaissance qu’il a cherchée toute sa vie. »
  • Avant la dernière des Grosses têtes : « C’est ça qui le fait vivre. », « Si vous regardez bien dans ses petits yeux, on verra bien que l’homme est forcément fort triste. »

L’aile 2

« Il était plus pervers qu’agressif, il avait une façon de pousser les gens à la faute, il le faisait très bien, il les amenait exactement là où il voulait, d’ailleurs il le disait, je ne pose jamais une question quand je ne connais pas la réponse. » Pour amener les gens « exactement là où il voulait », Philippe Bouvard associe à ses mécanismes égotiques de 3 ceux de son aile 2. Il emploie fréquemment la flatterie, par exemple pour présenter ses invités à chaque émission des Grosses têtes, et d’une manière général lors de ses interviews. Son image en bénéficie parfois : « Ça l’a rendu beaucoup plus sympathique. », « C’était quand même l’homme bon qui a ouvert la télé à des jeunes comme un “papa gâteau”. »

Image qu’il aurait également aimé avoir : « Je ne m’aime pas. D’abord je ne m’aime pas physiquement. J’aurais aimé le physique du Saint Bernard qui apporte du réconfort à tout le monde. »

Aidé par son humour parfois acide, il a aussi utilisé le dédain, comme il le reconnaît aujourd’hui, et dit même le regretter : « Je ne suis pas convaincu que j’ai été toujours été très bien, parce que, et vous l’avez vu dans les images, là, je me suis moqué de gens qui n’avaient pas toujours de la défense, parce qu’en fonçant vers la réussite et vers l’argent j’ai perdu de vue certaines valeurs. »

La répression de ses besoins pour servir sa réussite est aussi visible : « À chaque fois qu’on le sollicite, le jeune homme sait se montrer disponible. » Il évoque régulièrement le service de l’auditeur, du spectateur ou d’une tierce partie pour justifier son exigence auprès de ses collègues ou acteurs autrement qu’en son nom propre, par exemple : « Mais vous ne vous rendez pas compte des moyens qui sont mis à votre disposition : il y a 5 caméras, du public, on déplace une vedette pour venir vous juger, et voilà ce que vous avez fait ! »

Conclusion

Philippe Bouvard présente donc les mécanismes de l’ennéatype 3 mu, sous-type social, ailes 4 et 2.

Sa fille résume son orientation : « Il a réussi quand même énormément de choses. »

À 84 ans, il s’identifie fortement à son travail pour réussir et évoque le vide identitaire que représenterait l’absence de travail, avec la présence de l’aile 2 à travers la peur qu’on ait plus besoin de lui :

— Vous avez vécu une forme de fuite en avant permanente, en travaillant, en travaillant, et finalement en comblant quoi ? C’était quoi ? La peur du vide ? Pourquoi ce travail acharné ?
— Alors c’était une discipline de vie, c’était la seule façon de réaliser mes objectifs, et aujourd’hui je ne sais rien faire d’autre que de travailler alors que je suis menacé de ne plus travailler un jour. Quand je serai hors d’état de le faire ou qu’on aura plus besoin de moi, et ça, c’est ma hantise, je redoute ce moment-là, ce sera peut-être ma première mort.

Son propos lors de l’interview finale en dit long sur vide que l’essence représente encore pour lui, et sur l’identification à ses mécanismes égotiques :

— Est-ce que vous en avez fait des bêtises ?
— Ah oui, beaucoup de bêtises, je regrette de ne pas en avoir fait davantage, parce qu’en vieillissant je m’aperçois que l’on n'existe que par rapport à ses vices quand on n’a pas une personnalité exceptionnelle, ce qui est mon cas. Mais ces vices, on les perd en vieillissant, et ce qui vous donnait une espèce de relief vis-à-vis de la société, ou de vos proches, ou de vos amis, et bien disparaît.

Cette vision du monde basée sur la recherche du regard des autres ne l’a pas quittée, il la projette même sur le « créateur » quand Laurent Delahousse, qui a bien perçu son orientation de réussite et sa fixation de vanité lui demande :

— « C’est quoi l’essentiel finalement, Philippe Bouvard, ces voitures, cet argent, cette maison, cette notoriété ?
— « Non, pas du tout, ce serait la nature dont le spectacle me rend de plus en plus admiratif et me fait poser une question sans réponse, à savoir : “Qui le créateur a-t-il voulu épater en créant des milliers d’espèces animales, des centaines de milliers de fleurs ?” Je veux dire que je suis de plus en plus admiratif d’un spectacle que je verrai jusqu’à la fin, car il se déroule à mes pieds. »

Avant de conclure l’interview avec une pointe de flatterie et de mélancolie au service de la vanité : « Écoutez, je souhaite que lorsque j’aurai disparu, on dise autant de bien de moi que ce soir. Grâce à vous, on en a dit quand j’étais encore vivant. »