Scroll To Top

Sur la route de Madison
Analyse

Francesca Johnson (Meryl Streep) : 4

Le type 4 a une problématique autour du sens de l’identité que Francesca résume très bien dans la lettre qu’elle a laissée à ses enfants : "Ce qui devient de plus en plus important, c’est d’être connue, connue pour tout ce que l’on a été durant ce bref séjour. Comme c’est triste, il me semble, de quitter cette terre sans que ceux que vous aimez le plus aient jamais su qui vous étiez vraiment." Quand elle a fait l’amour pour la première fois avec Robert, elle ne peut exprimer ce qu’elle ressent qu’en termes d’identité : "Et dans ce moment-là, tout ce que je croyais vrai sur moi jusque-là disparut. Je me comportais comme une autre femme et pourtant j’étais moi plus que jamais."

Francesca a le goût du beau. Seule de sa famille, elle écoute de la musique d’opéra. Elle parle avec Robert du poète Yeats. Elle est fascinée parce que Robert est descendu du train à Bari simplement "parce que c’était ravissant". Séparée de Robert, elle pense ainsi à leur relation : "Comme nos vies auraient changé si je l’avais fait ! Quelqu’un d’autre aurait-il pu en voir la beauté ?" Dans la grande série "Faites ce que je dis, pas ce que je fais", elle donne ce dernier conseil à ses enfants : "Faites tout ce que vous pouvez pour être heureux dans cette vie, il y a tant de beauté."

Évidemment, Francesca cherche et aime la différence. "Oh, je ne vous trouve pas si normal" dit-elle à Robert et dans sa bouche, c’est un compliment. De même, elle a aimé enseigner "quelquefois […] lorsqu’on tombe sur un élève qui arrive à faire la différence." C’est d’ailleurs un objectif de vie : "Je sais que chacun devrait faire la différence, mais ce n’est pas le cas." Lors de la querelle du quatrième jour, elle reproche à Robert de la traiter comme il a traité toutes les autres et de la considérer comme une "femme simple". Il la rassure : "Vous êtes tout sauf une femme simple."

Francesca brave le qu’en-dira-t-on : elle rejoint Robert un soir pour aller photographier un des ponts couverts malgré les risques de rumeur ("Je m’en moque"). Cela ne l’empêche pas par ailleurs de ne pas être sûre d’elle. Par exemple, quand elle a mis sa nouvelle robe et que Robert la regarde admirativement, elle s’inquiète aussitôt : "Qu’est-ce qui ne va pas ?"

Francesca a des difficultés à exprimer ce qu’elle ressent… même au chien : "Pourquoi tu m’aimes tant ? Tu sais que je ne t’aime pas", lui dit-elle tout en le câlinant et l’embrassant. Cela l’amène à dire à Robert qui lui offre des fleurs : "Sauf que celles-là sont vénéneuses."

La vie quotidienne lui pèse sans qu’elle l’avoue. Elle fait mécaniquement et silencieusement les tâches de la vie courante, apparemment en retrait dans ses pensées et ses émotions. Elle a tendance à repousser ce qui est proche d’elle au nom d’un idéal lointain et inaccessible. "Je sais que cela a l’air horrible, mais il me tardait que vous partiez", dit-elle quand sa famille part à la Foire d’État de l’Illinois. Pour cette raison, elle ne peut être heureuse là où elle est :

  Robert : Vous aimez vivre dans l’Iowa, je présume.
  Francesca : Je sais ce que normalement je devrais dire : oh c’est très bien, tranquille et les habitants sont très gentils […] et je les respecte pour toutes ces qualités [long silence] mais… [long silence]
  Robert : Mais ?
  Francesca : Et bien, c’est loin de ce dont je rêvais quand j’étais jeune.

Elle ne peut pas non plus réussir son mariage : "Personne ne voit. Lorsqu’une femme fait le choix de se marier et d’avoir des enfants, d’une certaine façon son amour commence, mais d’une autre façon il se termine."

On sent bien que c’est toujours le même mécanisme qui la conduira à ne pas suivre Robert : "La minute où nous quitterons cet endroit, tout va changer" ou "[Notre amour] je veux le garder pour moi, je veux t’aimer comme je le fais maintenant pour le reste de ma vie. Si nous partons, nous le perdons" ou "L’amour n’obéit pas à nos espérances. Son mystère est pur et absolu. Ce que Robert et moi avions ne pouvait pas continuer si nous étions restés ensemble."

Identification avancée : Francesca est un 4 de sous-type social ("Honte").

Robert Kincaid (Clint Eastwood) : 9

Calme ! Pas grand-chose ne peut faire perdre son sang-froid à Robert Kincaid. Quand il rencontre Francesca pour la première fois et lui demande son chemin, il écoute avec le sourire et sans une trace d’impatience ses explications alambiquées et confuses. Dès ce moment-là et tout le long du film, une part importante de son discours n’est constitué que de reformulations de ce que lui dit Francesca ; il ne peut guère y avoir de conflit quand on se contente de répéter les propos des autres.

Pour éviter les conflits, Robert est même prêt à douter de ses sens :

  Robert : [Leur voiture vient de croiser un chien blanc.] C’est le méchant chien jaune dont vous m’avez parlé ? Il est jaune blanc.
  Francesca : Non. Il est jaune.
  Robert : [silence]

Cette absence de conflit, cette acceptation inconditionnelle, c’est ce qui lui fait aimer l’Afrique : "Aucun jugement n’est porté là-dessus. Vous savez, il n’y a aucune morale imposée. C’est juste comme c’est." C’est aussi ce qui l’a conduit jusqu’à la rencontre avec Francesca au non-engagement émotionnel :

  Francesca : Vous n’avez besoin de personne.
  Robert : J’ai besoin de tout le monde.

Et plus tard :

  Francesca : Vous ne pensez jamais aux autres.
  Robert : Mais je vous ai dit. J’aime les autres personnes.
  Francesca : Mais personne en particulier.
  Robert : Je les aime toutes de la même façon.

Pire que l’engagement émotionnel, il y a la possessivité : "Il me semble qu’il y a vraiment trop de « C’est à moi. » et de « Il ou elle est à moi. » Il y a trop de « Je tire un trait. » Ce genre de choses, vous voyez."

Il y a deux disputes entre Robert et Francesca dans le film. Il a provoqué la première ("Vous voulez quitter votre mari") et l’interrompt en s’excusant plusieurs fois et en quittant précipitamment la maison. La seconde est déclenchée par Francesca et la seule chose qu’il peut faire est de lui demander plusieurs fois d’arrêter.

Robert est content et résigné. Il vit largement dans le passé. Il porte des toasts "aux soirées d’autrefois". Il est sans regret : "Les vieux rêves étaient de bons rêves. Ils ne se sont pas réalisés mais je suis content de les avoir eux." Il ne se bat pas réellement pour amener Francesca à le suivre ; ce sera un rêve non réalisé de plus, simplement plus beau, plus fort, meilleur que les autres. Il est étonnant de voir à quel point il lui demande peu et il lui propose peu.

Robert ne se connaît guère, n’est pas conscient de ses motivations ; il se sait un homme ordinaire et s’accepte comme tel contrairement à Francesca :

  Francesca : Vous aimez vraiment ce que vous faites, n’est-ce pas ?
  Robert : Oui.
  Francesca : Pourquoi d’après vous ?
  Robert : Ben, j’en sais rien. Je ne pense pas que les obsessions aient des raisons. C’est pour ça que ce sont des obsessions.
  Francesca : Vous parlez comme un artiste.
  Robert : Non, je ne dirais pas ça. Le National Geographic aime les photos très nettes et sans commentaire personnel si possible. Je m’en fiche vraiment mais je ne suis pas un artiste. C’est un inconvénient d’être trop bien réglé, trop normal.

Dès lors qu’il aime Francesca, il est fusionnel avec elle : "À tout ce que je ressentais, à tout ce que je désirais, il s’abandonna.", écrit-elle. Il est conscient de ce phénomène qu’il ressent comme un idéal : "Maintenant, nous ne serons plus jamais deux personnes distinctes et tu sais combien de personnes cherchent ça toute leur vie sans jamais le trouver."

Identification avancée : Robert est un 9 α de sous-type sexuel ("Union") à aile 8.

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Michael Johnson (joué par Victor Slezak), le fils de Francesca, est un 6 α. Le type apparaît clairement au début du film quand il apprend que sa mère veut que son corps soit incinéré. Il est immédiatement extrêmement nerveux et anxieux et se réfère à la norme, puis au groupe :

  Michael : C’est dingue. Je ne connais personne qui se fasse incinérer.
  Carolyn : Ça se fait beaucoup.
  Michael Personne dans ma famille ne le fait.

Il entre alors dans le soupçon ("Peut-être que Maman délirait ce jour-là.") puis dans la recherche d’une justification logique à son refus ("Si elle voulait se faire incinérer, pourquoi laisser Papa acheter deux places au cimetière").

Plus tard, il s’indignera que sa mère ait pu faire l’amour avec Robert et là encore, il s’attache avant tout au respect des règles et des convenances : "Dans la chambre de Papa !"

Le film raconte son intégration jusqu’à l’émouvante scène finale avec sa femme.

Richard Johnson (joué par Jim Haynie), le mari de Francesca, est un 1. Écoutons comment Francesca le décrit au cours d’une conversation avec Robert :

  Robert : Quel genre d’homme ?
  Francesca : Il est très correct et…
  Robert : Correct ?
  Francesca : Oui. Non. Je veux dire… [rires] Il a d’autres qualités aussi. Il est très travailleur, très attentionné, honnête. Il est gentil. C’est un bon père.
  Robert : Et il est correct.
  Francesca : Oui, correct.
Retour à la
description du film