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Un cœur en hiver
Analyse

Stéphane (Daniel Auteuil) : 5

Le personnage de Stéphane est tout à fait caractéristique d’un 5 désintégré.

Stéphane a une expertise technique qui est sa vie. Luthier de génie, il construit et répare des violons le jour, il dort dans sa boutique, il répare la nuit des automates musiciens. Dans le cadre de cette compétence, il est perfectionniste : quand il répare le violon de Camille, celle-ci est satisfaite du résultat obtenu ; cela ne l’empêche pas de continuer de réfléchir à l’instrument et de trouver un moyen d’en améliorer encore la sonorité.

Stéphane parle peu et surtout pas pour dire des banalités. Une des choses qu’il apprécie dans sa relation avec Maxime, c’est qu’elle nécessite peu de paroles : "Maxime et moi, on se comprend sans se parler", "Maxime ne me pose pas de questions et c’est très bien comme ça." Quand Stéphane parle, c’est presque toujours avec une grande économie de mots et en évitant de prendre position. L’idéal bien sûr serait le silence :

  Stéphane : J’entends des arguments contradictoires et tous valables.
    […]
  Camille : On ne pourrait plus parler de rien.
  Stéphane : C’est une tentation en effet.

Camille perçoit bien tout ce qu’il y a de peur et de défense dans cette attitude :

  Camille : Évidemment si on parle, on s’expose à dire des conneries. Si on se tait, on ne risque rien, on est tranquille. On peut même paraître intelligent.
  Stéphane : Peut-être simplement qu’on a peur.

Quand il s’agit de parler de lui, il est encore plus laconique si c’est possible :

  Camille : Vous avez toujours vécu seul ?
  Stéphane : Oui, en général.

Ou :

  Camille : Vous n’avez jamais été amoureux ?
  Stéphane : Ça a dû m’arriver.

Ou encore :

  Camille : Vous n’aimez pas beaucoup parler de vous ?
  Stéphane : Ah non.

Le silence de Stéphane ne cache pas la recherche d’informations typique du 5. Stéphane pose beaucoup de questions aux autres. Mais surtout, il est toujours en position d’observateur. Daniel Auteuil le montre en permanence par un regard qui est sans doute la caractéristique du personnage qu’on retient le plus. Si par contre, les informations ne l’intéressent pas, Stéphane décroche immédiatement. Au café avec Camille, celle-ci commence à parler d’elle ; au bout de trois phrases, elle est obligée de s’interrompre : "Je sens que votre attention se relâche." Elle parle plus tard de ce mécanisme à Régine : "Quand il est là, il est là et puis pfft… C’est comme si je n’existais plus."

Derrière tout cela, il y a une incapacité totale à avoir une vie émotionnelle. "Vous faites comme si les émotions n’existaient pas" lui dit Camille et il confirme plus tard : "Vous ne comprenez pas Camille. Vous parlez de sentiments que je ne ressens pas, qui n’existent pas. Je n’y ai pas accès."

Cette infirmité émotionnelle l’empêche d’avoir de vraies relations avec les gens, même ceux qui lui sont les plus proches. Ni avec Hélène la libraire et pourtant sa confidente dont on devine qu’elle l’aime : "C’est quelqu’un que j’apprécie, avec qui je m’entends bien." Ni même avec Maxime :

  Stéphane : Il n’y a pas d’amitié entre Maxime et moi.
  Camille : [Abasourdie] Pas d’amitié ?
  Stéphane : Non. Nous sommes des partenaires. Depuis toutes ces années, on se complète. C’est l’intérêt de chacun bien compris.
  Camille : Mais lui vous considère comme son ami.
  Stéphane : [Long silence et haussement de sourcils] Je ne peux pas l’en empêcher.

C’est lui que se chargera de l’anesthésie de Lachaume (joué par Maurice Garrel), la seule personne qu’il ait aimée.

L’absence d’émotions fait de Stéphane quelqu’un qui est perçu comme agressif. Quand Hélène lui donne un livre, elle le commente ainsi : "Ça te ressemble. C’est comme un coup de trique." Effectivement, quand il a quelque chose à dire, il le fait carrément et froidement. Mais cette image négative n’est pas pour déplaire à ce "solitaire contrarié" ; bien au contraire, elle est une forme de protection :

  Stéphane : Je crois qu’elle commence à me détester.
  Hélène : Et ça te procure un certain plaisir ?
  Stéphane : C’est un parcours. Intéressant.

À l’exemple de cette dernière phrase, tout ce qui a une tonalité émotionnelle est immédiatement rationalisé :

  Hélène : Tu ne serais pas amoureux d’elle ?
  Stéphane : Amoureux ?
  Hélène : Je sais, le mot te hérisse.
  Stéphane : Non. Me dépayse. Laisse-moi réfléchir. [Long silence] Non, je ne crois pas. Non.

Parce que parler de lui, cela ne le "passionne pas vraiment et puis ça ne sert pas à grand-chose."

Si les émotions ne se manifestent pas dans la vie, elles sont acceptables dans l’art, dans la musique bien sûr ou dans la littérature :

  Stéphane : Dans les trois-quarts de ces bouquins, il est question du sentiment amoureux. […] Ça déborde.
  Hélène : Et tu trouves ça obscène ?
  Stéphane : Non. Écrit, c’est souvent très beau.

Camille s’insurge contre ces succédanés : "Il paraît qu’il aime la musique. Parce que c’est du rêve, la musique. Parce que ça n’a rien à voir avec la vie. Tu n’as pas d’imagination, pas de cœur, pas de couilles, pas de sève." Elle s’élève contre "ce monde fermé", "cette façon de tout réduire", "cette vie étriquée" où on décide les choses plutôt que de les vivre. Elle le conjure "d’accepter que quelque chose se détende en [lui]."

En vain. Il faudra la scène publique avec Camille dans le café et la gifle de Maxime pour que Stéphane réalise : "C’était vrai. […] Mais vous aviez raison, il y a quelque chose en moi qui ne vit pas. Je n’arrive pas à… [Long silence] Je suis en retard depuis si longtemps. Je vous ai manqué et j’ai perdu Maxime. Il semble bien que ce n’est pas les autres que je détruise, c’est moi."

Identification avancée : Stéphane est un 5 μ de sous-type conservation ("Château fort)").

Maxime (André Dussollier) : 3

Le monologue de Stéphane au début du film est une longue description de Maxime, accumulation des caractéristiques du type 3 que l’on pourrait croire extraites d’un livre de base sur l’Ennéagramme.

La lutherie est gérée par une association assez classique entre un 5 expert technique et un 3 chargé des rapports humains : "Maxime maintient la tradition. Avec lui, les musiciens sont détendus. Il connaît le programme de leurs tournées, il les invite à déjeuner, il sait les écouter, les faire parler, apaiser leurs doutes et c’est en toute confiance qu’ils nous apportent leur bien le plus précieux, leur violon."

Maxime est à l’aise dans les situations sociales et il aime y briller : "C’est dans la chaleur des concerts que Maxime préfère les musiciens. Il partage leur émotion, il prend sa part des applaudissements, il est vraiment ému."

Bien entendu, Maxime manifeste, de manière modérée, la compétitivité du 3. Cela se manifeste bien évidemment dans la lutherie : "On travaille ensemble, mais le patron, c’est lui." Mais Maxime veut aussi être le premier dans les autres domaines de sa vie : "Il aime tellement gagner que pour moi perdre devient un plaisir", dit Stéphane à propos de leurs parties de squash.

Relationnel, Maxime n’est pas toujours très émotionnel : "Je lui connais des appétits, mais pas d’états d’âme." C’est avec Camille qu’il découvre vraiment ses capacités émotionnelles : "J’ai su que cela existe, aimer quelqu’un."

Stéphane mentionne même le mensonge, la passion du 3 : "Il mène sa vie légèrement et même quand il lui arrive de mentir, il le fait sans effort."

Ainsi dès les premières minutes, tout est dit sur le personnage de Maxime. Le film ne fait que confirmer à petites touches ce personnage de 3 plutôt sain et n’y ajoute que le rôle central du travail dans la vie des 3 : Maxime est très souvent absent, en voyage d’affaires ; quand, à la fin, il revient voir Stéphane dans son nouvel atelier, le travail sert encore une fois de prétexte…

Identification avancée : Maxime est un 3 α à aile 4.

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Régine (jouée par Brigitte Catillon), la femme qui accompagne et coache Camille, est une 2.

Hélène (jouée par Élizabeth Bourgine) est probablement aussi une 5.

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