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Mr. & Mrs. Bridge
Analyse

Walter Bridge (Paul Newman) : 1

Walter est raide comme la justice ! Cela apparaît dès la scène du générique. Toute la famille est détendue pour faire un barbecue dans le jardin et il se promène au milieu des autres, crispé et droit comme un « i ». Ruth, l’une de ses filles, perchée sur le toit déclame du Shakespeare et lui demande de lui donner la répartie dans une scène de Roméo et Juliette, et il faut le voir lire le texte sans une ombre de phrasé ni d’émotion. Bien sûr, il réagit à la moindre erreur :

  Walter : Mais si j’en crois mon texte, elle dit "prononce", pas "présente".
  Ruth : Oh ! Allez ! Continue !

Ce sens critique, Walter l’exprime à propos de tout. Les idées nouvelles d’une société qui est en train de changer lui sont inacceptables : "Ne gâche pas ma soirée avec les sottises monumentales proférées par un socialiste imbécile. Et si tu veux mon avis, ton amie Mabel doit appartenir à la même engeance.", "New York ! Cette ville est diabolique, tu le sais bien.", "Ce que le docteur Sauer pratique est, à mon humble avis, un pâle mélange de tarot, d’astrologie et d’escroquerie." Mais la pire chose est bien sûr l’injustice, thème central du 1 : "Voulez-vous me dire ce que vous trouvez juste dans cette vie ?"

Toutes ces imperfections du monde déclenchent bien évidemment une colère que, compulsion oblige, il s’interdit d’exprimer. Une scène le montre en train de plaider pour défendre un jeune homme mis dans l’incapacité de travailler. On le voit qui crispe ses doigts, pose un peu brutalement ses lunettes sur sa table, mais ne réagit pas. Sorti de la salle d’audience, il se contente de dire d’une voix très maîtrisée : "Ce juge est un âne."

Walter n’est pas plus indulgent vis-à-vis des gens. Il faut entendre l’oraison funèbre de Grace, la meilleure amie de sa femme qui vient de se suicider :

  Walter : Il lui a donné tout ce qu’une femme peut rêver d’avoir. Rien ne semblait la satisfaire. Cette femme critiquait absolument tout, y compris elle-même pour être juste.
  India : C’était mon amie, Walter.
  Walter : […] Et ceux qui restent ? Et son mari ? Grace n’aurait pas pu lui faire plus de mal. Cette femme était instable. Bon sang, c’était une chose après l’autre. Elle créait des problèmes à tout son entourage.
  India : C’était ma meilleure amie. Je l’adorais.
  Walter : Je sais.

À Harriet traumatisée par quelques heures passées en cellule, il peut fournir un peu d’aide, mais pas sans l’indispensable dose de morale :

  Harriet : Cette histoire, c’est ma première expérience policière.
  Walter : Que ce soit la dernière ! […] Deux heures en prison, c’est quelque chose dont on ne se vante pas.

Il faut dire que Walter est infaillible : "India, je te pose la question. Depuis vingt et un ans, n’ai-je pas toujours dit quand un événement arriverait et quand il n’arriverait pas ? Bien ! Peux-tu te souvenir d’une seule occasion importante où j’ai été pris en défaut ?", affirme-t-il à sa femme au cours de l’hilarante scène de la tornade.

Cette certitude lui vient notamment d’une vie fondée sur des valeurs éternelles : "Certaines choses ne changent pas. L’amour, le respect de l’autre, la décence ne changent pas. Ta mère et moi, nous avons ces valeurs."

L’une de ces valeurs fondamentales est le travail : "Le travail, c’est le travail." Que dire de plus, en effet ? Que faire d’autre ? "Pourquoi ne travaillent-ils pas ? Oui, comme tout un chacun. Et qu’ils fassent leur peinture le week-end. Voilà ce que je ferais moi dans cette situation." Quand Walter et India sont en voyage à Paris, son effarement est comique : "Ces gens me sidèrent. C’est ahurissant. Comment peuvent-ils garder leur emploi ? Ou exercer un métier quelconque ? Trois heures pour déjeuner et des soirées entières au café à discutailler ! Grand Dieu ! Chez nous, ils seraient flanqués à la porte du jour au lendemain."

Cette rigidité et cette certitude lui font mal supporter les atermoiements et les émotions des autres : "Assez larmoyé. Je commence à être excédé." dit-il à Harriet qui sort du commissariat de police. Il n’écoute pas non plus les émotions et les besoins de sa femme qui n’a plus comme solution que d’aller se confier à un psychanalyste : "Mais si on lui parle, il écoute, lui." La plus belle démonstration est la scène de la demande de divorce :

  India : Walter, je sais que ça ne compte pas à tes yeux que j’ai ou non consacré ma vie tout entière à toi et aux enfants mais Mabel Ong, oui Mabel, m’a lu mon horoscope et il dit : "Sur le plan affectif votre destin trouvera son expression au travers de vos dons de tendresse et de sacrifice." Très bien, mais personne ne peut vivre toute sa vie sans avoir au moins un remerciement et le plus souvent, eh bien, tu ne sembles même pas savoir si je suis vivante.
  Walter : C’est tout à fait faux. J’y pense.
  India : À quoi ? Ah oui ! Tu penses à toi bien sûr. Tu penses à ton bureau. J’ai même l’impression que tu penses à ta secrétaire plus souvent qu’à moi.
  Walter : [Mimique indignée devant tant d’absurdité.] Pff !
  India : Tu peux ricaner. Je crois qu’Harriet est plus importante aussi pour les côtelettes au barbecue qu’elle fait le dimanche.
  Walter : Et pour ses haricots rouges au lard et la sauce forte de Virginie.
  India : Oh ! [Elle se lève.] Cette fois, je veux divorcer. Ma discussion est prise, nous en discuterons ensemble une fois que tu auras fini de t’enivrer. J’attendrai. [Elle sort.]
  Walter : India !
  India : [Elle revient vite.] Quoi ?
  Walter : Bon sang, cette crise de nerfs n’a ni queue, ni tête.
  India : [Elle s’assoit, pleure, et il lui tend son verre de bière] Mais Walter, tu sais que je déteste la bière.
  Walter : [Il l’attire sur ses genoux et sans un mot, lui tend de nouveau son verre de bière.]
  India : [Elle boit silencieusement.]

Malgré tout, Walter aime réellement India :

  India : Es-tu heureux avec moi ? Est-ce que tu m’aimes ?
  Walter : Serais-je ici si je ne t’aimais pas India ?
  India : Mais tu ne me le dis jamais. Pourquoi ? Ça te brûlerait la langue ?
  Walter : India, je n’ai pas beaucoup de dons dans ce domaine.
  India : Autrefois, si.
  Walter : Peut-être. Mais à tort ou à raison la vie a fait de moi un avocat et non un poète. [Il change de sujet de conversation.]

Mais c’est de manière non verbale qu’il lui démontre son affection : le tableau acheté au copiste du Louvre, la nuit où il respecte sa fatigue, la nouvelle voiture qu’il veut lui acheter…

Walter fait volontiers de l’ironie comme dans la scène du divorce :

  India : Tu peux ricaner. Je crois qu’Harriet est plus importante aussi pour les côtelettes au barbecue qu’elle fait le dimanche.
  Walter : Et pour ses haricots rouges au lard et la sauce forte de Virginie.

Il se lance même parfois dans l’humour : "Donc après Cannes, nous allons à Monte-Carlo où il se peut que je perde toute notre fortune au Casino. Mais comme disent les Écritures, ce que le Seigneur donne, le Seigneur le reprend." Le moins qu’on puisse dire c’est que cet humour est fait à froid et de plus, il y a tant de sujets qui ne se prêtent pas à la plaisanterie :

  Alex Sauer : Walter, tu aimerais mieux te trancher la gorge que de rire à une histoire cochonne.
  Walter : Je dois le confesser. Ces récits d’exploits pornographiques ne m’ont jamais amusé.
  Alex Sauer : Est-ce que tu as essayé ?

Si la sexualité ne peut pas être l’objet de blagues, elle est utilisée plusieurs fois dans le film pour montrer les pulsions de Walter et la manière dont il les réprime : il lorgne les tableaux de nus au Louvre, il est tout émoustillé par les danseuses de French cancan, mais manque de s’évanouir quand une d’entre elles s’assoit sur ses genoux. Il y a là une mise en œuvre typique de la formation réactionnelle, le mécanisme de défense du 1. Une autre est encore plus flagrante quand il contemple sa fille qui prend un bain de soleil en maillot de bain dans le jardin et que monte en lui un désir qu’il détourne immédiatement sur India.

Walter est très soucieux des détails et, centre instinctif oblige, se souvient précisément du passé : "Je n’ai rien oublié." Julia le décrit ainsi : "Vous qui vous souvenez absolument de tout jusqu’au dernier détail, l’endroit, le moment et tout."

Identification avancée : Walter est un 1 μ à aile 9 de sous-type social ("Inadaptation sociale").

India Bridge (Joanne Woodward) : 9

India promène son endormissement durant tout le film, incapable de décider de quelque élément de sa vie que ce soit. Elle vote en suivant les instructions de son mari, elle lit les livres que lui conseille son amie Mabel, elle assiste à des cocktails qui l’ennuient parce que Walter a dit qu’il fallait le faire, elle comprend qu’elle n’est pas écoutée par Walter en lisant son horoscope au bout de vingt ans de mariage, elle veut faire de la psychanalyse parce que Mabel en fait, etc.

India est incapable de manifester une quelconque autorité. Elle ne sait même pas ce que le concept veut dire :

  Gadbury : Je crois que le cygne pourrait être plus agressif.
  India : [L’air égaré.] Agressif ? Comment cela ?

Elle n’intervient jamais directement auprès de ses enfants. Elle ne réagit pas aux critiques de Walter sur ses lectures et ses amies, même quand il parle de manière très désagréable de Grace qui vient de se mourir. Quant au moment de révolte, bien feutrée, de l’annonce du divorce, il s’achève dans la déroute la plus totale :

  India : Walter, je sais que ça ne compte pas à tes yeux que j’ai ou non consacré ma vie tout entière à toi et aux enfants mais Mabel Ong, oui Mabel, m’a lu mon horoscope et il dit : "Sur le plan affectif votre destin trouvera son expression au travers de vos dons de tendresse et de sacrifice." Très bien, mais personne ne peut vivre toute sa vie sans avoir au moins un remerciement et le plus souvent, eh bien, tu ne sembles même pas savoir si je suis vivante.
  Walter : C’est tout à fait faux. J’y pense.
    […]
  India : Oh ! [Elle se lève.] Cette fois, je veux divorcer. Ma discussion est prise, nous en discuterons ensemble une fois que tu auras fini de t’enivrer. J’attendrai. [Elle sort.]
  Walter : India !
  India : [Elle revient vite.] Quoi ?
  Walter : Bon sang, cette crise de nerfs n’a ni queue, ni tête.
  India : [Elle s’assoit, pleure et il lui tend son verre de bière] Mais Walter, tu sais que je déteste la bière.
  Walter : [Il l’attire sur ses genoux et sans un mot, lui tend de nouveau son verre de bière.]
  India : [Elle boit silencieusement.]

La scène est encore plus amusante dans la version originale du film où elle dit "une fois que tu auras fini ta bière", ce qui ôte la toute petite touche d’agressivité qu’il pourrait y avoir dans l’emploi du mot "enivrer".

India ne se sent pas aimée par Walter, ni par ses enfants surtout son fils Douglas ("À croire que tu es ton père. Tu es son portrait craché.") Le drame, c’est qu’à force de se sentir mal aimée, elle en devient à son tour incapable d’aimer, indifférente aux autres. Quand Ruth rentre à la maison après s’être fiancée à Gil, elle refuse de l’aider à annoncer la nouvelle à son père. Plus tard, quand Ruth quitte son mari, elle est incapable de la comprendre et de l’aider :

  Ruth : Alors, tu es dans son camp maintenant ?
  India : Non, je ne suis dans le camp de personne, sache-le. [Elle fuit "préparer un chocolat bien chaud".]

Avec Grace, sa "meilleure amie", l’indifférence devient une cruelle absence de compassion :

  Grace : J’ai peur de devenir folle, India. J’ai perdu la boussole.
  India : [Elle fait semblant de regarder sous sa chaise.] Eh ! Je ne la vois nulle part.
  Grace : Arrête de blaguer. Pas ça, par pitié. Tu entends ?
  India : [Elle détourne la conversation.] Nous avons tant de chance. […] Tu veux du thé ?

Même le suicide de Grace ne peut la faire bouger : "Je ne sais que penser."

Il y a derrière tout cela un désespoir absolu que la dernière scène montre de façon poignante. Bloquée dans sa voiture, dans le froid, India appelle au secours, sans même crier, l’air totalement résigné : "Quelqu’un ? Y a personne ? Vous m’entendez ?" C’est le parfait résumé de sa vie.

Identification avancée : India est un 9 μ à aile 1 de sous-type social ("Participation"), même si le sous-type sexuel ("Union") est tout aussi largement manifesté.

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Ruth Bridge (jouée par Kyra Sedgwick), la fille des Bridge qui part faire du théâtre à New York, est un 7. Elle a en permanence le sourire et l’œil qui pétille. Elle est optimiste et croit en ses chances de réussite ("J’en suis capable.", "Aie confiance ! Ça marchera !"). Elle est suffisamment maligne pour manipuler son père (les raisons pour lesquelles elle aurait quitté son travail) et sa mère ("Pour dix cents, on va pas se brouiller."). Quand sa carrière d’actrice échoue, ce n’est évidemment pas de sa faute ("Les professeurs n’avaient pas le feu sacré."). Elle se reconvertit dans la collaboration à une revue d’avant-garde qui "parle de tout" et espère même convaincre son père d’y investir quelque argent. Elle profite abondamment de la vie.

Le docteur Alex Sauer (joué par Simon Callow), le psychanalyste, est un 7. Il raconte des blagues coquines et ne résiste pas à un jeu de mots ("une patiente impatiente de le voir"). Il s’extasie sur le retour du printemps où "la vie renaît de façon si spectaculaire, si joyeuse". La joie d’ailleurs, c’est sa raison de vivre :

  Alex : Joie ! Extase ! Dis-moi Walter, as-tu jamais connu cela ?
  Walter : J’ai connu le contentement, si c’est à ça que tu penses.
  Alex : Non ! Je pensais à des sentiments, disons, plus passionnés, plus dévorants.

Walter dit de lui : "Il adore faire des numéros. Tout à l’esbroufe."

Grace Barron (jouée par Blythe Danner), l’ami d’India, est un 4. Walter la décrit comme quelqu’un qui "critiquait absolument tout, y compris elle-même pour être juste." Gadbury, le professeur de peinture, ajoute qu’elle faisait "les choses avec un style qui était bien à elle".

Gil Davis (joué par Marcus Giamatti), le jeune homme qui épouse Carolyn l’une des filles des Bridge, est un 8. Carolyn dit de lui qu’il "a le sens pratique". Dès qu’il apprend que Walter refuse le mariage, il se précipite dans son bureau dont il force l’entrée : "Je vais épouser Caro. J’aurai Carolyn d’une façon ou de l’autre. Je ne suis pas venu pour m’entendre dire non." Face à la colère de Walter, il ne se laisse pas impressionner :

  Walter : Vous avez trois secondes pour décamper.
  Gil : Un. Deux. Trois. Du bidon !

Marié à Carolyn, il la bat : "C’est une brute. Il m’a frappé. Je te jure."

Julia (jouée par Diane Kagan), la secrétaire de Walter, est un 2.

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