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L’Incroyable destin de Harold Crick
Analyse

L'Incroyable destin de Harold Crick : Harold CrickHarold Crick (Will Ferrell) : 5

Dès le début du film, la voix off, qui est celle de Karen Effeil que le professeur Hilbert décrit comme une "narratrice omnisciente", nous dresse un portrait du héros : "Harold Crick était féru de nombres infinis, de calculs sans fin, et étonnamment avare de mots, et sa montre-bracelet était encore moins loquace. Chaque jour ouvrable depuis douze ans, Harold brossait chacune de ses trente-deux dents soixante-seize fois, trente-huit fois de gauche à droite, trente-huit fois de bas en haut. Chaque jour ouvrable depuis douze ans, Harold faisait un nœud demi-windsor à sa cravate et non un double, gagnant ainsi jusqu’à quarante-trois secondes. Sa montre-bracelet trouvait que le demi-windsor lui grossissait le cou, mais elle ne pipait mot. Chaque jour ouvrable depuis douze ans, Harold faisait environ cinquante-sept pas de course par bloc sur six blocs, attrapant de justesse le bus de 8 h 17, terminus Kronecker. Sa montre-bracelet se délectait de l’air tonique qui lui balayait le cadran." Les éléments principaux y sont : préférence pour le mental, avarice de soi et de son temps. Plus tard, la même voix nous mentionnera l’orientation du type en parlant de "tous les calculs, toutes les règles et toute la précision de la vie de Harold".

Cette scène initiale montre aussi de manière ironique à quel point Harold ne se connaît pas — le vide intérieur : "La vie de Harold était une collection d’instants significatifs ou banals mais qui, à ses yeux, ne se distinguaient en rien les uns des autres." Sa montre vit plus de sensations et d’émotions que lui, et cela sera confirmé tout au long du film : les réactions d’Harold la rendent "dingue", elle tombe en panne quand Ana passe dans la rue alors que Harold ne la voit même pas, etc.

Le goût de Harold pour le mental et les calculs est la seule chose qui l’intéresse dans l’existence :

  Hilbert : Quel est votre mot préféré ?
  Harold : Décimale.

Même amoureux fou d’Ana, cette préoccupation ne le quitte pas : "Que je l’oublie ! En dehors des chiffres, je ne pense qu’à elle." Quand il a besoin d’un conseil de son ami Dave, il ne lui expose pas sa situation, mais passe par une question "abstraite et purement théorique".

Après avoir lu le manuscrit de Karen Eiffel, Harold accepte de mourir parce qu’il est convaincu que la mort qu’elle a imaginée pour son personnage est la seule fin possible cohérente avec le reste de l’œuvre : "Il ne peut pas y avoir d’autre fin que celle-là. Je veux dire, je n’ai pas beaucoup de notions de littérature ou autre, mais ça me semble évident. J’adore votre roman, et vous devriez le finir."

Quand il se met à entendre la voix de Kay, il ne doute pas un instant de sa santé mentale. Il cherche le bruit à l’extérieur de lui (brosse à dents, armoire, etc.) plutôt que dans sa tête. Une fois convaincu qu’il est le seul à l’entendre, il va voir un psychiatre, mais c’est à la recherche d’une autre explication que la folie :

  Harold : Ce n’est pas de la schizophrénie, c’est juste une voix intérieure. Enfin… Cette voix ne me dit pas de faire quoi que ce soit. Elle me dit juste ce que j’ai déjà fait. En détail et avec un vocabulaire plus riche.
  Psychiatre : Monsieur Crick, vous entendez une voix qui s’adresse à vous ?
  Harold : Elle ne s’adresse pas à moi. Elle parle de moi. Je me retrouve impliqué dans une sorte de récit. Comme si j’étais un personnage de ma vie. Mais le problème, c’est que la voix ne fait que des apparitions. Comme si elle me cachait des épisodes du récit, et je dois découvrir quels sont ces épisodes avant qu’il ne soit trop tard.
  Psychiatre : Avant que le récit ne s’achève sur votre décès.
  Harold : C’est ça.
  Psychiatre : Monsieur Crick, au risque de passer pour un disque rayé, il s’agit de schizophrénie.
  Harold : Vous ne me faites pas l’effet d’un disque rayé, mais ce n’est vraiment pas de la schizophrénie. Bon, admettons que ce que je dis soit la réalité. Partons de l’hypothèse que je suis un élément d’un récit, d’une narration, ne serait-ce que… Ne serait-ce que dans mon esprit. Que me conseilleriez-vous ?
  Psychiatre : Je vous conseillerai de prendre un traitement adéquat.
  Harold : Et en dehors de ça ?
  Psychiatre : Je n’en sais rien. Je suppose que je vous adresserais à quelqu’un de versé dans la littérature.
  Harold : D’accord. Oui. Excellente idée. Merci.

Harold n’a pas d’ami (sauf "Dave au bureau"), pas d’animal familier, pas de fiancée. Comme de nombreux 5, il ne sait pas comment aborder les gens et entamer une conversation avec eux. Aussi quand il rencontre Ana dans le bus, la conversation est difficile :

  Harold : Vous aussi, vous êtes usagère de la Régie des transports de Chicago ?
    […]
  Voix off : Harold s’essaya nerveusement aux menus propos.
  Harold : Vous avez les dents très régulières.
  Voix off : Menus, menus propos.
  Ana : C’est gentil. Elles sont d’origine.
  Voix off : Harold calcula rapidement ses risques de se couvrir de ridicule en fonction du temps qu’il resterait là à bavarder.
  Harold : C’est mon arrêt. Il faut que je descende.

Ce n’est pas qu’une incapacité technique ! Harold ne comprend pas plus les émotions des autres que les siennes propres :

  Harold : Il faut que je rentre. Merci pour les cookies.
  Ana : Emportez-les donc.
  Harold : Oh non !
  Ana : Allez quoi ! [Elle se précipite pour sortir une boîte.]
  Harold : Non, vraiment, je vous assure.
  Ana : Ça me fait plaisir.
  Harold : J’aimerais bien, mais c’est impossible, hélas.
  Ana : Impossible ?
  Harold : C’est-à-dire que c’est considéré comme un cadeau.
  Ana : Ah.
  Harold : D’ailleurs je n’aurais même pas dû manger les autres.
  Ana : Je vois. Je jure de ne le dire à personne.
  Harold : Je sais, mais si jamais vous le disiez…
  Ana : Je le dirai pas, je vous le jure.
  Harold : Mais si vous le disiez…
  Ana : Quoi ? Vous me voyez téléphoner ?
  Harold : Je vous les règle. [Le sourire d’Ana se fige.] C’est de bon cœur. Ça vous va ? Et ça règle tout. [Ana se détourne.] Quoi ?
  Ana : [Elle murmure.] Non.
  Harold : S’il vous plaît !
  Ana : [Sèchement.] Allez, rentrez chez vous.
  Harold : C’est vraiment rien du tout.
  Ana : Rentrez chez vous !
  Harold : D’accord. [Il se détourne pour partir, puis comprend.] Vous aviez fait ces cookies pour moi, c’est ça ? Vous vouliez simplement être gentille, et j’ai tout bousillé. [Il soupire.] Vous allez vous dire que je suis en plein délire, mais je crois que je suis dans une tragédie.

Après ce superbe ratage, la manière dont il essaye de recréer la relation avec Ana est tout aussi maladroite. Pour un autre type que le 5, on parlerait de goujaterie, mais ici, il s’agit de maladresse et non d’indélicatesse :

  Harold : Mademoiselle Pascal ! Mademoiselle Pascal !
  Ana : Monsieur Crick.
  Harold : Bonsoir.
  Ana : Bonsoir.
  Harold : Bonsoir.
  Ana : Bonsoir.
  Harold : J’ai eu peur de vous rater.
  Ana : Ah oui ? Pourquoi ?
  Harold : Je voulais vous apporter ceci.
  Ana : Ben oui.
  Harold : Oui.
  Ana : Alors, vous avez le droit de faire des cadeaux à défaut d’en accepter.
  Harold : Écoutez…
  Ana : Moi, ça me paraît assez contradictoire, Monsieur Crick.
  Harold : Très contradictoire.
  Ana : Bon, écoutez, je vous les règle.
  Harold : Non.
  Ana : Si, si, bien sûr. C’est de bon cœur. Dites-moi ce que c’est.
  Harold : De la fleur.
  Ana : Quoi ?
  Harold : Je vous ai apporté de la fleur de farine.
  Ana : [Émue.] Et vous avez porté tout ça jusqu’ici ?
  Harold : Je me suis comporté de façon étrange. Je… J’en ai bien conscience. Et j’ai envie de vous.
  Ana : Pardon ?
  Harold : Il y a tellement de choses, tellement d’influences dans ma vie qui m’ont dit quelquefois, mot pour mot, de venir ici vous apporter ça, mais… Mais si je fais ça, c’est parce que j’ai envie de vous.
  Ana : Vous avez envie de moi ?
  Harold : Indubitablement.
  Ana : Ah. N’existe-t-il pas de règle claire et bien établie interdisant toute espèce de fraternisation ?
  Harold : Convention contrôleur-contrôlé ?
  Ana : Oui.
  Harold : Si, mais j’en ai rien à faire. Rien.
  Ana : Pourquoi ?
  Harold : Parce que j’ai envie de vous.
  Ana : [Long silence.] Bon, ça vous ennuie de les porter un peu plus longtemps ?
  Harold : Non.
  Ana : Allez.

On pense irrésistiblement à la manière dont John Nash s’exprime dans Un homme d’exception. Le temps d’arriver au pied de l’immeuble où habite Ana n’est pas suffisant pour trouver mieux à dire :

  Ana : Vous voulez monter ?
  Harold : Chez vous ?
  Ana : Oui.
  Harold : Je pourrais, sans doute.
  Ana : C’était pas ça le but de la fleur de farine, et tout.
  Harold : À vrai dire, je n’ai pas vu plus loin que "J’ai envie de vous".

L’amour que Harold ressent pour Ana le plonge d’abord dans la situation tellement crainte des 5 où l’émotion perturbe le fonctionnement du centre préféré :

  • Il commet des erreurs de calcul mental ;
  • Il a du mal à exercer ses fonctions : "Harold ne put se concentrer sur son travail. Ses pensées étaient désordonnées, son esprit ailleurs" ;
  • Il perd ses repères : "L’espace de quelques instants, du boulevard Bohr à la rue Euclide, tous les calculs, toutes les règles et toute la précision de la vie de Harold s’évanouirent comme par enchantement." ;
  • Il se met à rêver : "Harold, peu enclin aux fantasmes, fit de son mieux pour rester professionnel" ;
  • Il descend "27 blocs trop tôt" de son autobus.

Puis aidé par le professeur Hilbert et par son ami Dave, il s’intègre : "À chaque accord maladroit, Harold Crick percevait avec plus de force qui il était, ce qu’il voulait et pourquoi il était vivant. […] Harold fit la chose qui l’avait terrifié jusque-là, la chose qui lui avait échappé du lundi au vendredi depuis tant d’années, la chose que les paroles lancinantes de maints morceaux de musique punk lui intimaient de faire : Harold Crick vécut sa vie."

Identification avancée : Harold est un 5 μ de sous-type conservation ("Château fort") à aile 6.

L'Incroyable destin de Harold Crick : Ana PascalAna Pascal (Maggie Gyllenhaal) : 2

Ana n’est pas le personnage le mieux décrit du film. En dehors de ses moments d’opposition au fisc, les traits les plus frappants sont son sourire permanent et sa relation chaleureuse aux personnes. Elle embrasse ses clients, elle donne des gâteaux au sans-abri de son quartier, elle répète à l’envi "C’est gentil", etc.

Même avec Harold à laquelle elle a donné toutes ses archives comptables en vrac dans un carton et qui doit passer la journée à les trier, elle ne peut pas rester fâchée longtemps. Elle a de la peine pour lui et ne résiste pas à adopter une attitude explicitement maternelle :

  Ana : Après une affreuse journée sans rayon de soleil, est-ce que votre maman ne vous servait pas du lait et des cookies ?
  Harold : Non, ma mère ne faisait pas de gâteau. Je n’ai jamais eu droit qu’à des cookies en boîte.
  Ana : Allez. Asseyez-vous.
  Harold : Nooooon.
  Ana : Si. Assis, j’ai dit. [Elle lui sert un verre de lait et un cookie] Bon, goûtez à ces cookies.
  Harold : Je ne peux pas, je regrette.
  Ana : Monsieur Crick, ça a été une journée vraiment affreuse. Je suis au courant, j’ai fait ce qu’il fallait pour ça. Alors, prenez votre cookie, trempez-le dans le lait et mangez-le.
  Harold : [Il s’exécute.] Mmm. Ah, c’est un cookie tout à fait délicieux. Mmm.
    […]
  Ana : Ils vous ont plu ?
  Harold : C’était délicieux.
  Ana : Je suis contente.
  Harold : Merci de m’avoir forcé à y goûter.
  Ana : Y a pas de quoi.

Aussi quand Harold refuse le cadeau qu’elle veut lui faire, sa colère est à la hauteur de la blessure identitaire ressentie :

  Harold : Il faut que je rentre. Merci pour les cookies.
  Ana : Emportez-les donc.
  Harold : Oh non !
  Ana : Allez quoi ! [Elle se précipite pour sortir une boîte.]
  Harold : Non, vraiment, je vous assure.
  Ana : Ça me fait plaisir.
  Harold : J’aimerais bien, mais c’est impossible, hélas.
  Ana : Impossible ?
  Harold : C’est-à-dire que c’est considéré comme un cadeau.
  Ana : Ah.
  Harold : D’ailleurs je n’aurais même pas dû manger les autres.
  Ana : Je vois. Je jure de ne le dire à personne.
  Harold : Je sais, mais si jamais vous le disiez…
  Ana : Je le dirai pas, je vous le jure.
  Harold : Mais si vous le disiez…
  Ana : Quoi ? Vous me voyez téléphoner ?
  Harold : Je vous les règle. [Le sourire d’Ana se fige.] C’est de bon cœur. Ça vous va ? Et ça règle tout. [Ana se détourne.] Quoi ?
  Ana : [Elle murmure.] Non.
  Harold : S’il vous plaît !
  Ana : [Sèchement.] Allez, rentrez chez vous.
  Harold : C’est vraiment rien du tout.
  Ana : Rentrez chez vous !
  Harold : D’accord. [Il se détourne pour partir, puis comprend.] Vous aviez fait ces cookies pour moi, c’est ça ? Vous vouliez simplement être gentille, et j’ai tout bousillé. [Il soupire.] Vous allez vous dire que je suis en plein délire, mais je crois que je suis dans une tragédie.

Ana exerce son métier de boulangère, parce qu’à la fac, elle consacrait plus de temps à aider les autres étudiants qu’à faire son propre travail :

  Harold : Quand avez-vous décidé de devenir pâtissière ?
  Ana : À la fac.
  Harold : Ah, à la fac culinaire ?
  Ana : J’ai fait droit à Harvard en fait.
  Harold : Ah ! Oh ! Pardon, j’avais supposé que…
  Ana : Oh ! Non, y a pas de mal. J’ai décroché en route.
  Harold : Il y a eu un problème ?
  Ana : Non. J’avais été prise de justesse. Je veux dire vraiment de justesse. Et uniquement grâce à ma lettre de motivation dans laquelle j’expliquais que j’allais créer un monde meilleur quand je serais diplômée. On devait participer à des groupes de travail entre étudiants, toute la nuit quelques fois. Alors je faisais des gâteaux pour que tout le monde tienne le coup jusqu’au bout. Il y a des jours où je passais tout l’après-midi dans la cuisine de la résidence pour pouvoir apporter mes petites douceurs au reste du groupe, et tout le monde en redemandait. [Elle lui tend une assiette de cookies.] Allez-y. Je faisais des cookies à l’avoine, des barres au beurre de cacahuètes, des fondants aux noix de macadamia et au chocolat noir. Tout le monde avait meilleur moral, était plus studieux, avait de meilleurs résultats aux examens. De plus en plus de gens voulaient faire partie de notre groupe. Je devais augmenter ma production, j’étais toujours à la recherche de recettes de plus en plus extraordinaires, et un beau jour, ça a donné des croissants fourrés à l’abricot et à la ricotta, des éclairs au moka glaçage amandine, et des mousselines au citron vert et au coulis intense de pêche. [Harold se lèche les babines.] Résultat en fin de semestre, j’avais vingt-sept étudiants dans mon groupe de travail, huit blocs-notes qui débordaient de recette et 6 de moyenne. J’ai lâché mes études. Je me suis dit que si je voulais créer un monde meilleur, ce serait avec mes cookies.

On notera au passage la passion d’orgueil : "Tout le monde avait meilleur moral, était plus studieux, avait de meilleurs résultats aux examens."

Dans l’autobus, Harold s’excuse auprès d’Ana de l’attitude qu’il a eu avec elle dans la boulangerie. Elle répond : "Excuses acceptées, mais uniquement parce que vous avez bégayé." C’est l’émotion de Harold qui la touche.

Alors qu’elle tient très fortement à ne pas payer 22 % de ses impôts allant indûment "au budget de la défense nationale, au sauvetage d’entreprises et au financement public des partis" — au point d’écrire au fisc une lettre commençant par "Cher fumier d’impérialiste" —, elle accepte d’échapper aux poursuites parce que Harold en exprime le désir personnel :

  Harold : Moi aussi je rêve d’un monde meilleur, Ana. Je crois que ça implique de t’éviter la prison.
  Ana : Bon, d’accord.

Identification avancée : Ana est un 2 α de sous-type social ("Ambition"), même si l’instinct sexuel ("Séduction agressive") est lui aussi extrêmement visible (par exemple, les vêtements, le tatouage, l’attitude quand Harold vient la contrôler et son commentaire "Vous me matez les seins" alors qu’elle les lui a soigneusement montrés, la scène chez elle avec Harold où elle prend l’initiative avec impétuosité).

L'Incroyable destin de Harold Crick : Kay EiffelKay Eiffel (Emma Thompson) : 4

Kay promène tout le film son visage mélancolique. Son métier est l’expression de son mécanisme de défense de sublimation, et elle l’exerce en y exprimant ses fantasmes pour la mort :

  Kay : Dites-moi ce que vous pensez de la défenestration ?
  Penny : Je ne pense jamais à la défenestration.
  Kay : Bien sûr que si.
  Penny : Non, j’essaye de positiver.
  Kay : Tout le monde pense à la défenestration. Absolument tout le monde.
  Penny : Eh bien, en ce qui me concerne, je ne pense jamais à la défenestration.
  Kay : À ce qu’il paraît — j’ai lu ça dans un livre génialement déprimant —, quand on se jette dans le vide, c’est rarement l’impact qui entraîne le décès.
  Penny : Ça doit quand même pas faire du bien.
  Kay : Il y a… Dans ce livre, il y a une photographie intitulée Le Saut, une vieille photographie, mais très belle, une vue plongeante d’un corps de femme morte par défenestration. [Elle se prend la tête dans les mains et parle d’une voix extatique.] Elle a comme une auréole de sang autour du crâne, et une jambe repliée par en dessous, les bras brisés comme une brindille, mais son visage dégage une telle sérénité, une telle paix, et je crois que c’est parce qu’elle a senti en mourant l’air lui caresser le visage.

Kay vit "en ermite, en recluse" et semble ne sortir de chez elle que pour acheter des cigarettes ou trouver sur le terrain des moyens de tuer ses personnages :

  Penny : Puis-je savoir ce qu’on fabrique ici ?
  Kay : Nous imaginons des accidents de voiture.
  Penny : Je vois. Et ça ne s’imagine pas bien au chaud les accidents ?
  Kay : Non. Savez-vous que 41 % des accidents de voiture se produisent lors d’intempéries ?
  Penny : Ainsi que 90 % des pneumonies.
  Kay : Ah oui… Une pneumonie, c’est intéressant comme fin. Mais comment Harold attraperait-il une pneumonie ?

La recherche émotionnelle intérieure la coupe complètement des autres, comme lors de la visite à l’hôpital :

  Kay : Le problème, c’est qu’ils ne sont pas morts ces gens-là. Ils sont seulement grabataires. [Elle s’adresse à une infirmière qui passe.] Excusez-moi, où se trouvent les moribonds ? Les gens que je vois sont blessés ou souffrants, ce qui est déjà fabuleux, nous sommes bien d’accord, mais ils vont s’en sortir ce qui ne m’arrange guère. Alors y a-t-il, y aurait-il moyen de voir des patients qui ne s’en sortiront pas.
  Infirmière : Excusez-moi ?
  Kay : Je voudrais rencontrer, dans la mesure du possible, ceux qui ne s’en sortiront pas, ceux qui "ne passeront pas l’hiver".
  Infirmière : Pardon, est-ce que vous souffrez de quelque chose ?
  Kay : Euh, simple panne d’inspiration.

Kay ressent l’arrivée de Penny comme une remise en cause de son identité d’écrivain par ses éditeurs qui "la croient en panne d’inspiration". Penny est "l’espionne, le vautour qui l’épie", et Kay exerce sur elle son humour sarcastique : elle achète des "cigarettes préfumées" ; elle repousse l’aide que Penny lui offre :

  Kay : C’est quoi ?
  Penny : C’est de la littérature sur un patch.
  Kay : Je n’ai nul besoin de patch à la nicotine, je fume des cigarettes.
  Penny : Ça peut servir.
  Kay : Ça peut servir ! Ça peut servir à quoi ? Servir à quoi, Penny ? À écrire un roman ?
  Penny : À vous sauver la vie.
  Kay : Je ne fais pas carrière dans le sauvetage de vie. C’est tout le contraire en fait.

L’agressivité avec Penny s’exerce surtout dans le domaine de l’écriture, sa chasse gardée :

  Kay : Je ne sais pas comment tuer Harold Crick. C’est pour ça qu’ils vous envoient.
  Penny : Oui, pour vous aider.
  Kay : Oh ! Comment espérez-vous m’aider ? Hein ? Vous qui n’avez jamais pensé à la défenestration, quelle géniale inspiration pourriez-vous me communiquer ? Car je vais vous dire : les idées gentillettes que vous avez dû accumuler au cours de votre charmante carrière d’assistante sont sans effet quand il s’agit de tuer un être humain !

Ou bien :

  Penny : Avez-vous écrit la moindre ligne aujourd’hui ?
  Kay : Non.
  Penny : Avez-vous lu les poèmes que je vous ai conseillés, fait une liste de mots, enfin, je sais pas, acheté du papier machine ?
  Kay : Non, rien de tout ça.
  Penny : L’écriture, ça ne pousse pas sous la pluie.
  Kay : Voilà qui illustre à merveille votre incompétence en matière d’écriture.

Aussi, quand Kay trouve le moyen de tuer Harold Crick, elle jubile : " Voyez-vous, Penny, comme tout ce qui vaut la peine d’être écrit, ça m’est venu sans raison ni méthode."

Quand elle découvre Harold, le double réel de son personnage, Kay est confrontée au dilemme du 4 qui doit choisir entre sa vie intérieure et le monde réel :

  Kay : D’après vous, combien de personnes ai-je déjà tuées ?
  Penny : Kay…
  Kay : Combien ?
  Penny : J’en sais rien.
  Kay : Huit. J’ai tué huit personnes, j’ai compté.
  Penny : Personnes fictives. Levez-vous.
  Kay : Harold Crick n’est pas fictif. Harold Crick n’est pas fictif, Penny. Tous les romans que j’ai écrits s’achèvent sur la mort de quelqu’un, de gens très bien en plus. Mon roman sur Helen, l’institutrice. Je l’ai tuée la veille même des grandes vacances. Quelle cruauté ! Et l’ingénieur des travaux publics, Edward, celui que j’ai piégé au volant avec une crise cardiaque en pleine heure de pointe. Je l’ai tué. Je les ai tués. Penny, je les ai tous tués.

Comme Harold, elle s’intègre et décide de sauver son personnage et Harold par la même occasion. Tant pis si la fin de son roman y perd en qualité :

  Hilbert : Euh… C’est… C’est correct.
  Kay : Pas extra.
  Hilbert : Non. C’est correct, sans être mauvais. Ce n’est pas l’œuvre littéraire la plus saisissante de ces dernières années, mais c’est… C’est correct.
  Kay : Je vais vous dire. "Correct" me satisfait amplement.

Non seulement Kay prend ainsi de la distance avec sa compulsion, mais ainsi elle se reconnecte aux autres, Harold bien sûr, mais aussi Penny qui "va demander aux éditeurs de reculer la date butoir" ("C’est chou de sa part").

Identification avancée : Kay est un 4 α de sous-type conservation ("Intrépidité") à aile 5.

L'Incroyable destin de Harold Crick : Jules HilbertJules Hilbert (Dustin Hoffman) : 7

Le professeur Hilbert préfère de toute évidence le centre mental. Lors de sa première rencontre avec Harold, son questionnement est précis et direct, et cela lui permet de cerner très vite sa personnalité :

  Hilbert : C’est vous qui m’avez appelé pour un problème de narration ?
  Harold : Oui.
  Hilbert : Narration qui prédit votre mort.
  Harold : Euh, oui.
  Hilbert : En vous accordant quel sursis ?
  Harold : Je sais pas.
  Hilbert : Ah ! L’ironie dramatique, quelle fouteuse de merde, celle-là, hein ? Vous êtes fou, c’est ça ?
  Harold : Ben…
  Hilbert : On a le droit de demander ça à un fou ?
  Harold : J’en sais rien.
  Hilbert : Passons. On a monté combien de marches, là ?
  Harold : Pardon ?
  Hilbert : Vous les avez bien comptées au fur et à mesure, hein ?
  Harold : Non.
  Hilbert : [Pas dupe.] Bien sûr. Vous travaillez dans quelle banque ?
  Harold : Aucune banque. Je suis agent du fisc.
  Hilbert : Marié ?
  Harold : Non.
  Hilbert : Jamais ?
  Harold : Fiancé à une contrôleuse qui m’a quitté pour un statisticien.
  Hilbert : Déchirant. On vit seul ?
  Harold : Oui.
  Hilbert : Animal familier ?
  Harold : Non.
  Hilbert : Des amis ?
  Harold : Non. Enfin, Dave, au bureau.
  Hilbert : Je vois.

Il détermine à la même vitesse que le cas de Harold ne l’intéresse pas : "Je ne peux rien pour vous. Je ne suis pas expert en dingologie. Je suis expert en théorie littéraire." Centré sur lui-même, Hilbert change d’avis toutefois quand il découvre qu’il y a peut-être un lien entre ce qui arrive à Harold et ses propres travaux :

  Harold : [Citant la voix off de Karen Eiffel.] "Il était loin de se douter que ce seul acte en apparence anodin provoquerait sa mort imminente."
  Hilbert : J’ai écrit des articles sur "Loin de se douter". J’avais toute une UV qui reposait sur "Loin de se douter". J’ai même consacré tout un séminaire à "Loin de se douter". Putain de bordel, Harold. "Il était loin de se douter" implique qu’il y a quelque chose qu’il ne savait pas, et donc que vous ne savez pas. Vous le saviez ?

Hilbert décide alors de travailler par élimination : "J’ai élaboré un test — c’est pas palpitant, ça ? — comprenant vingt-trois questions qui, je crois, pourraient nous aider à cerner d’un peu plus près cette narratrice." Que ce test soit grotesque n’a pas d’importance : "Raisonnons à rebours à partir du ridicule." Qu’il soit sans réel objet non plus :

  Harold : Qu’est-ce que ces questions ont à voir là-dedans ?
  Hilbert : Rien.

Harold devrait être ravi que le grand professeur Hilbert s’occupe de lui :

  Hilbert : Aussi bizarre que cela paraisse, j’ai déjà écarté la moitié des œuvres grecques, sept contes de fées, dix fables chinoises, et j’ai établi fermement que vous n’êtes ni Hamlet, ni l’Oncle Tom, ni Miss Marple, ni le monstre de Frankenstein, ni un golem. Mmm ? [Harold le regarde, atterré.] Vous n’êtes pas soulagé de ne pas être un golem ?
  Harold : Si, je suis soulagé de savoir que je ne suis pas un golem.
  Hilbert : Bien.

En dehors du contentement de soi ("Vous le saviez ?", "C’est pas palpitant, ça ?"), Hilbert manifeste un humour certain : "En tête de liste des phobies de l’américain : le travail. En deux, les bouchons. En trois, les chaussettes qui se perdent. Vous me suivez ?"

Aussi, quand il apprend que la narratrice est Karen Eiffel, il est très déçu :

  Harold : Professeur Hilbert, je reconnais la voix.
  Hilbert : Chiotte !
  Harold : Qu’est-ce qu’il y a ?
  Hilbert : Ben, tout d’abord, elle n’était pas sur ma liste. Ensuite vous auriez pu me parler de son élocution un peu affectée…

On notera la tentative de rationalisation. S’il n’a pas pensé à Kay, ce ne peut être entièrement de sa faute : c’est le 5 qui a fait de la rétention d’information ! La rationalisation joue bien sûr à plein quand il s’agit de convaincre Harold de mourir pour la beauté du roman de Kay : "Harold, je suis navré. Vous devez mourir, c’est un chef-d’œuvre. […] Vous mourrez bien un jour ou l’autre. Syncope à la banque. Arête de poisson. Une maladie à rallonge que vous aurez contractée en vacances. Vous mourrez. De toute façon, vous mourrez. Même si vous évitez cette fin, une autre vous trouvera, et je vous garantis qu’elle aura nettement moins de poésie et de profondeur que celle qu’elle a écrite. Je suis navré… mais c’est l’essence de toute tragédie, Harold. Le héros meurt, mais l’histoire, elle, vit à jamais."

Face à la menace que vit Harold, la meilleure solution pour Hilbert est quand même le carpe diem : "Il est fort possible que cette narratrice vous tue, alors je vous suggère, en toute humilité, d’oublier ça et de vivre votre vie. […] La vivre à fond, je veux dire, quel que soit le temps qu’il vous reste. Harold, consacrez-vous à vivre une grande aventure, je sais pas moi, inventez quelque chose, finissez de lire Crime et Châtiment. Croyez-moi, Harold, vous pouvez aussi vous gaver de pancakes si ça vous chante." S’il ne consomme pas de pancakes pendant le film, le professeur Hilbert apparaît presque systématiquement un verre à la main.

Le style de communication de Hilbert est aussi très 7 : "C’est rigolo, cette femme-là, Karen Effeil, c’est une de mes romancières préférées. Magnifiques tragédies. Magnifiques." On ne saura jamais ce qu’il y a de "rigolo" là-dedans…

Identification avancée : Jules est un 7 α de sous-type sexuel ("Imagination").

L'Incroyable destin de Harold Crick : Penny EscherPenny Escher (Queen Latifah) : 3

Penny est l’assistante que les éditeurs envoient à Kay pour l’aider à terminer son livre dans les délais prévus. Elle précise tout de suite qu’elle tient ses objectifs et qu’elle n’a jamais connu d’échec :

  Kay : Je ne sais pas comment tuer Harold Crick. C’est pour ça qu’ils vous envoient.
  Penny : Oui, pour vous aider.
  Kay : Oh ! Comment espérez-vous m’aider ? Hein ? Vous qui n’avez jamais pensé à la défenestration, quelle géniale inspiration pourriez-vous me communiquer ? Car je vais vous dire : les idées gentillettes que vous avez dû accumuler au cours de votre charmante carrière d’assistante sont sans effet quand il s’agit de tuer un être humain !
  Penny : Je comprends.
  Kay : Ah bon ? Je peux pas, c’est… [Elle s’effondre sur une chaise.] C’est pas l’envie qui m’en manque, mais je ne peux pas décemment me contenter de jeter Harold Crick dans le vide.
  Penny : Mademoiselle Eiffel, Kay, cela fait onze ans que j’assiste des auteurs, et j’en ai aidé plus de vingt à parachever plus de trente-cinq livres. Et je n’ai jamais dépassé la date butoir. Et je n’ai jamais demandé au moindre éditeur le moindre ajournement. Je me tiendrai à votre entière disposition chaque minute de chaque jour jusqu’à ce que le point final soit ancré sur la toute dernière page. […] C’est avec joie et discrétion que je vous aiderai à tuer Harold Crick.

Penny est certainement le personnage le plus intégré du film. Face à la méchante humeur de Kay, elle "essaye de positiver" et reste tout du long calme, pragmatique et centrée sur l’objectif :

  Kay : Avez-vous écrit la moindre ligne aujourd’hui ?
  Penny : Non.
  Kay : Avez-vous lu les poèmes que je vous ai conseillés, fait une liste de mots, enfin, je sais pas, acheté du papier machine ?
  Penny : Non, rien de tout ça.
  Kay : L’écriture, ça ne pousse pas sous la pluie.

Elle cherche sincèrement à aider Kay, aussi bien dans son travail d’écrivain que dans son problème à la cigarette, elle est gentille et souriante avec elle et avec les autres personnes aussi (à l’hôpital, par exemple), mais sans qu’il y ait jamais de grande manifestation émotionnelle :

  Kay : Donc voilà, je le finis aujourd’hui.
  Penny : Je vais prévenir les éditeurs. Je commence à remballer mes affaires.
  Kay : Vous serez gentille.

On peut même voir une répression du centre émotionnel devant le risque d’échec quand Kay hésite à tuer Harold :

  Kay : D’après vous, combien de personnes ai-je déjà tuées ?
  Penny : Kay…
  Kay : Combien ?
  Penny : J’en sais rien.
  Kay : Huit. J’ai tué huit personnes, j’ai compté.
  Penny : Personnes fictives. Levez-vous.

Identification avancée : Penny est un 3 μ de sous-type sexuel ("Masculinité-féminité") à aile 2.

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