En transe profonde
Tom Condon (Traduction par Fabien Chabreuil)
"Il est incroyable de penser que le destin d'un homme, avec tout ce qu'il a de noblesse et de bassesse, est décidé par un enfant qui n'a pas plus de six ans." (Eric Berne)
L'Ennéagramme est parfois présenté comme une galerie statique de types, mais il y a plusieurs manières dynamiques d'approcher le système et le fait d'avoir un style de personnalité.
Juste pour faire avancer les choses, j'aimerais offrir plusieurs perspectives sur ce que fait un style de l'Ennéagramme et sur le dilemme qu'il présente. Cela implique de regarder la même chose sous plusieurs angles : votre style de personnalité est une transe, une compétence, une histoire, un assortiment de dons, une série de défenses et un ensemble de potentialités.
En transe profonde
Un homme eut une fois un rêve dans un rêve. Réalisant qu'il rêvait, il commença à demander à tous ceux qu'il rencontrait : "Réalisez-vous que ce n'est qu'un rêve ?" Personne ne le faisait ; les gens du rêve haussaient les épaules ou ignoraient l'homme rêveur et continuaient leurs affaires.
De plus en plus désespéré de voir son sens de la réalité nié, l'homme finit par rencontrer une vieille femme sage et archétypale qui, quand il posa la question, répondit : "Oh ! bien sûr !" Le rêveur sentit immédiatement un profond soulagement. L'homme et la vieille femme restèrent quelque temps ensemble à bavarder librement et chaleureusement comme s'ils étaient des amis intimes.
À un moment, la vieille femme regarda fermement l'homme dans les yeux et lui dit : "Dans un moment, tu vas te réveiller du sommeil physique. Quand cela sera fait, tu seras dans un autre rêve, celui de la vie terrestre. À part quelques personnes comme moi, aucun de ceux que tu rencontreras dans la vie terrestre ne saura que ce n'est aussi qu'un rêve. Bonne chance et bonne journée."
Beaucoup de philosophes, de théologiens et de mystiques ont affirmé que notre vie quotidienne était une sorte de rêve éveillé ou de transe. Les experts de l'hypnose clinique disent qu'il n'y a pas de frontière bien définie entre la réalité éveillée et l'expérience vécue par les gens en état d'hypnose. La transe hypnotique est généralement caractérisée par une fixation ou un rétrécissement de l'attention et une préoccupation par la réalité subjective. Selon cette définition, nous sommes tout le temps un peu en transe.
Songez à la façon dont les gens se comportent à une caisse de supermarché en regardant dans le lointain avec une expression vide. Ou comment nous nous tenons dans les ascenseurs, en évitant le contact oculaire, en regardant le plancher ou les numéros d'étages allumés au-dessus de la porte. Nous appelons ces expériences "prendre de la distance" ou "rêvasser" ou "être perdu dans ses pensées". Mais elles sont identiques à des transes hypnotiques.
Lire est une transe, en ce sens que quand vous lisez vous oubliez tout le reste. Plus un livre vous intéresse, plus vous entrez dans un état confortable d'absorption de l'attention qui s'approfondit peu à peu et devient une totale fascination. Pendant ce temps, le reste du monde disparaît.
Il y a d'autres exemples d'hypnose naturelle comme regarder un feu et oublier l'environnement ou se relaxer dans un bain chaud ou l'auto-hypnose, l'expérience consistant à conduire inconsciemment sur une autoroute en ne se souvenant que très peu de nos pensées.
Nous sommes aussi dans des transes plus profondes. Les Grands Hypnotiseurs de notre enfance, principalement nos parents et notre culture, nous ont jeté de nombreux sorts à longue portée, principalement pour nous socialiser. Certains d'entre eux sont encore influents et gouvernent actuellement nos vies.
Le thérapeute Sydney Jourard décrit comment cela se produit : "Quand nous commençons à vivre, le monde se présente à nous tel qu'il est. Quelqu'un — nos parents, nos enseignants, nos amis, la société et la culture — nous hypnotise pour que nous voyions et interprétions le monde de la façon correcte. Par la suite, nous ne pouvons lire le monde dans aucun autre langage, ni l'entendre nous dire d'autres choses."
La vie de famille est particulièrement riche en inductions hypnotiques. Nos parents nous donnent ce que les hypnotiseurs appellent des "suggestions post-hypnotiques", des phrases qui ont eu une fois un impact particulier et qui continuent maintenant à diriger nos comportements. Certaines, comme "Fais attention aux voitures avant de traverser la rue", sont plutôt utiles. D'autres sont plus douloureuses ou limitantes - "Tu n'arriveras jamais à rien" - et peuvent persister dans notre esprit comme des malédictions.
Les familles sont des transes de groupe en ce sens qu'elles partagent des croyances, des valeurs, des identités et des comportements. Quand vous quittez pour la première fois la maison, vous découvrez rapidement que les gens dans le reste du monde ne partagent pas vos habitudes ou vos excentricités familiales. Si, dans la transe de groupe de votre famille, chacun croyait qu'il était important de se laver les mains quatorze fois par jour, vous pouvez avoir eu quelques réactions étranges ou quelques bagarres au-dessus du lavabo avec votre premier compagnon de chambre. Mais le lavage des mains était incontesté dans votre famille.
Il y a des transes quotidiennes, culturelles et familiales, mais la transe la plus profonde de toutes est la personnalité. Notre carte de la réalité, notre terre plate, notre sens de l'identité contribuent à un état hypnotique les yeux grands ouverts, notre rêve de la vie quotidienne. Quoi que le monde soit vraiment, nous n'en percevons jamais qu'une fraction ; le reste est notre interprétation. Bien que nous pensions vivre dans le monde objectif, nous demeurons souvent dans une "zone de transe" subjective que nous avons placée entre nous et le monde. Dans cette zone, nous créons notre propre réalité mais c'est une réalité si convaincante que nous oublions que nous l'avons rêvée.
Chaque style dans l'Ennéagramme fonctionne comme une transe et a des qualités subjectives qui sont caractéristiques d'états hypnotiques réels. Bien que les mystiques la décrivent comme une chute, un éloignement de la grâce, la transe de notre personnalité est naturelle, inévitable et utile ; le problème est sa profondeur.
Vous pouvez vous réveiller du sortilège de votre ego, mais d'abord il est nécessaire d'apprécier son rôle et de reconnaître la part que vous avez prise dans sa création. Chacun de nous est un hypnotiseur et toute hypnose est une auto-hypnose.
Comportement appris
Les gens demandent souvent si les styles dans l'Ennéagramme sont génétiques ou environnementaux. Sommes-nous nés avec notre style de personnalité ou l'avons-nous appris dans l'enfance ?
La bonne réponse est "Oui". Notre style de personnalité semble déterminé par quelque combinaison d'héritage génétique et d'influence environnementale. Il est clair en observant des bébés que chacun est né avec un tempérament différent et les généticiens estiment qu'environ 50 % de notre psychologie est innée. Pourtant, pour chaque style dans l'Ennéagramme, il y a des ressemblances remarquables entre les scénarios d'enfance, ce qui suggère qu'une part importante de notre style se construise au début de la vie.
Peut-être naissons-nous avec notre style dans l'Ennéagramme et qu'ensuite nous interprétons toute chose qui nous arrive à travers ce filtre. Il est aussi possible que certains d'entre nous héritent d'une prédisposition pour plusieurs styles. Ensuite nos premières expériences de vie et notre famille nous conduiraient à choisir l'un ou l'autre.
Pour notre objectif, la question de l'inné et de l'acquis n'a pas d'importance. Les comportements dysfonctionnels sont ce que les gens désirent le plus changer et ils sont toujours acquis. Comme le disait une femme connaissant bien l'Ennéagramme, "je suis peut-être née 9, mais j'ai la certitude d'avoir appris comment devenir dysfonctionnelle." Vous pouvez aller étonnamment loin en assumant simplement que vos limitations ont été créées durant l'enfance et qu'elles peuvent donc être travaillées et dépassées.
Si vous avez appris une partie de votre style dans l'Ennéagramme, vous l'avez appris tôt dans votre vie, comme toutes les autres choses. Vous ne vous rappelez peut-être plus avoir travaillé dur pour apprendre à lire, à marcher ou à faire de la bicyclette, mais vous l'avez fait. Vous avez pratiqué ces comportements avec beaucoup d'efforts et de concentration jusqu'à ce qu'ils soient intégrés en tant que compétence. Maintenant ils sont une seconde nature, une partie de votre système de réflexes, un élément de votre réaction habituelle aux événements quotidiens.
Les habitudes sont des choses merveilleuses. Il a été dit que nos esprits conscients sont préoccupés par ce que nous ne savons pas très bien faire. Une fois que nous maîtrisons une nouvelle compétence, nous sommes libres de l'oublier, ce qui a une énorme efficacité biologique.
Prenons les boutons de porte. Chacun de ceux que nous rencontrons est géré par notre esprit inconscient. Quand nous approchons une porte, une habitude sensorielle automatique vient à notre aide. Nous n'avons pas besoin de penser : "Hmmm, une chose ronde et brillante. Oh ! Ce doit être un bouton de porte. Je pense que je vais étendre ma main jusqu'à lui. Est-ce que les boutons de porte se tournent vers la gauche ou vers la droite ? Après, est-ce qu'il faudra que je pousse ou que je tire ? Voyons voir."
Si vous deviez penser pour ouvrir les portes et pour les centaines de tâches que vous faites automatiquement chaque jour, vous deviendriez fou. Au lieu de cela, vous savez automatiquement vous comporter avec chaque porte, que vous entriez un lieu nouveau ou familier. Une partie de vous gère cette tâche avec élégance, vous laissant libres d'être attentif à ce qui vous intéresse ou à ce qui requiert votre attention consciente.
Le seul moment où vous remettez en question votre stratégie de gestion des boutons de porte est quand vous poussez une porte sur laquelle est écrit "Tirez" ou quand vous tirez une porte sur laquelle est écrit "Poussez". Récemment je suis allé dans un bâtiment fédéral et j'ai vu un signe sur une porte qui disait : "Poussez ou tirez". Même si cela semble très éclairant pour le gouvernement, la plupart du temps le monde ne s'adapte pas à nos limitations. Il nous demande de les surmonter.
Une compétence d'expert
Nous apprenons en maîtrisant consciemment des comportements élémentaires que nous combinons ensuite en ensembles plus importants. Ouvrir une porte n'est pas un acte isolé ; c'est l'assemblage ordonné d'une série de petits gestes. "Aller au travail" est une activité que nous considérons généralement comme simple et que nous appelons par un nom unique, mais c'est un terme parapluie qui recouvre la pratique d'une douzaine de compétences comme s'habiller, ouvrir des portes, conduire une automobile…
Notre style dans l'Ennéagramme est ainsi, une compétence d'expert inconsciente et stratégique que nous pratiquons journellement, un ensemble appris d'habitudes et de procédures qui satisfait de nombreuses fonctions et de nombreux buts. Quoique nous puissions considérer notre style de l'Ennéagramme comme une expérience involontaire, ce n'est pas tant une condition cosmique que quelque chose que nous faisons.
Nous le faisons aussi pour de bonnes raisons. Il y a beaucoup de fonctions saines dans un style de personnalité, des choses qui nous manqueraient si nous n'en avions pas un. Voici quelques-unes des plus importantes :
Réduction. Votre ego vous aide à mettre de l'ordre dans le chaos en resserrant votre attention et en filtrant la masse des stimuli sensoriels. Expérimenter les neuf neuvièmes de la réalité vous submergerait, aussi vous réduisez votre expérience à un modèle qui rend le monde intelligible et réduit vos choix à un ensemble gérable.
La fonction importante suivante est la prédiction. Votre stratégie dans l'Ennéagramme donne une séquence à votre expérience, un moyen d'anticiper les événements et d'éviter que tout puisse se produire en même temps. Quoique vous ne soyez pas capable de prédire les tremblements de terre, quand vous passez une porte et marchez vers votre destination suivante, vous pouvez anticiper de manière utile ce qui va se produire le long du chemin. C'est très important pour les êtres humains de savoir ce qui va se produire ensuite ; l'inconscient n'aime pas les surprises.
Une autre fonction utile est de créer de la familiarité. Le travail de votre ego est de faire que l'inconnu ressemble au connu, de vous aider à trouver la Grand-Rue dans n'importe quelle ville. Quand vous entrez dans une situation nouvelle, vous faites instantanément des présuppositions inconscientes qui rendent la situation plus familière. Cela vous aide à relever les défis du présent avec des outils éprouvés, à faire que votre action suivante semble être la seule chose à faire.
Une quatrième fonction importante d'un style dans l'Ennéagramme est de fournir une identité. Votre ego vous rappelle qui vous êtes, plus particulièrement que vous êtes celui que vous avez été dans le passé.
Dans l'enfance, votre besoin d'acquérir une identité sociale était biologiquement inévitable, comme le fait de voir pousser un second ensemble de dents. Quel qu'ait pu être votre environnement familial, même si vous avez été élevé par des loups, vous étiez câblé pour développer une image de soi. Cela vous aidait à savoir qui vous étiez, dans un monde où les autres gens semblaient savoir qui ils étaient. Votre image de soi vous donnait aussi un sens des limites, de façon à ce que vous sachiez où vous finissiez et où les autres gens commençaient.
Votre ego a aussi rendu possible votre capacité de réflexion sur soi. À la différence des autres animaux, les êtres humains peuvent penser à propos de leurs actions et identifier un "Je" responsable. C'est votre "Je" qui abrite vos valeurs personnelles et votre éthique, qui donne un sens unique et individuel à votre expérience. Sans ego il n'y aurait ni apprentissage ni enseignement aux autres de ce que vous avez appris. Vous n'auriez pas non plus besoin d'un permis de conduire, d'une adresse ou d'un nom.
Une fois que le monde est réduit, prévisible et familier et que votre identité est stabilisée, votre esprit est libre de prêter attention à autre chose. La compétence de votre style dans l'Ennéagramme fonctionne aussi inconsciemment que la lecture, la pratique de la bicyclette ou l'ouverture des portes. Chacune de ces fonctions de l'ego est profondément utile et reflète des impératifs biologiques qu'il serait absurde de vouloir faire échouer.
Métaphore de vie
Aussi étrange que cela puisse paraître, notre transe de personnalité est maintenue par une histoire que nous nous racontons à nous-mêmes et la compétence principale que nous pratiquons dans notre style dans l'Ennéagramme est de raconter une histoire. Dans la psychologie populaire, ces histoires sont connues sous le nom de "scénario", quoique l'Ennéagramme les décrive d'une manière plus profonde.
Le neurologue Oliver Sacks a présenté cette idée en discutant avec un de ces patients : "Chacun de nous est une biographie, une histoire. Chacun de nous est une narration singulière, qui est construite continuellement, inconsciemment par nos perceptions, nos sensations, nos pensées, nos actions et aussi notre discours, nos paroles. Un homme a besoin d'une narration intérieure continue pour maintenir son identité, son Soi."
"C'est l'histoire de ma vie", disons-nous quand nous manquons un avion ou quand nous vivons quelque chose que nous considérons comme typique. La plupart d'entre nous nous parlons chaque jour à nous-mêmes de ce qui va se passer, de ce qui est important pour nous et de qui nous sommes. Nous créons une narration continuelle à partir de nos expériences bonnes ou mauvaises pour leur donner du sens et pour avoir un Soi qui fait sens pour nous.
Nous vivons des histoires. Notre biographie se reflète dans notre corps, dans la manière dont nous nous voyons, dans celle dont nous bougeons dans la vie quotidienne. Nos muscles et notre système nerveux réagissent à notre histoire. Physiquement, nous sommes une métaphore qui marche, nous vivons une histoire à laquelle tout notre corps croit.
Nos autobiographies sont des histoires choisies, même si le choix est inconscient. Si quelqu'un vous pose une question à propos d'une cicatrice sur votre corps, vous lui raconterez vraisemblablement comment cela vous est arrivé. Peut-être avez-vous remarqué que l'histoire a changé au fil des ans.
La véracité de nos histoires n'est pas seulement dans ce que nous avons vécu à l'origine ; elle est aussi dans ce que devient notre expérience quand nous les racontons à nouveau. Nous faisons de nous-mêmes une sorte de mythe en réinventant le passé chaque jour et en créant notre réalité dans ce que nous choisissons de nous souvenir et de raconter.
Les choses les plus réelles du monde sont les symboles et les métaphores. L'argent dans votre portefeuille ou dans votre poche est décoré avec des symboles, mais l'argent lui-même est symbolique : il n'a aucune valeur en soi, seulement celle qui est convenue. Demain, des quantités énormes de ce symbole seront gagnées ou perdues dans les bourses du monde, principalement à cause de rumeurs ou des idées des investisseurs à propos du futur.
De la même façon, la métaphore que nous vivons a une influence étonnamment puissante sur notre qualité de vie. Comme le disait le Dr Eric Berne, "les décisions de l'enfance semblent déterminer la destinée ultime d'un individu bien plus que ses projets d'adulte. Quel que soit ce que les gens pensent faire de leur vie, ils semblent poussés par quelque compulsion intérieure à s'efforcer de régler une ultime dette."
L'Ennéagramme décrit neuf grandes histoires et nous montre comment nous mettons notre expérience sous une forme narrative. Parfois, cette narration est sous forme de mots, mais il peut aussi s'agir de sensations, d'images visuelles ou d'une combinaison de représentations sensorielles.
Si vous vous branchez sur votre histoire dans l'Ennéagramme, vous pourrez identifier une partie inconsciente de vous qui est votre narrateur, votre conteur, votre hypnotiseur. Tant qu'il raconte votre histoire d'une manière précise et actualisée, votre conteur remplit un grand nombre de fonctions utiles. Mais parfois il fait trop bien son travail.
Le dilemme
Le dilemme que l'Ennéagramme met en évidence est celui-ci : nous sommes en transe, nous vivons selon un scénario qui a été écrit très tôt dans notre enfance. Notre histoire a maintenant vingt, quarante, soixante ans. Des parts importantes de cette histoire sont basées sur ce que nous étions et sur des conclusions à propos de la vie que nous avons tirées très tôt. Quelques-unes de nos réactions actuelles sont obsolètes ou provoquées par des motivations que nous ne comprenons pas. À des degrés divers, nous faisons ce qui était efficace.
Ceci est partout évident. Il y a peut-être des conflits persistants que nous n'arrivons pas à résoudre, des façons dont nous rendons le présent inconfortable comme l'était le passé. Nous imposons des vieux schémas sur de nouvelles relations, nous transformons des événements neutres en drames, nous embrouillons notre scénario avec les autres en faisant jouer à nos amis des rôles divers.
Quelquefois il y a une sensation inévitable, comme une impression de déjà-vu, comme si un complot secret déterminait comment les événements de notre vie doivent se produire. Il peut y avoir de grosses omissions dans notre histoire, des choix qui sont exclus de façon routinière de notre description de Soi. Peut-être notre narrateur intérieur utilise-t-il toujours les mêmes vieux mots, répétant les clichés de notre histoire de vie.
Tout le monde n'a pas eu une enfance tourmentée et malheureuse qu'il répète pathologiquement dans le présent. Pourtant, personne n'a eu une enfance idéale et même les gens très sains qui étudient l'Ennéagramme voient comment ils sont pris dans un schéma général qui contient des thèmes répétitifs, des taches aveugles et des défenses habituelles. La manifestation de cela peut être claire et évidente, comme quand nous "épousons notre mère" ou "épousons notre père" ; elle peut au contraire être subtile et implicite, comme quand nous épousons quelqu'un qui n'a apparemment rien de notre père ou de notre mère, mais qui se révèle plus tard leur ressembler.
Dans la littérature sur l'Ennéagramme, cette tendance à recréer le passé est appelée une compulsion. Ce qu'il est crucial de découvrir à propos de votre scénario dans l'Ennéagramme est à quel point il vous préoccupe, à quel degré vous vivez une histoire de votre vie plutôt que votre vie réelle. Quand vous permettez à votre scénario d'envahir la réalité, alors votre histoire est vécue comme quelque chose qui vous arrive sans que vous puissiez choisir, qui pilote automatiquement votre vie comme une compulsion.
La plupart des versions de l'Ennéagramme présentent votre personnalité comme un "faux Soi" opposé au "vrai Soi" de votre nature essentielle profonde. Comme nous le verrons, cette croyance vous pousse à combattre vos propres défenses ce qui rend le changement plus difficile.
Il est plus précis de dire que votre ego est un Soi unidimensionnel, un petit morceau de votre être total. Il fait définitivement partie de vous, comme votre bras gauche, mais quand vous donnez trop d'importance à sa version des événements, les bénéfices de votre style dans l'Ennéagramme deviennent des obligations.
Quand nous résolvons des problèmes ou quand nous relevons des défis, nous nous tournons naturellement vers ce que nous faisons le mieux pour essayer d'utiliser nos points forts. Mais l'Ennéagramme dit que quand nous utilisons trop souvent une force, elle devient une faiblesse, une réponse rigide préprogrammée.
Ce qu'il y a de bien avec les habitudes est aussi ce qu'il y a de mal avec les habitudes. Quand nous sommes enfermés dans l'histoire de notre ego, notre monde devient trop restreint, nos choix artificiellement simples. Nous rendons la vie trop prévisible, nous voyons et entendons ce qui devrait exister plutôt que ce qui existe réellement. Nous ne laissons plus les choses se produire, nous les faisons se produire comme elles sont censées le faire. Notre histoire crée nos comportements au lieu que ce soient nos comportements qui créent notre histoire.
En transe d'ego profonde, nous abordons la vie avec un ensemble limité de réponses. En sécurité dans le familier et dans le connu, nous pensons faire face efficacement mais nous n'avons que peu d'options. Nous nous enfermons dans des positions inflexibles, nous perdons tout contrôle pour être en contrôle, parfois nous faisons encore plus de ce qui nous enferme.
Au maximum de notre compulsion, nous faisons les choses de manière incorrecte simplement parce que nous les avons toujours faites ainsi, presque comme une forme de tradition personnelle. Nous nous trompons avec assurance, accrochés à tout prix à notre stratégie limitée, à une certitude déformée comme un fondamentaliste qui applique un principe absolu à toute chose.
Notre sens de l'identité est faussé aussi. Dans notre transe d'ego, nous nous sur-identifions à une image de soi et jouons un rôle qui est loin de ce que nous sommes réellement, en réagissant comme si nous n'avions pas plus de choix qu'un personnage de roman ou de pièce de théâtre.
Attachés à une manière de nous voir, nous défendons notre image du monde contre les contradictions et les commentaires qui nous sont faits. "C'est comme ça que je suis", affirmons-nous et nous faisons de gros efforts pour prouver que cette phrase est vraie, agissant comme quelqu'un qui grimperait dans une cabane, rejetterait l'échelle et affirmerait qu'il est né dans un arbre.
Dans son magnifique ouvrage, The Enneagram Spectrum Of Personality Styles, Jerome Wagner présente, pour chaque style de l'Ennéagramme, une liste de ses forces accolées à leurs contreparties faussées et névrotiques, comme si chacune était une version de l'autre.
Par exemple, les 3 possèdent une "capacité naturelle d'organisation", mais quand elle est faussée, ils deviennent "excessivement efficaces, comme une machine, et ultra-programmés". Les 4 sont "très spéciaux et apprécient l'originalité", mais quand ils sont névrotiques, ils peuvent devenir "une caricature excentrique de l'originalité". Les 5 ont "la capacité d'observer de manière objective et dépassionnée". Quand ils sont dysfonctionnels, ils peuvent "rester sur le bord du chemin et ne pas participer à la vie".
La différence entre une personnalité fonctionnelle et une personnalité dysfonctionnelle est simplement une question de degré. Les potentialités élevées de notre style dans l'Ennéagramme incluent des idéaux, des compétences, des sensibilités et des forces que nous apprécions profondément et qui nous servent bien. Mais quand nous les pratiquons avec excès, nos meilleures qualités deviennent nos pires défauts, se transformant en de petites imitations abâtardies de nous-mêmes.
Il y a une histoire qui décrit cela poétiquement. Dans Winesburg, Ohio, de Sherwood Anderson, un vieil homme écrit quelque chose appelé "Le livre du grotesque". La thèse centrale du livre du vieil homme est la suivante : "Au début, quand le monde était jeune, il y avait un grand nombre de pensées mais pas de vérité. Les gens fabriquaient les vérités eux-mêmes et chaque vérité était composée de beaucoup de pensées imprécises. Partout dans le monde il y avait des vérités et elles étaient toutes belles."
"Le vieil homme avait dressé la liste de centaines de ces vérités dans son livre. Il y avait la vérité de la virginité et la vérité de la passion, la vérité de la richesse et celle de la pauvreté, de l'avarice et de la prodigalité, de l'imprudence et de l'abandon. Il y avait des centaines et des centaines de vérités et elles étaient toutes belles."
"Et puis les gens y allèrent. Chacun attrapait une des vérités et certains d'entre eux qui étaient plutôt forts en attrapaient une douzaine."
"C'étaient les vérités qui rendaient les gens grotesques. Le vieil homme avait une théorie assez élaborée concernant ce sujet. Selon lui, dès que quelqu'un prenait une des vérités pour lui, l'appelait sa vérité et essayait de vivre sa vie en fonction d'elle, il devenait grotesque et la vérité qu'il embrassait devenait un mensonge."
Quand vous vous identifiez à l'excès avec la vérité de votre style dans l'Ennéagramme, quand vous l'appelez votre vérité, votre transe s'approfondit, votre histoire prend le dessus et vous commencez à vivre dans un univers parallèle et quelque peu contrefait.
Parapluies et igloos
Un jour, l'écrivain français André Malraux a demandé à un vieux prêtre ce qu'il avait appris de la nature humaine après avoir passé sa vie à entendre des gens en confession. Le prêtre répondit : "Fondamentalement, il n'existe pas d'adultes." Même si c'est une vision triste de l'humanité, il y a une vérité dans cette phrase.
Sigmund Freud a un jour défini l'ego comme le "principe de réalité", voulant dire par là qu'il garde trace de qui nous sommes et de ce qui est réel. L'ironie est que la vision du monde de notre ego s'est formée pendant l'enfance et que la plupart d'entre nous avons emporté avec nous dans le temps cette compréhension initiale. La partie de nous qui autrefois avait défini la réalité la déforme parfois maintenant, devenant une sorte de "principe de non-réalité".
Notre ego est plus jeune que le reste de nous. Quelques-unes de nos perceptions en tant qu'adulte sont filtrées par des yeux qui voient le monde tel qu'il était. Quand des gens ont déménagé d'un village pour aller dans une grande ville, des années après ils continuent à être tendus nerveusement quand ils entendent une sirène d'ambulance ; dans un village, l'ambulance ne vient jamais que pour quelqu'un que vous connaissez. Dans notre transe dans l'Ennéagramme, nous faisons quelque chose de similaire, nous réagissons au monde passé tout en vivant dans le présent.
Si vous marchez dans une ville par un après-midi pluvieux, vous verrez des gens tenir des parapluies ouverts une heure après que la pluie ait cessé de tomber. C'est comme si les parapluies étaient des protections contre notre mémoire de la pluie ou la croyance qu'il pleut encore.
Il est important de comprendre que la partie compulsive et excessive de notre style dans l'Ennéagramme est une défense, un parapluie protecteur contre le souvenir de circonstances passées. Les distorsions de notre style persistent maintenant parce qu'inconsciemment nous réagissons encore à une époque ancienne.
Ce n'est pas parce que nous vieillissons que nous grandissons nécessairement. À moins que nous ne travaillions sur nous-mêmes, nous avons tendance à répéter ce qui n'a pas été fini dans notre histoire, souvent de manière cachée et subtile. Les anciens thèmes, les liens, les conflits et les relations sont encore rejoués maintenant, recouvrant le présent comme une laque.
La plupart des modèles du développement de l'enfant adhèrent à la "théorie du bonsaï" selon laquelle un enfant pousse droit comme un arbre jusqu'à ce qu'il rencontre un traumatisme ou une opposition. Alors, comme un bonsaï, il "pousse de côté", emportant avec lui l'empreinte de la situation inachevée. "Pousser de côté" est encore une tentative inconsciente de "pousser droit" dans un monde qui ne le permet pas.
Certains 8 par exemple ont eu une enfance douloureuse au cours de laquelle ils ont été régulièrement battus, abusés verbalement ou ouvertement négligés. Typiquement, l'enfant atteint un seuil où il devient insupportable de rester ouvert et vulnérable. Quelque chose en lui se ferme et il fait le serment que personne ne pourra jamais plus le faire souffrir ainsi.
Un jeune enfant ne peut pas contrôler l'environnement extérieur, seulement son expérience intérieure. À cette fin, un jeune 8 menacé va mobiliser exagérément sa volonté et créer une barrière protectrice de force. La faiblesse est dangereuse, aussi il apprend à la supprimer, à la voir chez les autres et non pas chez lui. Contrôler sa vulnérabilité devient une compétence qu'il pratique jusqu'à ce qu'elle devienne aussi inconsciente que la fermeture des portes.
Un vœu d'auto-protection fait au cours de son enfance est aussi absolu qu'un vœu religieux et censé lui aussi durer toute une vie. Alors qu'elle était à l'origine un choix nécessaire, la décision de fermer une partie de sa psyché est basée sur des informations limitées ; l'enfant n'a tout simplement pas assez d'informations à propos de ce qu'il décide. Un serment de ne plus jamais être blessé par qui que ce soit est une généralisation excessive et formée hâtivement, mais peut être appliqué pendant toute une vie d'adulte avec une grande détermination.
De manière moins dramatique, nous avons tous fait des vœux de protection et fermé certaines parties de notre expérience. Nous sommes peut-être devenus ce que les autres voulaient que nous soyons en cachant les parties inacceptables de nous-mêmes, en sacrifiant nos vrais besoins, en s'adaptant en fonction de ce que nous ne pouvions pas avoir ou peut-être en renonçant à nos rêves les plus vrais.
Certains 9 ont appris pendant l'enfance à se contenter de très peu, les 7 inventent des futurs joyeux pour échapper à d'insolubles peines familiales, les 5 s'enferment pour échapper à des parents confus et demandant trop la satisfaction de leurs besoins. Pourtant inconsciemment, de tels vœux se transforment en un ensemble de défenses qui plus tard vivent de manière autonome.
Paddington, un des premiers explorateurs de l'Antarctique, traversait un jour une mer de glace quand un blizzard se leva soudainement. Il fut forcé de construire un igloo et de s'y réfugier pendant les quelques semaines que dura la tempête.
Après quelques jours passés en sécurité dans l'igloo, Paddington commença à remarquer que les murs intérieurs lui semblaient plus proches. Au début, il considéra qu'il s'agissait d'une hallucination mais petit à petit il réalisa qu'il était vrai que les murs de l'igloo gonflaient et que la structure de l'igloo se refermait graduellement sur lui.
Paddington réalisa finalement que l'humidité de sa respiration formait de fines couches de glace sur les murs. Chaque fois qu'il expirait, le froid faisait geler sa respiration, rendant les murs de l'igloo un peu plus épais. Si cela continuait, les murs pourraient grandir jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de place pour son corps. Le désir de survie et de sécurité de Paddington lui avait fait construire un bouclier défensif qui se transformait lentement en cercueil.
L'Ennéagramme décrit neufs sortes d'igloo intérieur, neuf boucliers psychologiques que nous construisons pour échapper aux tempêtes de l'enfance. L'ironie est que ce qui nous a sauvés une fois est maintenant le problème. Les défenses qui nous ont d'abord protégés sont maintenant exactement nos difficultés. En se défendant contre le passé, nous nous défendons exagérément contre le présent.
Alors que cela faisait à l'origine parfaitement sens de construire nos défenses, nous nous protégeons maintenant contre les tempêtes de notre mémoire, souvent en les reproduisant dans le présent. Dans la transe de notre personnalité, nous créons à la fois le problème et la défense, la tempête et l'igloo. Paradoxalement, notre moyen principal d'éviter la souffrance est de la recréer.
Une fois au cours d'une retraite spirituelle, un homme excentrique nommé David portait un tee-shirt sur lequel était écrit : "Ne m'appelez pas Bob !" Apparemment "Bob" était le surnom détesté de David enfant, ce que personne n'aurait jamais su sans le message sur le tee-shirt. De façon prévisible, quelqu'un fut incapable de résister au fait de l'appeler Bob. De façon tout aussi prévisible, David explosa de colère et fulmina de rage.
Même si le comportement de David était inhabituel, nous faisons tous des choses comme celle-ci quand nous abordons des circonstances nouvelles et les transformons avec notre histoire et notre transe. Nous créons des tempêtes familières pour mettre en œuvre et justifier nos défenses ; nous faisons que le présent ressemble au passé, en partie pour avoir une raison de faire ce que nous faisons le mieux.
Observant les mécanismes les plus rigides de son style dans l'Ennéagramme, une femme plaisanta : "Si je ne réussis pas dans mon travail actuel, il semble que je pourrais trouver un boulot dans la fabrication de cages." Parfois les défenses de notre ego peuvent ressembler à des cages élaborées, construites pour nous tenir à l'écart du mystère de la vie. Mais nous avons acquis nos défenses pour de bonnes raisons et nous pouvons penser que nous avons de bonnes raisons de les conserver.
La grande question est : qu'est-ce que nos défenses nous apportent et qu'est-ce qu'elles nous coûtent ? Changer peut paraître coûteux, mais souvent rester le même coûte encore plus.
À l'aise sous votre harnachement
Un jour, la thérapeute suisse, Marie Louise Von Franz, faisait une conférence à propos des applications de la psychologie jungienne. Elle disait que toutes les femmes avaient un petit démon imaginaire perché sur leur épaule droite et qui leur disait toute la journée des choses négatives. Dès que la femme essayait de passer à l'action, de s'affirmer ou de faire quelque chose de nouveau, le petit démon disait : "Tu ne peux pas faire cela, tu n'es qu'une femme. Tu n'y arriveras jamais, tu n'es qu'une femme."
Quand Von Franz eut raconté son histoire, une jeune femme agitée dans le public leva la main et dit : "C'est totalement vrai ! J'ai un petit démon qui dit toujours cela ! Je le déteste ! Pouvez-vous me donner une technique thérapeutique pour le tuer ?"
Von Franz répondit : "Non, non, non, vous n'avez pas compris ! Il est impossible de le tuer. C'est une partie de vous. Aucun de nous ne peut tuer ses petits démons, tout ce que nous pouvons faire, c'est les éduquer."
De différentes façons, l'Ennéagramme nous met au défi d'éduquer nos "petits conteurs d'histoire". Il pose la question : comment mettre à jour notre modèle du monde et commencer à vivre une nouvelle histoire ? Cela peut vouloir dire apprendre à être moins sur la défensive, à s'ouvrir plus pleinement au présent, à laisser la réalité raconter sa grande histoire à l'intérieur de laquelle notre véritable histoire personnelle est encore en train de s'écrire.
Les gens qui débutent dans l'Ennéagramme se demandent souvent s'il est possible de changer complètement de style dans l'Ennéagramme. Ils demandent : "Je sais que je suis un 7 ; est-ce qu'un jour je pourrais devenir un 2 ?
De la même façon que nous ne pouvons pas changer notre nationalité de naissance, notre style de base dans l'Ennéagramme reste le même. Vous ne cesserez jamais de percevoir le monde à travers le même filtre de base ; votre physiologie et la chimie de votre corps exprimeront toujours votre style dans l'Ennéagramme et aucun autre. Vos pensées iront toujours dans une certaine direction et vos forces continueront à résulter de ce fait.
Quand on demanda au poète Robert Frost pourquoi il continuait à écrire en rimes alors que les rimes n'étaient plus à la mode, il répondit qu'écrire une poésie non structurée lui paraissait être comme "jouer au tennis sans filet". Frost ajouta que "la liberté, c'est d'être à l'aise sous notre harnachement." Frost disait qu'il avait trouvé une grande liberté dans les contraintes de la rime.
Même si vous réussissez à travailler sur les excès de votre style dans l'Ennéagramme, vous ne pouvez pas échapper entièrement à votre personnalité. Il n'y a aucune chance que je cesse d'être un américain ou que mon ami Werner cesse d'être un suisse, mais nous pouvons devenir l'un et l'autre bien plus que notre nationalité.
Bien que nous ne puissions pas échapper de façon permanente à notre style dans l'Ennéagramme, il y a en lui étonnamment peu d'éléments que nous ne pouvons pas changer. Si vous y travaillez, vous pouvez changer votre style de personnalité d'une cage limitante en un harnachement lâche. Les dons et les ressources qui sont enfermés dans vos comportements les plus névrotiques peuvent être déliés, libérés et transformés.
Quand vous relâchez les défenses de votre personnalité, vous devenez plus flexible et vous vous libérez de votre tendance de base à considérer le monde d'une seule façon. Vous développez un répertoire plus large de comportements et réagissez de façon moins compulsive, moins défensive et moins "nationaliste". Vous augmentez votre capacité à absorber différentes sortes d'informations et découvrez de nombreuses options pour gérer votre vie.
Vous vous réveillez aussi du mauvais (ou du bon) rêve consistant à n'être que votre image de soi ; vous abandonnez vos rôles de défense et les anciennes identités qui n'ont plus grand-chose à voir avec ce que vous êtes maintenant. Comme vous portez le harnachement de votre personnalité moins serré, le "vous" essentiel a plus de place ; ce qui émerge est votre individualité profonde et le sens de votre propre âme.
Il y a même des ressources que vous développez à cause de vos défenses, des capacités qui émergent naturellement du travail sur les tendances névrotiques de votre style dans l'Ennéagramme. Les 3 qui sont enclins à mentir accordent une valeur spéciale à l'honnêteté. Les 6 effrayés apprennent plus que les autres la valeur du courage. Les 4 insatisfaits sont ceux qui découvrent le plus à propos du contentement. Les 8 guerriers en viennent à aimer faire la paix.
L'Ennéagramme est un outil extraordinaire de diagnostic pour les problèmes généraux ou spécifiques. L'étude de notre style de personnalité nous montre nos défenses et nos limites avec des détails pénétrants et suggère de nombreuses raisons pour lesquelles nous n'obtenons pas toujours ce que nous voulons. D'une manière générale, bien sûr, la vie quotidienne est une occasion merveilleuse de diagnostic. Quand nos actions créent de la souffrance, quand il y a une différence entre nos intentions et le résultat, alors nous sommes confrontés à la nécessité de changer.
Certaines personnes sont déjà sur une voie de changement et la nécessité de travailler sur elles-mêmes leur est évidente. D'autres, qui n'avaient pas auparavant d'intérêt pour la psychologie, trouvent que l'Ennéagramme les invite à examiner leur vie et à mieux se connaître. Extérieurement ils sont peut-être couronnés de succès et bien ajustés au monde, mais intuitivement ils savent qu'ils ont fermé des parties d'eux-mêmes en s'adaptant aux tempêtes de l'enfance.
Tout le monde n'a pas besoin de réviser complètement sa carte du monde. La quantité de ce que vous devez changer dépend généralement de l'importance de votre souffrance, d'à quel point votre igloo s'est transformé en cercueil. Certaines de vos défenses ne sont peut-être que moyennement gênantes, alors que d'autres vous entravent considérablement.
Les défenses votre personnalité n'interfèrent peut-être qu'avec une partie de votre vie. Par exemple votre carrière peut aller bien mais vos relations peuvent être troublées, à moins que ce ne soit le contraire. Ou peut-être le travail va-t-il bien parce que vous n'êtes jamais à la maison. Ou peut-être que votre vie de famille heureuse révèle des défenses que vous maintenez contre ceux que vous aimez.
À première vue, certains scénarios dans l'Ennéagramme semblent produire une plus faible motivation à changer. Les 1, les 4 et les 6 vivent des transes relativement inconfortables, alors que les 7 et les 9 ont des défenses qui nient ou minimisent la souffrance. Les 3 peuvent gagner beaucoup d'argent avec leurs préoccupations pour le succès ; faciles à vivre, les 9 vivent souvent longtemps. Certains 8 se disent heureux de la manière propre à leur style d'accéder au pouvoir.
Si vous découvrez que vous aimez votre style dans l'Ennéagramme, vous manquez la cible. La question demeure : comment vous défendez-vous ? Qu'est-ce que cela vous coûte ? Quelle importance cela a-t-il ?
Parce qu'élever du bétail avait cessé d'être profitable, un propriétaire de ranch de l'Ouest américain avait décidé d'utiliser de manière différente son vaste terrain. D'abord il creusa un trou gigantesque à côté d'une rivière proche et créa un lac. Ensuite, il introduisit des truites dans le lac et construisit un hôtel confortable. Avec très peu de publicité, il réussit à attirer des clients qui venaient passer des vacances consacrées à la pêche, et la nouvelle entreprise fut un grand succès.
À peu près en même temps, quelque chose d'inattendu se produisit. Tous les jours, de petits avions se mirent à voler en cercles au-dessus du ranch. Tout d'abord le propriétaire fut ennuyé de l'intrusion ; puis il réalisa ce qui se produisait. Les pilotes volaient en cercles au-dessus du ranch parce qu'ils se croyaient perdus. Le nouveau lac n'apparaissait pas sur leurs anciennes cartes.
Souvent le coût initial du changement est la confusion. Quand nous suivons la carte de notre ego, nous pensons que nous savons où nous allons. Mais le changement est un processus de découverte ; il nous demande de naviguer dans des eaux nouvelles, de parcourir des terres non familières et de vivre pendant quelque temps sans repères fermes. L'hypnothérapeute Milton Erickson avait l'habitude de dire que "la confusion est la porte d'accès à de nouveaux apprentissages" et nous sommes souvent au meilleur de nous-mêmes quand nos présupposés sont remis en question et quand nous ne savons pas où nous allons.
L'auteur d'ouvrage sur l'Ennéagramme Suzanne Zuercher dit : "Nous devons expérimenter véritablement, vivre l'histoire à nouveau pour nous-mêmes, mais cette fois avec les sensations et les émotions que nous ne pouvons pas supporter dans nos vies. Nous devons laisser entrer l'expérience entière, maintenant depuis un point de vue supérieur qui nous permet de ressentir son plein impact."
Garder une partie de notre psyché fermée n'est pas un acte naturel ou une bonne solution permanente à nos blessures. Bien que nous nous défendions contre notre réalité intérieure quelque chose en nous cherche à se réunir à elle, à retrouver notre intégrité profonde et à vivre une vie plus complète.
Comme vous vous rouvrez à la totalité de votre expérience, vous constaterez peut-être que certaines des émotions contre lesquelles vous vous défendiez réapparaissent. Il pourra y avoir des moments où vous sentirez à nouveau comme dans votre enfance et où vous vous souviendrez de votre vœu originel de vous fermer. Bien que subjectivement contraignantes, ces sensations ne sont que des souvenirs déguisés.
La différence entre alors et maintenant, c'est que vous avez des dizaines d'années d'expérience de vie qui peuvent être utilisées pour résoudre les dilemmes anciens. En tant que personne vous êtes beaucoup plus que votre ego et les nombreuses ressources que vous avez développées depuis l'enfance vous aideront grandement à éduquer votre conteur.
Quoique la source de nos défenses soit dans le passé, la solution n'est pas de nous vautrer dans notre histoire de vie ; l'Ennéagramme nous montre comment nous recréons le passé dans le présent. Le défi est de créer un monde plus large maintenant, de laisser le présent nous enseigner le passé, d'apprendre de notre histoire de façon à cesser de la répéter.
Je suis grand et les personnes grandes habituellement courbent la tête en passant sous des surplombs bas ou sous les branches des arbres. Plusieurs fois, je me suis surpris à marcher dans la rue sous la pluie, la tête courbée sous le plafond bas d'un parapluie que je tenais.
Une partie de ce dont j'espère vous avoir convaincu est que vous jouez un rôle actif dans la création et la persistance de votre histoire dans l'Ennéagramme. La manière dont vous pratiquez vos défenses est un processus actif que vous mettez en œuvre plusieurs fois par jour. Vous êtes l'auteur, le réalisateur et l'acteur principal de votre scénario. Vous continuez à maintenir vos défenses avec persévérance, implication et volonté inconsciente. Bien que vous ne puissiez pas changer qui vous êtes, vous avez un pouvoir considérable sur ce que vous faites.
Supprimer, réduire au silence ou tuer notre conteur est probablement une cause perdue. Pourtant nous pouvons développer différentes narrations de notre vie, réécrire notre histoire en insistant sur nos forces, trouver les échappatoires et les ressources oubliées, affirmer la puissance de notre histoire plutôt que d'être sa victime et la vivre moins pleinement.
Vous pouvez aussi trouver un point de puissance à l'intérieur de vos réactions inconscientes, localiser l'endroit en vous-même à partir duquel vous générez votre transe dans l'Ennéagramme et acquérir un sens direct de la façon dont vous pratiquez activement la compétence de votre style ; vous pouvez alors découvrir ce que le reste de vous peut apporter à votre ego pour commencer à changer vos défenses.
La vie nous offre de nombreux cadeaux que nous ne sommes pas capables de recevoir dans la transe fermée de nos défenses. Tant que les vœux de notre enfance sont en place, nous sommes fermés à la grâce, à la providence et aux surprises positives. Nous éveiller de la transe de notre personnalité nécessite une volonté d'êtres ouverts et de prendre la responsabilité des obstacles que nous mettons sur notre propre chemin. Au-delà de cela, le voyage du changement accueille tout le monde ; le moment de votre départ arrive.
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Cet article est extrait de The Dynamic Enneagram-How To Work With Your Personality Style to Truly Grow and Change. de Thomas Condon, © 1996, à paraître en 1998. Pour plus d'informations à propos des séminaires, livres et vidéo de Thomas, contactez :
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