Sous l'œil acéré de la conscience
Bouddhisme et Ennéagramme
Mary Porter-Chase (Traduction par Fabien Chabreuil)
Il est naturel quand nous découvrons l'Ennéagramme de le comparer à notre pratique spirituelle. Faire des connexions entre les différents aspects de l'un et de l'autre aide à mettre en perspective notre nouvelle découverte. Où se rencontrent-ils ? Où se recouvrent-ils ? En quoi sont-ils différents ? En quoi sont-ils compatibles ?
J'étudie le Bouddhisme Theravada depuis environ vingt ans. J'ai adopté cette pratique de grand cœur, avec une joie particulière car les enseignements me semblaient moins être une sagesse nouvelle et intrigante que le rappel d'un souvenir enfoui, qu'un retour à la maison. C'était le sentiment de tomber amoureux et l'impression qui va souvent avec ce sentiment d'avoir déjà connu l'autre d'une certaine façon, sous une autre forme, en un autre lieu ou en un autre temps. Cette nouvelle découverte a fait surgir en moi une attirance que je ne savais pas possible. Ce fut une révélation étonnante. J'y ai passé du temps depuis, avec des niveaux d'attention et d'efforts variables, pour m'intégrer, apprendre, m'ouvrir et développer les compétences nécessaires pour apporter dans ma vie plus de compassion, de joie, d'amour et d'action juste.
Au début des années 1990, un ami, enseignant certifié par Helen Palmer, m'a persuadé que l'Ennéagramme me plairait en raison de ma pratique bouddhiste. J'avais déjà lu des articles sur l'Ennéagramme et même si le sujet m'avait légèrement intéressé, ce n'était pas assez pour me pousser à aller plus loin. La courte explication de mon ami m'a donné envie d'approfondir le sujet et j'ai lu le premier livre d'Helen Palmer. J'étais accrochée. Depuis, j'ai étudié les textes des principaux enseignants de l'Ennéagramme, j'ai écouté à plusieurs reprises leurs cassettes, j'ai suivi des cours, j'ai été le facilitateur d'un groupe de débutants, j'ai servi d'exemple dans des panels, j'ai été un membre actif du NCIEA (Association Nord-Californienne affiliée à l'International Enneagram Association et pendant les trois dernières années, j'ai participé aux séminaires d'Helen Palmer "Éduquer l'Observateur Intérieur" et aux groupes de suivi. Pour emprunter une expression bouddhiste bien connue, pendant les trois dernières années, j'ai étudié et pratiqué l'Ennéagramme comme si mes "cheveux étaient en feu".
À ma connaissance, aucun de mes enseignants bouddhistes n'a essayé d'intégrer les deux systèmes. Pourtant à mon avis, la religieuse bouddhiste occidentale, Pema Chödrön, parle de la condition humaine d'une façon très proche du mode de pensée de l'Ennéagramme. Par exemple, dans son livre, Start Where You Are (Commencez où vous êtes), elle dit :
Aussi longtemps que vous essayez d'être plus mince, plus intelligent, plus illuminé, moins nerveux ou quoi que ce soit d'autre, vous abordez votre problème avec la même logique qui a contribué à le créer : vous n'êtes pas assez bien. C'est pourquoi le problème habituel ne cesse jamais de lui-même quand vous essayez de vous améliorer : vous vous en occupez exactement de la manière qui a causé la souffrance.
J'ai trouvé dans le Bouddhisme Theravada, et plus particulièrement dans la méditation Vipassana, la base de la pratique spirituelle qui supporte mon monde et ma conception personnelle de la vie. Il structure ma façon d'être dans le monde et de considérer la vie et la mort. Pourtant, l'Ennéagramme est aujourd'hui au centre de ma pratique spirituelle. Il m'ouvre un chemin me permettant de progresser dans la lutte de toute ma vie pour domestiquer mon ego. Il s'est saisi de moi comme rien d'autre ne l'avait fait et me permet d'avancer dans l'ajustement de ma personnalité mieux que la psychothérapie, la méditation, les retraites silencieuses et le travail conscient n'avaient su le faire (Ceci dit sans vouloir diminuer aucunement la valeur de ces approches).
La pratique bouddhiste et le travail avec l'Ennéagramme se complètent et s'enrichissent mutuellement. Il n'y a pas de corrélation directe ou littérale entre le dharma (l'enseignement) du Bouddhisme et les centres ou les points de l'Ennéagramme. S'efforcer de faire une telle connexion risquerait d'aboutir à une déformation des deux pratiques. Pourtant, en plus de la méditation, il y a des concepts du Bouddhisme qui sont aussi abordés par l'Ennéagramme, chacun à sa façon.
La pratique de la méditation bouddhiste exerce "l'œil intérieur de la conscience". Adopter le concept de non-soi tout en pratiquant l'amour, l'action juste et la compassion est un de ces paradoxes que la pensée orientale enseigne si bien. L'Ennéagramme confronte notre identité d'une manière différente. Nous apprenons rapidement que la fixation est véritablement une part cachée de notre personnalité. Aussi, le Bouddhisme développe la conscience, l'ouverture calme et l'attention focalisée qui est utile pour approcher l'Ennéagramme et le contenu et la sagesse de l'Ennéagramme permettent de voir plus précisément et plus profondément les habitudes d'attention et les agissements douloureux de l'ego. (Richard Rohr, un 1 typique, a raconté très souvent dans ses conférences que vingt ans après avoir appris quelle était sa fixation, il la découvrait encore à l'œuvre). Les séminaires d'Helen Palmer "Éduquer l'Observateur Intérieur" fonctionnent bien et font explicitement le lien entre la pratique de la méditation bouddhiste et les enseignements de l'Ennéagramme.
Comme le Bouddhisme a été pendant des siècles une tradition orale, presque tous les concepts ont été numérotés : les Quatre Nobles Vérités, l'Octuple Sentier, les Dix Paramitas (accomplissements), les Cinq Obstacles, les Trois Feux (poisons), les Trois Caractéristiques des Phénomènes (insatisfaction, impermanence, non-soi), les Cinq Agrégats (de la forme, de la sensation, de la perception, des formations mentales, de la conscience), les Quatre États Sublimes (action juste, compassion, joie, équanimité), etc. Le nombre de chacun de ces éléments et la terminologie employée varient selon les traditions. Quand on considère l'Ennéagramme et le Bouddhisme, il peut être tentant de rapprocher les nombres et de jouer avec eux. Pourtant, il est aussi possible de les traiter comme deux systèmes puissants mais séparés, chacun formant un tout en soi, mais tous deux allant, à un niveau très profond, dans la même direction.
Examinons de plus près trois des éléments du dharma : les Obstacles, les Feux et les Paramitas.
Les Cinq Obstacles sont la convoitise, le mauvais vouloir, la paresse, les idées obsédantes et le doute. Ils sont présentés comme des "empêchements majeurs à la concentration et donc à la compréhension de la vérité ultime". Le Bouddhisme nous enseigne que lorsque nous méditons, mais aussi à tout autre moment, nous sommes confrontés à tous ces obstacles. Faire remarquer que "ces obstacles bouddhistes correspondent à diverses fixations de l'Ennéagramme sans offrir la richesse de son enseignement" n'est pas bouddhiste.
Les Trois Feux (poisons) sont les attitudes mentales d'ignorance (illusion), d'avidité (avarice, désir) et de haine (aversion ou détachement). Ils peuvent être rapprochés des trois points du triangle, le 9, le 3 et le 6. Ce n'est pas pourtant ce qu'enseigne le Bouddhisme. Il nous enseigne que les Trois Feux sont à l'origine de toute activité malsaine et qu'il y a, dans chaque moment de conscience, une combinaison de ces trois facteurs. Ce sont des caractéristiques de l'esprit qui déterminent comment notre conscience se relie à notre monde. Le Bouddhisme nous demande de regarder comment ces trois poisons sont à l'œuvre dans notre vie quand nous la conduisons compulsivement et aveuglément ; il nous propose d'observer comment ils perpétuent notre souffrance et nous empêchent d'être avec ce qui est. Cette logique est un territoire familier pour les étudiants de l'Ennéagramme car nous reconnaissons comment ces facteurs jouent un rôle dans notre vie. Mais l'enseignement bouddhiste est ici plus large et plus complet.
Les Dix Paramitas sont : générosité, moralité, renonciation, sagesse, énergie, patience, sincérité, action juste et équanimité. Ce sont les nobles qualités que le pratiquant cultive activement quand il se rapproche de l'état de Bouddha ou essaye de réduire sa souffrance. Il n'y a pas besoin de chercher bien longtemps pour faire correspondre ces concepts avec les points de l'Ennéagramme, mais le faire ne rend service ni au Bouddhisme, ni à l'Ennéagramme. Le Bouddhisme demande de travailler de manière holistique sur les dix Paramitas, d'observer tous les caractéristiques de l'être humain qui causent la souffrance. Il enseigne ensuite des techniques pour cultiver ces nobles qualités. L'Ennéagramme indique des aspects de la personnalité qui nécessitent une attention vigilante, bien au-delà de ce dont un pratiquant bouddhiste a besoin pour interrompre ou modifier les habitudes d'attention et soulager la souffrance.
L'Ennéagramme enseigne aussi la personnalité humaine de manière holistique. Nous apprenons que les neuf fixations sont en nous mais on nous demande de travailler avec une d'elles. C'est celle qui se manifeste le plus fréquemment, qui a le plus de force et est donc porteuse du plus grand potentiel de transformation. Le Bouddhisme n'en isole pas une en particulier.
D'un autre côté, le Bouddhisme introduit un sens de l'espace et étend l'idée du temps et de la distance au-delà de ce que l'esprit rationnel ou l'éducation traditionnelle peuvent imaginer. Il demande aussi d'étudier le paradoxe selon lequel "la forme est vide et le vide est forme". Ce n'est pas le sujet de l'Ennéagramme.
La sagesse du Bouddhisme et celle de l'Ennéagramme permettent d'accroître prodigieusement la compassion pour soi et pour les autres êtres. Le concept bouddhiste de "cultiver" la compassion, notamment par diverses pratiques de méditation, apporte sa magie d'une manière très tranquille et très personnelle. L'Ennéagramme présente une autre approche et un autre style d'enseignement avec ses interactions dynamiques entre les gens et permet de tisser un autre filet magique.
Une fois encore, les mots de Pema Chödrön parlent de la compassion d'une façon qui exemplifie une des leçons que l'Ennéagramme enseigne si bien :
Échanger votre place avec celle des autres commence à se produire quand vous pouvez voir où est quelqu'un parce que vous êtes passé par là. Cela ne se produit pas parce que vous êtes meilleur qu'eux mais parce que tous les êtres humains sont faits de la même matière. Plus vous vous comprendrez, plus vous comprendrez les autres.
Le Bouddhisme et l'Ennéagramme : on ne peut pas recommander l'un
par rapport à l'autre, mais seulement s'incliner profondément
devant les deux. Quelles contributions magnifiques à notre monde !
(Il faut mentionner ici que la sagesse de base du Bouddhisme et de l'Ennéagramme
est partagée par toutes les traditions relevant de la philosophie pérenne.)
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Mary Porter-Chase, Ph.D., est éducateur et écrivain et essaye de vivre d'un cœur aussi léger que possible à Berkeley en Californie. Elle appréciera vos commentaires. E-mail : WHMarsam@aol.com.
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