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Découvrir l'Ennéagramme : l'espace 3
Eunice Russel Schatz (Traduction par Fabien Chabreuil)

Il y a plusieurs années, un ami 7 était revenu enthousiaste d'un atelier sur l'Ennéagramme et avait insisté pour que je me penche sur le sujet. J'avais déjà entendu le mot "Ennéagramme" lors des échanges entre les participants de mes groupes de formation à la direction spirituelle mais je n'y avais pas vraiment prêté attention. Une fois, lors d'une discussion passionnée, l'enseignant assis derrière moi s'était penché par-dessus mon épaule et avait murmuré : "Êtes-vous un 4 ?"

"Un 4 ?", avais-je répondu à haute voix, "Que voulez-vous dire ? Un 4 ?"

L'enseignant s'était reculé sur son siège et excusé : "Oh ! Je pensais que vous connaissiez l'Ennéagramme."

J'ai commencé à lire les notes de mon ami 7, les descriptions des types. J'avais des difficultés à me reconnaître, mais uniquement à cause des mots-clés décrivant le 3. Sinon, le mécanisme général convenait parfaitement. Mais, succès ? Je suis la fille d'un pasteur et, d'une manière ou d'une autre, j'ai passé toute ma vie dans un ministère chrétien. Le mot succès s'était toujours appliqué aux "préoccupations du monde". Le mot ne faisait tout simplement pas partie de mon vocabulaire.

Alors, j'ai essayé un synonyme ou deux : efficace, efficient. Ah, soudainement j'étais chez moi.

A commencé alors une décade d'exploration. Il n'y avait pas beaucoup d'ouvrages imprimés sur l'Ennéagramme à l'époque ; aussi me suis-je procurée la thèse de Jerome Wagner. J'ai participé à une série d'ateliers animés par Ruth Duffy. J'ai trouvé le livre de Beesing et O'Leary. Et il existait aussi divers polycopiés que j'ai dévorés. J'ai entendu parler de Ruth Creighton et de sa tentative de rassembler diverses écoles de pensée dans une publication régulière et je suis allée la voir à Chicago.

Mais pendant que mon centre mental était occupé avec ces aspects de ma recherche, mon cœur suivait un autre chemin, une recherche intérieure qui a culminé dans un fulgurant moment de vérité lors d'une retraite silencieuse d'une semaine en 1990.

J'avais récemment commencé à travailler avec des gens le thème du "voyage intérieur" au sein de Life/Work Direction, l'organisation que mon mari, moi et quelques autres avions fondée pour conseiller des gens qui vivaient des périodes de transition dans leur vie privée ou dans leur travail. De temps en temps, des femmes m'avaient demandé de travailler plus profondément avec moi en individuel et j'avais accepté. Pour soutenir ce travail en profondeur, j'avais demandé à un analyste jungien de me superviser et j'avais commencé ma propre analyse sans bien réaliser à quel point tout cela allait bouleverser ma vie. Je ne me rendais pas compte alors que la motivation du 3 pouvait devenir une force mortelle en essayant d'avoir un impact sur un travail intérieur et spirituel et qui ne pouvait pas être pressé.

Au cours des mois d'automne et d'hiver 1988, mon corps a commencé à se plaindre en m'envoyant une série de symptômes inquiétants et inexplicables. Il ne semblait pas y avoir une cause que les médecins puissent trouver, quoique le mot "stress" revenait souvent dans leurs commentaires. Aucune partie de mon corps n'était épargnée. J'ai consulté de nombreux spécialistes et fait de multiples examens. Le résultat était toujours le même : "Normal".

J'étais totalement absorbée par mon corps dans la journée et la nuit par mes rêves que j'amenais en analyse chaque semaine. Je les dessinais : des traînées grises, brunes ou noires décrivant des îles arides, des caricatures sinistres de femmes et de temps en temps une image de sérénité. Derrière tout cela, j'admettais que cette expérience tout entière était un voyage spirituel, même s'il semblait prendre des proportions infinies.

En février 1990, épuisée par les épreuves de l'année précédente et ayant finalement cherché un traitement chez un praticien de médecine alternative (dont les prescriptions m'ont presque tuée), j'ai planifié ma retraite silencieuse annuelle dans un centre de retraite proche. J'ai volontairement demandé à avoir comme directeur spirituel une infirmière dont je savais qu'elle s'était identifiée en 2, parce que je pressentais qu'elle pourrait, au moins dans une certaine mesure, comprendre et gérer mon état instable et inquiet.

Mais, même un 2 évolué pouvait être choqué par le degré de détresse que je manifestais, particulièrement le second jour quand je me suis assis avec elle en répétant encore et encore "Je suis malade, je suis malade, je suis malade" et que j'ai vomi dans sa corbeille à papier. J'étais honteuse et désespérée. Au déjeuner ce jour-là, alors que nous mangions en silence, je me souviens que j'étais assise en face d'une femme dont le regard était plein de souffrance. Elle n'a pas bronché alors que j'étais assise là en train de manger ma salade avec des larmes ruisselant sur mon visage. Quand elle est partie, elle m'a donné une tape sur l'épaule et j'ai su qu'elle comprenait.

Le lendemain, alors que j'errais dans le salon, j'ai remarqué une étagère de cassettes. J'en ai pris une au hasard dont le titre n'était pas très explicite et je suis allée l'écouter dans ma chambre. Une voix féminine, calme et claire parlait du "castor" : le castor ceci, le castor cela… J'ai soudain réalisé qu'elle donnait une conférence sur la conversion du 3. [Note du traducteur : dans les milieux chrétiens, on utilise assez souvent des animaux symboliques pour décrire les types de l'Ennéagramme et la conversion est le mouvement d'abandon à Dieu, à la grâce divine, perçu comme condition indispensable de la libération de la compulsion.] Je m'approchais du magnétophone pendant que les mots entraient dans mon âme.

"Si tu me dis « Tu es un raté. », je dois te tuer parce que tu menaces ma vie (mes systèmes de défense). Si une personne essaye de me convaincre de ça, elle essaye d'être Dieu. Seul Dieu peut me convaincre de cela et a le droit de me demander de boire cette coupe jusqu'à la lie, de vivre cette sorte de martyre."

Ou encore :

"Il est difficile pour les gens du centre émotionnel d'être un chrétien, d'avoir besoin d'être sauvé. Nous sommes effrayés si nous ne savons pas quoi faire. Nous lisons les Évangiles et nous nous corrigeons, nous nous améliorons. Nous le faisons par la force de la volonté. Pendant une bonne partie de notre vie, nous n'avons pas besoin d'un Sauveur."

"Puis vient un jour où nous ne pouvons plus continuer par nous-mêmes… le plus grand jour de ma vie, même si je ne l'ai pas ressenti ainsi sur le moment."

Sans cesse, le message revenait, parlant des passions et des vertus et finalement de l'évitement de l'échec. Une phrase retenait mon attention : "Seuls les 3 savent ce qu'est l'échec et peuvent boire la coupe jusqu'à la dernière goutte."

"La compulsion d'évitement est la clé d'or pour enlever la 'peau', la protection. Cela se fait dans les ténèbres et la désolation. C'est la réalité avec laquelle nous ne pouvons entrer en contact qu'en éprouvant une terrible souffrance, des pressentiments de malheur et une peur que notre vie soit finie et que nous allons mourir. C'est le moment de notre martyre chrétien parce que nous réalisons que Jésus est en train de nous sauver de [l'échec pour moi]."

C'était cela : ma réalité présente, la souffrance terrible, la désolation, la mort de la personne efficace que j'avais toujours été et dont j'étais fière. L'image de la Croix prenait une nouvelle signification en ce moment. Un 3 sur la croix à la place de Jésus aurait ressenti de la rancœur sous les quolibets de la foule : "Il sauvait les autres et Il ne peut pas se sauver." Je réalisais soudain que Jésus avait vécu cela. Pour moi ! Il était passé par l'échec.

Cette nuit-là, je me suis réveillée dans le calme avant l'aube ; j'ai dessiné la Croix puis j'ai écouté l'obsédante beauté du Pie Jesu du requiem de Lloyd Webber et je me suis rendormie.

Je ne peux plus utiliser l'Ennéagramme superficiellement désormais. J'avance doucement quand je le présente aux participants de notre programme Life/Work Direction vers la fin de notre processus professionnel. Je sais ce que c'est qu'être brutalement exposée à sa propre vérité.