Le système de défense
Peter O'Hanrahan (Traduction par Fabien Chabreuil)
Des points d'accès pour la conscience de soi et le développement
Un des grands avantages de l'Ennéagramme est la richesse de sa description de la personnalité et de la structure du caractère. C'est un système profond, et on peut parfois se sentir un peu débordé par sa complexité. Heureusement, une fois que nous connaissons notre type de personnalité, il nous fournit des suggestions détaillées sur la manière de le mettre à profit dans notre vie quotidienne. Il y a un certain nombre de "points d'accès" qui jouent un rôle clé dans cet effort et qui peuvent fonctionner comme des ancres nous aidant à rester sur la bonne voie.
Dès que nous utilisons l'Ennéagramme pour notre guérison et notre croissance personnelles, nous rencontrons un ensemble de défenses psychologiques que chaque type utilise pour maintenir les choses en place et créer un sentiment de sécurité. Bien sûr, nous avons, dans une certaine mesure, besoin des mécanismes de défense de notre ego pour nous protéger de la souffrance et pour maintenir un sens de notre identité, mais nos défenses sont aussi ce qui nous coince dans les aspects inférieurs de notre personnalité : nos biais perceptuels, nos réactions irraisonnées et nos programmes automatiques de pensée, d'émotion et d'action. Ces mécanismes de défense opèrent généralement à l'arrière-plan mais ils deviennent particulièrement actifs quand nous nous sentons menacés.
D'un autre côté, quand nous nous sentons en sûreté ou dans la sécurité que provoque par exemple une bonne dose d'acceptation de soi ou la présence d'un être aimant, nous pouvons être moins sur la défensive et devenir plus ouverts. L'Ennéagramme suggère que lorsque nous nous relaxons et que nous baissons nos défenses, notre personnalité commence à changer. Nous nous déplaçons vers un autre point de l'Ennéagramme, appelé le point de sécurité ou le point d'intégration. En vingt ans de travail avec l'Ennéagramme, aussi bien personnellement qu'avec des clients, j'ai découvert que le chemin de la croissance personnelle et de la guérison traverse ce territoire entre nos défenses et notre point d'intégration.
Mécanisme de défense, image idéale de soi et compulsion d'évitement
Nos défenses sont organisées selon un système cohérent constitué de trois éléments : le mécanisme de défense, l'image idéale de soi et la compulsion d'évitement. Ils fonctionnent selon un arrangement tripartite destiné à maintenir en place la structure de la personnalité. Ils sont les pierres angulaires de nos fixations, de nos systèmes d'auto-illusion et il est très difficile de penser clairement ou d'être en contact avec nos émotions réelles quand ils sont actifs. Si nous voulons travailler sur notre personnalité, nous devons les affronter encore et encore. Ils barrent la route de notre développement.
L'image idéale de soi est ce que nous pensons devoir être pour avoir de la valeur et nous estimer. Par exemple, les 3 disent "Je réussis", les 6 "Je suis loyal" et les 9 "Je suis en harmonie". Le problème n'est pas qu'il soit mauvais de vouloir cela pour soi, il est plutôt dans le fait que nous y mettons notre valeur en tant qu'être humain. Plus nous sommes attachés à notre image idéale de soi, moins nous nous donnons le droit d'être simplement nous-mêmes. Bien souvent, notre image idéale de soi est en conflit majeur avec la réalité. Cela peut provoquer différentes réactions dont aucune n'est particulièrement utile. Nous pouvons faire beaucoup d'efforts pour nous mentir à nous-mêmes et maintenir l'illusion que nous sommes réellement forts, ou corrects, ou aidants, etc. Ou bien nous pouvons nous sentir misérables parce que nous n'avons pas réussi à vivre en conformité avec notre idéal. Mais que nous échouions ou que nous réussissions à attendre notre état idéal, cette partie de notre personnalité exerce sur nous une sorte de tyrannie. Toute chose est jugée ou mesurée à cette aune. Généralement, nous ne remettons pas en cause cette image idéale de soi parce qu'elle fait intimement partie de notre fonctionnement. Cependant, être attentif à notre image idéale de soi et apprendre à s'en détacher est crucial pour notre développement personnel.
Chacun d'entre nous a un certain type d'expérience ou de sensation qu'il veut éviter, quelque chose qui ne rentre pas dans notre image de qui nous sommes et comment nous voudrions être. Notre personnalité est principalement bâtie pour nous en protéger. La compulsion d'évitement est symétrique de l'image idéale de soi. D'une certaine manière elles sont opposées et pourtant elles se renforcent mutuellement. Nous avons tendance à passer de l'une à l'autre. L'image idéale de soi est censée nous maintenir éloignée de ce que nous voulons éviter mais il y a un piège. Par exemple, si les 1 essayent d'être "corrects" en permanence, cela crée le risque qu'ils essayent de cacher leur colère et leurs autres "mauvais" sentiments. Ces mauvais sentiments ne disparaissent pas bien sûr, ils résident simplement dans la partie ombre de la personnalité où ils peuvent créer toutes sortes de problèmes. Les 9 veulent rester en harmonie de façon à éviter les conflits, mais des conflits peuvent surgir et s'aggraver du fait même d'essayer de les éviter. Les 2 se sentent bien avec eux-mêmes dans la mesure où ils peuvent dire "Je suis aidant" et éviter de reconnaître leurs propres besoins. Mais pour les gens qui les côtoient, le besoin d'attention et d'approbation des 2 est atrocement évident et cela d'autant plus qu'ils refusent de l'admettre.
Ainsi, à première vue, l'image idéale de soi et la compulsion d'évitement travaillent à nous garder éloignés des expériences que nous ne voulons pas vivre. Mais à l'occasion, elles contribuent à aggraver la situation même que nous cherchons à éviter. Si en tant que 8, je réussis à rester isolé émotionnellement des autres et à éviter ma propre vulnérabilité en utilisant le mantra "Je suis fort", il m'arrivera de me retrouver dans des situations où le contraire est vrai. Je ne reconnais pas mes limites et je vais au point d'épuisement qui provoque la faiblesse que je cherche à éviter.
Le troisième élément de cet arrangement est le mécanisme de défense qui soutient la dichotomie entre l'image idéalisée de soi et la compulsion d'évitement et maintient le système en place. Le mécanisme de défense est "celui qui impose". Comme une sorte de gardien féroce aux portes du temple, il entre en action dès que la fixation ou la structure du caractère sont menacées, soit par des émotions ou des impulsions inacceptables venues de l'intérieur, soit par des messages dérangeants émis par d'autres personnes ou par notre environnement. Pour leur plus grande part, les mécanismes de défense fonctionnent automatiquement et inconsciemment. Nous ne nous apercevons tout simplement pas de ce qui se passe. Le mécanisme de défense n'est pas uniquement actif quand notre personnalité est menacée ; il peut avoir une influence chronique sur notre vie quotidienne. Par exemple, les 5 peuvent s'isoler et se retirer d'une situation dans laquelle ils se sentent sous pression ou contraints, mais nous voyons aussi des 5 qui ont l'habitude de s'isoler. Se dissocier des gens ou de leur propre vie émotionnelle est devenu un thème dominant de leur vie.
La psychologie moderne décrit les neuf mécanismes de défense de l'Ennéagramme (plus quelques autres) sans toutefois les relier à un type spécifique de personnalité. À certains moments ou dans certaines conditions, nous pouvons manifester n'importe lequel d'entre eux. Mais, l'Ennéagramme dit qu'il y en a un qui est principalement utilisé par notre type de personnalité.
La connaissance de ces trois éléments psychodynamiques favorise grandement notre travail sur nous-mêmes et avec les autres. En les observant, nous pouvons découvrir comment fonctionnent les défenses psychologiques et émotionnelles des types de personnalité. Nous pouvons essayer d'intervenir quand nous remarquons leur déclenchement et nous savons mieux comment réagir quand elles sont activées par les personnes avec lesquelles nous sommes en relation. Il est important de noter que nous n'avons généralement pas de problème avec le type des autres personnes. Ce qui s'oppose à la coopération et l'intimité avec elles, ce sont nos systèmes de défense (et les leurs). Les frustrations et les conflits dans les relations proviennent essentiellement de ces mécanismes inconscients.
Voici une brève description de ces défenses. Il est difficile de les comprendre réellement avec seulement une ou deux phrases, mais il est aidant d'avoir une vue globale. La première partie de la phrase est l'expression du mécanisme de défense, par exemple "Les 1 utilisent la formation réactionnelle", et les suivantes sont la compulsion d'évitement et l'image idéale de soi. Le mot utiliser peut laisser penser que le mécanisme de défense implique une intention consciente, ce qui est rarement le cas. Rappelons qu'il s'agit plus souvent d'un automatisme très difficile à observer en nous.
- Les 1 utilisent la formation réactionnelle pour éviter la colère (la colère directe) et maintenir l'image de soi "Je suis correct". (La formation réactionnelle consiste à ressentir une chose et à faire le contraire, par exemple se sentir plein de ressentiment et réagir gentiment.)
- Les 2 utilisent la répression pour éviter la reconnaissance de leurs besoins et maintenir l'image de soi "Je suis aidant". (La répression consiste à mettre hors du champ de conscience les sentiments inacceptables et à les convertir en une énergie émotionnelle plus présentable.)
- Les 3 utilisent l'identification pour éviter l'échec et maintenir l'image de soi "Je réussis". (L'identification est une sorte de jeu de rôle qui domine la vie, une image dans laquelle on perd son Soi réel.)
- Les 4 utilisent l'introjection pour éviter d'être ordinaires et maintenir l'image de soi "Je suis authentique". (L'introjection est à la fois une tentative pour lutter contre un sentiment d'insuffisance en trouvant sa valeur en dehors de soi et l'habitude d'intérioriser les critiques à propos de ce qui va mal.)
- Les 5 utilisent l'isolation pour éviter le vide et maintenir l'image de soi "Je suis savant". (L'isolation peut être physique et géographique, mais elle peut aussi signifier se couper de ses émotions.)
- Les 6 utilisent la projection pour éviter d'être rejeté et maintenir l'image de soi "Je suis loyal". (La projection est un moyen d'attribuer aux autres ce qu'on ne peut pas accepter pour soi, aussi bien le positif que le négatif.)
- Les 7 utilisent la rationalisation pour éviter de souffrir et maintenir l'image de soi "Je suis OK". (La rationalisation est une manière de justifier ou d'expliquer de façon à éviter la souffrance ou la prise de responsabilité.)
- Les 8 utilisent le déni pour éviter la vulnérabilité et maintenir l'image de soi "Je suis fort". (Le déni est une sorte de détournement vigoureux de l'attention et des sentiments basé sur l'obstination et le contrôle.)
- Les 9 utilisent la narcotisation pour éviter les conflits et maintenir l'image de soi "Je suis confortable et en harmonie". (La narcotisation consiste à utiliser de la nourriture, de la boisson, des distractions ou plus simplement des manières répétitives de pensée et de faire pour s'oublier soi-même.)
Il est important de voir comment les mécanismes de défense sont tous basés sur le centre préféré du type, le mental, l'émotionnel ou l'instinctif. Par exemple, la répression (2) et le déni (8) peuvent paraître semblables et effectivement les résultats sont similaires puisque, dans les deux cas, des émotions inacceptables sont mises hors du champ de conscience. Mais il y a une grosse différence. La répression est une fonction du centre émotionnel. Quand les 2 répriment certaines émotions, ils les convertissent en une autre forme d'énergie émotionnelle. Elles peuvent être transformées en des sentiments plus positifs ou simplement être déchargées dans leur affect et leur ton général. Cela renforce leur tendance à être "hystériques". Au contraire, les 8 cachent leurs sentiments de vulnérabilité ou de tristesse derrière leur énergie exaspérée. Le déni utilise la forte énergie du centre instinctif pour supprimer et faire cesser toutes les émotions.
Autre exemple : les 6 projettent leurs émotions et leurs impulsions inacceptables sur les autres personnes. C'est principalement une fonction de l'esprit consistant à construire une idée ou une représentation mentale d'une autre personne, tout en réduisant sa propre énergie émotionnelle et instinctive. À l'inverse, l'introjection des 4 est une opération du centre émotionnel. Utilisant leur empathie, ils intériorisent les émotions et les attitudes des personnes importantes de leur vie. C'est moins une construction mentale et plus un processus émotionnel.
© Copyright Peter O'Hanrahan et Enneagram Monthly, 2000. Tous droits réservés dans le monde entier.
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