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Une conversation avec Jerome Wagner (1e partie)
par Andrea Isaacs et Jack Labanauskas (Traduction par Fabien Chabreuil)

Enneagram Monthly : Pour nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas bien, nous aimerions rappeler que vous travaillez avec l'Ennéagramme et que vous l'enseignez à l'Université Loyola de Chicago depuis près de trente ans. Vous avez une expérience considérable en tant que psychologue clinicien et psychothérapeute. Une partie de vos travaux est décrite dans votre livre, vos manuels de test et vos comptes rendus de recherche et vous avez un deuxième ouvrage en préparation.

Nous aimerions puiser dans votre expérience et vous poser les questions suivantes. Qu'avez-vous appris pendant toutes ces années ? Sur quel sujet travaillez-vous aujourd'hui ? Et quelles vous paraissent être les applications les plus intéressantes de l'Ennéagramme ?

Jerome Wagner : Vous permettez que je réfléchisse à tout cela et que je revienne vous voir dans à peu près un an ?

Un des avantages de travailler à Loyola est que des gens du monde entier viennent à l'Université et que dans un même cours, je peux avoir des étudiants originaires d'Inde, de Chine, d'Afrique, d'Australie, d'Allemagne, d'Italie, du Missouri, etc. Je peux voir le monde entier sans jamais quitter Chicago ! Ce qui est fascinant est que les styles de l'Ennéagramme sont apparents dans toutes ces cultures disparates. Cela témoigne de l'universalité du système.

EM : Pourtant, vous vous expatriez cet été en présentant une formation à Rome.

JW : Oui, Loyola a un centre Rome et, inspiré par mon point 7, j'ai pensé que ce serait amusant, tout autant qu'éclairant bien sûr, de présenter mon cours là-bas. Le prix des chambres est imbattable : 364 $ pour 13 nuits en chambre double. Je paye plus que cela pour trois nuits à la Conférence de San Francisco. Je dois admettre que le Centre Loyola de Rome n'est pas le Hyatt, mais ce n'est pas bien grave car les gens passeront la plupart du temps à lire dans la bibliothèque. De plus, le Centre est situé sur une colline à 15 minutes en bus du centre-ville, et on y a une vue sur le Vatican, ce qui sera un changement plaisant ! Nous travaillerons le matin et les après-midi, les soirées et les week-ends seront libres. Vous m'avez promis de me donner une liste de bons ristorantes et de trattorias avant l'été. Il reste quelques places, alors inscrivez-vous et réservez votre avion.

EM : Vous me tentez, j'ai faim rien que d'y penser ! Rome est magnifique et votre formation semble bien intéressante. Nous espérons qu'un jour prochain l'IEA va suivre votre exemple et nous emmener en voyage… Mais, mettons Rome de côté… Qui participe à vos formations à Chicago ?

JW : Les gens qui viennent aux formations ont des objectifs d'utilisation de l'Ennéagramme très différents. Certains souhaitent simplement mieux se connaître et viennent pour leur développement personnel. D'autres s'intéressent aux applications spirituelles de l'Ennéagramme. Ce sont des religieux, des membres du clergé ou des gens qui travaillent dans une église et ils veulent utiliser l'Ennéagramme pour la direction et l'évolution spirituelles. D'autres sont thérapeutes, travailleurs sociaux ou conseillers pastoraux et se servent de l'Ennéagramme d'un point de vue plus psychologique. D'autres encore sont des éducateurs et veulent l'utiliser dans le milieu académique soit pour l'enseigner, soit comme Janet Levine [fondatrice du Milton Academy Institute for Educators à Boston] pour comprendre le style d'apprentissage de leurs étudiants. Et certains sont des consultants qui travaillent dans le monde de l'entreprise et veulent se servir de l'Ennéagramme comme outil de coaching ou de dynamisation d'équipe.

EM : Avez-vous observé des différences dans la façon dont vous utilisiez l'Ennéagramme il y a vingt ans, il y a disons dix ans et aujourd'hui ?

JW : Je pense qu'il y a une continuité. Bien que j'aie changé la manière dont je parle des flèches et que j'en sais plus sur les sous-types, il n'y a pas de différence majeure entre ce que j'enseigne aujourd'hui et ce que Bob Ochs nous a dit il y a trente ans, juste après l'avoir appris de Claudio Naranjo qui revenait aux États-Unis après l'avoir appris lui-même d'Oscar Ichazo. L'Ennéagramme était convaincant et fascinant alors, et il est convaincant et fascinant aujourd'hui.

J'ai plaisir à relier l'Ennéagramme à d'autres systèmes de personnalité ce qui me permet d'obtenir des modèles divers améliorant la compréhension de l'Ennéagramme. J'utilise des schémas issus de la thérapie cognitive afin d'expliquer plusieurs aspects de l'Ennéagramme et j'ai été frappé par les descriptions de la dynamique des personnalités faites par Harry Stack Sullivan dans sa théorie interpersonnelle de la psychiatrie. Ses notions à propos du rôle de l'anxiété dans la formation des dynamismes du Moi et des mécanismes de sécurité sont en accord avec les concepts d'ego et d'essence. Avant qu'il ne se retire, Timothy Leary a écrit un livre merveilleux intitulé Interpersonal Diagnosis of Personality (Jn. Wiley and Sons, NY, 1957) et utilisant quelques-unes des idées de Sullivan. Je songe à écrire quelque chose à propos de Sullivan, peut-être un article pour votre numéro d'août.

Dans son livre, A Theory of Personality (Norton, NY, 1963), George Kelly dit que chaque théorie a un "point de convenance", une zone dans laquelle elle est particulièrement efficace et précise. Je pense toujours que là où l'Ennéagramme est le plus aidant, c'est pour l'évolution personnelle, psychologique et spirituelle. Et je trouve qu'il est particulièrement détaillé et éclairant quand il parle de nos compulsions et de nos désordres. Quand nous devenons plus sains et plus libres, nous ne sommes pas si faciles à identifier et à définir. Quand nous parlons des aspects négatifs de chaque type, les différences sont plus claires. Je trouve les discussions à propos des aspects évolués des types plus vagues et plus abstraites. À ces moments-là, nous sommes plus fluides, plus spontanés et moins prévisibles. Je suppose que c'est pour cela que la science ne sait pas quoi faire de la spiritualité. Elle est difficile à mesurer, à prévoir et à contrôler. Ginnie Wiltse à Cincinnati fait sa thèse de recherche sur l'intégration du mysticisme, de la spiritualité féminine et de l'Ennéagramme. (Et dire que ce n'est même pas une 5 !) Elle découvre que les différences entre les types de l'Ennéagramme se manifestent quand les gens font l'expérience de ce que Jean de la Croix appelle la nuit sombre des sens, quand les vieux schémas de la personnalité sont défiés et rejetés ; mais les sujets font plus tard l'expérience de la nuit sombre de l'esprit où leurs vieilles images de Dieu et leurs vieilles manières de se relier à Lui sont purifiées et ces expériences sont le plus souvent semblables. Cela me ramène à Harry Stack Sullivan qui disait que nous sommes tous plus humains que n'importe quoi d'autre. Cela semble être vrai.

EM : Voyez-vous le système de personnalité de l'Ennéagramme comme un outil utile pour l'évolution et qui aide à résoudre les blocages quand quelqu'un est coincé ? Ou croyez-vous que la simple compréhension des types nous fait évoluer d'une manière ou d'une autre ?

JW : Je pense que l'Ennéagramme vous donne une carte. Il vous fait des suggestions et vous indique certaines directions. Vous devez mettre la carte en pratique. Si je suis un 5, l'Ennéagramme me dit que je dois être plus en contact avec mon corps et mes émotions, que je dois sortir et non pas me retirer dans ma tête. Mais je dois avoir le courage d'aller dans le monde. Je peux comprendre cela mais je dois aussi le faire. Je pense que c'est vrai pour tous les types.

EM : Un outil pour nous guider dans une direction spécifique ?

JW : Oui, pour vous aider à sortir d'une situation dans laquelle vous êtes coincé. Vous avez votre propre paradigme, votre propre façon de regarder les choses et cela implique que vous suiviez certaines règles. Ces règles sont réellement aidantes dans le domaine particulier où votre paradigme excelle. Mais il y a d'autres paradigmes qui ont des règles qui vous permettent de faire des choses dont votre propre paradigme est incapable. Ils peuvent donc être libérateurs en vous donnant différentes manières de considérer les choses, différentes manières d'y réagir qui peuvent être plus utiles que les vôtres.

Le paradigme du 2 est très aidant pour aller dans le monde ou pour sentir les émotions, les humeurs ou les besoins des autres personnes. Il excelle à cela. Mais il n'est pas aussi efficace quand il s'agit de connaître ses propres besoins. Le paradigme du 4 qui permet d'aller à l'intérieur de soi-même et de faire de l'auto-analyse lui permettrait beaucoup plus efficacement d'entrer en contact avec lui-même. Le paradigme du 8 lui donnerait la possibilité de fixer des limites, de poser ses frontières et de faire des choses pour lui.

Je pense que l'Ennéagramme nous donne d'autres façons de faire des affaires, d'autres façons d'être dans le monde, d'autres façons de considérer les choses qui nous permettent de faire encore mieux que notre propre paradigme.

EM : Comment définiriez-vous le mot "paradigme" ? Dans quel sens l'utilisez-vous ?

JW : Un paradigme est une manière de voir le monde, une carte du monde. Nous avons besoin d'organiser et de filtrer l'information et notre paradigme nous donne un modèle avec des présuppositions, des attentes et des lignes de conduite. J'aime penser aux types de l'Ennéagramme comme à neuf paradigmes de personnalité. Nos paradigmes nous disent ce qui est important, ce qui a de la valeur, ce qui doit être recherché et ce à quoi cela ne vaut pas la peine de porter attention. Nous voyons très clairement les secteurs sur lesquels notre paradigme se concentre. Nous sommes tout le temps attentifs à certaines choses.

Par exemple, les 1 perçoivent les défauts, les 2 perçoivent les besoins, les 3 perçoivent quelle est la bonne image à montrer, les 4 perçoivent l'humeur, les 5 voient les demandes, les 6 sentent le danger, les 7 voient les possibilités, les 8 perçoivent les offenses et les 9 voient les points d'accord, là où les autres types ne remarquent rien parce qu'ils ne cherchent pas à percevoir ces choses. Nos paradigmes nous donnent aussi certaines règles et certaines directives à propos de la manière de réagir. J'aime ce que George Kelly dit de la liberté. Nous sommes libres de choisir le paradigme que nous voulons mais ensuite nous sommes contraints par ses limites. Ainsi, si nous croyons que la terre est plate, nous hésitons à naviguer pour aller au-delà de l'horizon. Mais si nous croyons qu'elle est ronde, nous pouvons aisément y aller.

EM : Utilisez-vous le mot paradigme dans le sens d'une stratégie dynamique ou plutôt dans celui d'une fenêtre de perception ?

JW : Les deux. Une fenêtre de perception avec diverses stratégies qui vont avec.

EM : Donc un paradigme implique une stratégie avec quelque chose en plus.

JW : Oui, c'est à la fois une façon de voir le monde et une façon d'y réagir. Votre paradigme vous donne les règles du jeu.

EM : Passif et actif, la perception et la réaction ?

JW : Oui, sauf que je vois la perception comme un processus actif. Nous n'intégrons pas passivement les données, nous les travaillons, les mettons en forme et les interprétons en permanence. Ainsi, la perception et l'action sont toutes les deux assez actives. La bonne nouvelle à propos des paradigmes est qu'ils fournissent des cartes utiles et efficaces. La mauvaise nouvelle est que s'ils deviennent trop rigides, nous déformons les données pour qu'elles s'ajustent à nos schémas plutôt que d'adapter nos schémas pour qu'ils conviennent aux données.

J'ai encore eu une idée brillante l'autre jour sous la douche. D'ailleurs j'ai décidé de prendre plus de douches ! Cela m'avait déjà été suggéré, mais c'est seulement maintenant que je comprends la sagesse de ce conseil.

EM : Excellent ! On peut devenir aussi brillant qu'on le souhaite, sans compter les bénéfices secondaires de la douche !

JW : Donc, ma brillante découverte a été qu'il y a dans l'œil une tache aveugle, un point où tous les nerfs convergent et où il n'y a pas de récepteur. Mais nous n'avons pas conscience de la tache aveugle parce que nos yeux sont en perpétuel mouvement et qu'ainsi la tache aveugle n'est jamais située au même endroit.

La même chose se passe avec la personnalité et son paradigme. Si vous n'avez qu'un point de focalisation, il y a une tache aveugle, une zone que vous ne regardez pas. Cela peut être votre zone d'évitement, ce qui est à l'opposé de votre image de vous-même ou simplement ces choses que vous jugez sans importance, comme les sentiments des autres ou quoi que ce soit d'autre.

Mais si vous modifiez sans cesse votre paradigme, si vous regardez le monde depuis neuf points de vue, comme un 8, un 6, un 4, un 2, votre tache aveugle devient moins délétère. Ce n'est plus une tache aveugle constante. Changer de paradigme est une façon très efficace d'être.

EM : Disposez-vous d'exercices permettant de changer de paradigme ?

JW : J'ai fait quelques suggestions dans mon livre The Enneagram Spectrum of Personality Styles (Metamorphous Press, Portland, 1996). Il y a une question qui consiste à demander aux gens qu'est-ce qui leur semble impossible dans le cadre de leur profil et qui, s'ils pouvaient le faire, changerait fondamentalement leur style. Quand ils font cela, leur imagination leur fait vivre le paradigme de quelqu'un d'autre. Certains problèmes qui ne peuvent être résolus facilement dans votre paradigme ne sont même pas des problèmes dans d'autres paradigmes. Les 6 qui, dans leur paradigme, tracent des frontières et choisissent leur camp, peuvent voir les divers points de vue dans le paradigme du 9. Si cela ne les aide pas à s'organiser et à définir des priorités, ils peuvent utiliser le paradigme du 3. Très fréquemment la solution à nos problèmes se trouve dans nos types d'intégration et de désintégration. Ainsi, si vous connaissez les neuf paradigmes de l'Ennéagramme, si vous savez comment chaque profil considère le monde et s'y comporte, alors vous pouvez faire plus de choses.

Prenons d'autres exemples. En fonction de leur paradigme, les 2 ne sont pas censés dire "Non." Ils doivent se sacrifier et mettre les autres au premier plan, là où les 8 sont capables de dire "Non." parce que leur paradigme les met en avant. Les 1 sont obligés de faire ce qu'ils doivent faire avant de s'occuper de ce qu'ils veulent faire, mais s'ils accèdent au paradigme 7, alors ils font d'abord ce qu'ils veulent et seulement ensuite ce qu'ils doivent faire.

EM : Pensez-vous qu'il soit plus efficace de suivre les lignes quand vous changez de paradigme ?

JW : C'est probablement la façon la plus naturelle de procéder, mais je pense qu'il est possible d'accéder au paradigme de n'importe quel type. Le but du jeu est d'accéder aux paradigmes des neuf types, même si vous restez plus compétent dans l'utilisation du vôtre. Nous sommes les spécialistes de notre domaine. À cause de cela, nous voulons attirer les autres vers notre paradigme. Parce que c'est plus confortable pour nous, nous voulons que chacun joue le jeu de la même façon que nous. Et les conflits ont lieu quand les gens ne veulent pas jouer selon nos règles, ou même ne se soucient pas du tout de nos règles.

EM : Et il est probablement plus difficile de comprendre les gens dont le paradigme est opposé au nôtre.

JW : Exact, les gens qui n'ont pas les mêmes valeurs que nous. Par exemple, les règles du 4 disent qu'il faut être raffiné et sensible et les règles de quelqu'un d'autre disent : "Pourquoi ? En quoi est-ce important ?"

EM : C'est très blessant pour un 4 !

JW : Certainement. les 4 sont gênés par les règles de leur jeu qui les obligent à être toujours chic, de bon goût et apprêté.

EM : Et quel soulagement de pouvoir vivre, ne serait-ce que brièvement, sans se soucier de cela.

JW : Voilà. S'autoriser à être spontané. Si vous y goûtez, vous pouvez vivre ainsi sur des périodes temps de plus en plus longues.

EM : Changeons de sujet. Je m'interroge à propos de votre pratique thérapeutique. Comment y intégrez-vous l'Ennéagramme ? Jusqu'à quel point l'utilisez-vous ? Pouvez-vous nous donner des exemples de l'aide qu'il vous a apporté ?

JW : J'utilise l'Ennéagramme si les gens le connaissent. Parfois, si leur type est vraiment très clair et me saute aux yeux, je peux leur suggérer de lire des livres à propos de l'Ennéagramme. Il m'arrive aussi de photocopier un chapitre, de le leur montrer et de voir avec eux si cela explique un petit peu leur fonctionnement.

EM : Donc il y a des gens qui viennent vous voir et qui connaissent déjà l'Ennéagramme ?

JW : Oui, parfois ils ont lu un livre ou participé à un stage et veulent mieux comprendre leur profil, ou réaliser un certain nombre de changements ou sortir de situations dans lesquelles ils se sentent coincés. Pour être honnête, j'ai eu des résultats mitigés lorsque j'ai utilisé l'Ennéagramme avec des gens qui ne le connaissaient pas. Parfois il a été très utile et d'autres fois, les gens ont eu la sensation que je le leur imposais, que je ne les écoutais pas vraiment et que je cherchais plutôt à identifier les mécanismes de leur type. Ils ne sont pas impressionnés par l'Ennéagramme et ne veulent pas l'être. Et c'est légitime. J'ai eu les mêmes difficultés quand me sentant coincé, j'ai essayé d'introduire l'Ennéagramme plus tard dans la thérapie comme une sorte de Deus ex Machina. Cela ne marche pas toujours.

EM : Comment découvrez-vous que vos clients connaissent l'Ennéagramme ?

JW : Souvent, ils me disent : "Je suis de tel type sur l'Ennéagramme. Connaissez-vous l'Ennéagramme ?"

EM : Donc ce sont eux qui abordent le sujet. Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont vous travaillez avec l'Ennéagramme ?

JW : Si la personne semble limitée ou tyrannisée par son image de Soi, je peux travailler avec les polarités, une bonne vieille technique de Gestalt. Je peux lui demander de faire une liste de toutes les caractéristiques auxquelles elle s'identifie. Par exemple, un 3 dirait : "Je suis efficace, je suis professionnel, je réussis, je suis motivé, je suis populaire." Ce genre de choses. Puis, je lui demanderais de faire une liste des "Je ne suis pas…" correspondants. Par exemple, si je réussis, "Je ne suis pas un perdant.", si je suis professionnel, "Je ne suis pas incompétent.", si je suis motivé, "Je ne suis pas paresseux."

Il s'agit alors de se réapproprier, de se réidentifier à ces qualités que vous n'êtes pas d'écouter cette partie de vous à laquelle vous n'avez guère accordé d'attention, de devenir son ami. Cela permet d'avoir plus de compassion pour les parties de vous que vous n'aimez pas.

Quand cela se produit, vous avez plus d'énergie. Toute l'énergie contenue dans les "Je ne suis pas…" est alors disponible au lieu d'être gaspillée. Ainsi, les 3 peuvent entrer en contact avec une manière plus relaxée d'être plutôt que de se sentir cerné par des gens ineptes et inertes qu'ils doivent motiver.

EM : Donc je dirais que "je suis inepte" et je me lierai d'amitié avec la partie de moi qui est inepte.

JW : Exact, au lieu de dire "Je ne suis pas inepte, je ne suis pas un amateur, je ne suis pas un idiot." alors qu'il y a une partie d'eux qui est ainsi. S'il y a une partie qui est efficace, alors il y a aussi une partie qui est inefficace. Du moins si Jung a raison ! Ainsi, la polarité inacceptable (votre jumeau diabolique) est enfermée dans un placard et oubliée. Mais si vous libérez cette partie, toute l'énergie qui était utilisée pour en avoir peur et la réprimer est maintenant disponible et peut être utilisée.

EM : Pourriez-vous nous donner un exemple pratique ? Comment un 3 peut-il entrer en contact avec une partie qu'il juge impropre et la libérer ?

JW : Il faut d'abord décrire cette partie aussi précisément que possible. "Que voulez-vous dire par être inepte ?" ou "Quelle image vous vient à l'esprit quand vous pensez au fait d'être paresseux ?" ou "Que signifie être impopulaire ?" Ensuite, il faut vous réapproprier les moments de votre vie où vous êtes paresseux. Ceux où vous êtes inefficace. Ceux où vous êtes un ballot. Si cela ne marche pas, vous pouvez toujours utiliser une approche de 3 et faire un recadrage. "Qu'y a-t-il de bien à être inepte ?" ou "Qu'est-ce que les gens inefficaces sont capables de faire de plus que les gens efficaces ?"

Vous cherchez à trouver ce qu'il y a de bon dans ce qui, pour vous, a une mauvaise réputation. Si vous êtes inefficace, vous n'avez pas à travailler dur aussi souvent. Les gens ineptes subissent moins de pressions. Ils ne sont pas obligés d'être toujours en tête et de prouver quelque chose. Ils peuvent se relaxer et profiter de la vie. Si vous êtes inepte, vous avez besoin des autres, alors que si vous êtes compétent et professionnel, vous avez beaucoup moins besoin d'eux. Être inepte vous pousse à vous ouvrir aux autres.

EM : Est-ce qu'établir une telle liste peut être suffisant pour un 3 ? Ou est-ce qu'il a quelque chose de plus à faire pour que cela produise un effet ?

JW : Vous devez engager un vrai dialogue avec cette partie de vous avec laquelle vous n'avez vraisemblablement pas parlé depuis des années. Découvrir ce qui a de la valeur pour cette partie. Qu'a-t-elle à vous offrir ? Un peu de relaxation, un petit arrêt, un peu de culture, un peu d'âme… Cela peut vous permettre de vous enrichir de valeurs de vie différentes de l'efficacité et du travail.

EM : Est-ce que vous discutez de cela avec eux ou est-ce que c'est un travail qu'ils doivent faire seul ?

JW : Soit l'un, soit l'autre. Vous pouvez le faire comme un exercice de Gestalt ou dans le cadre de la tenue d'un journal selon la méthode de Progoff [At a Journal Workshop : Writing to Access the Power of the Unconscious and Evoke Creative Ability, par Ira Progoff, Ph.D., Jeremy Tarcher/Putnam, NY, 1992]. Vous pouvez dialoguer avec cette partie au bureau ou en rentrant à la maison. Vous pouvez écrire un dialogue avec cette partie de vous et cette partie peut vous répondre. Qu'a-t-elle ressenti en étant ignorée, discréditée ou méprisée ? De quoi a-t-elle besoin venant de la partie "Je suis…", la partie plus efficace et plus organisée ? Qu'avez-vous à offrir à cette autre partie ? Vous permettez aux différentes parties de négocier pour obtenir le même droit à respirer. Ce dialogue permet de renoncer à certaines défenses et à certaines peurs ; il vous permet de vous connecter à vous-même et de faire l'expérience des différentes parties de vous travaillant ensemble plutôt que de travailler contre vous-même, de vous découper en morceaux et d'en réprimer ou rejeter certains. Vous devenez plus réels et vos relations deviennent plus satisfaisantes parce que vous avez récupéré les trésors de famille et n'êtes plus en train d'interagir avec les déchets que vous avez déversés sur les autres.

Je pense que cet exercice est utile en thérapie et je l'utilise aussi durant mes stages. Chacun des neuf types a sa liste de "Je suis…" et de "Je ne suis pas…"

EM : Il y a quelques instants, vous faisiez référence aux polarités de Jung. Pouvez-vous nous résumer ce que Jung disait sur ce sujet ?

JW : Jung utilisait des lois de la physique pour expliquer le fonctionnement de la personnalité. En plus du principe des opposés ou polarités dont nous avons parlé, il a aussi formulé le principe d'équivalence qui est sa version de la première loi de la thermodynamique, le principe de conservation de l'énergie. L'énergie n'est pas perdue, mais se déplace d'une partie de la personnalité à une autre. Ainsi quelque chose de conscient peut devenir inconscient, mais ne disparaît pas. La deuxième loi de la thermodynamique a servi de modèle au principe d'entropie de Jung qui postule l'égalisation des énergies. Si vous avez côte à côte une assiette chaude et une assiette froide, la chaleur va aller de la chaude à la froide jusqu'à ce qu'elles soient en équilibre à la même température. Il y a une tendance de la psyché à aller vers l'équilibre. L'archétype du Soi est chargé de la distribution égale de l'énergie psychique aux différentes parties de la personnalité.

Jung a aussi parlé d'énantiodromie. Apparemment, il était incapable de parler avec des mots d'une syllabe. Cela signifie que les choses se transforment en leur opposé. Plus vous favorisez une polarité, plus elle devient son contraire. Par exemple, les 5 ont la polarité Sage-Idiot. Vous pouvez devenir tellement sot, tellement ignorant, tellement vide qu'en fait vous en devenez sage. Ou vous pouvez devenir tellement sage, tellement érudit, tellement futé qu'en fait vous en devenez idiot. Donc si vous poussez une polarité à l'extrême, elle se transforme en son contraire. Les 7 deviennent rigides dans leur tentative d'éviter toute limitation ! À propos, ne posez jamais une question simple à un 5.

EM : Comme le disent les taoïstes, le yin en son extrême devient yang.

JW : Jung utilise les termes de persona et d'ombre. Karen Horney parle de l'image idéalisée de soi qui serait les "Je suis…" et tout ce qui ne rentre pas dans cette image de soi serait les "Je ne suis pas…".

EM : Le système de Myers-Briggs travaille aussi sur quatre paires de polarités.

JW : Oui, ces polarités sont Introversion/Extraversion, Intuition/Sensation, Pensée/Sentiment et Perception/Jugement. Une partie de la théorie de Jung serait, en accord avec les lois de la physique, que dans la première moitié de votre vie vous développez vos points forts et que dans la deuxième moitié de votre vie, votre fonction inférieure ou les parties de vous auxquelles vous n'avez guère porté attention viennent au premier plan. L'ombre sort de l'arrière-plan et devient plus visible. La psyché s'équilibre naturellement.

EM : Est-ce que c'est uniquement dû à la maturité et à l'expérience ? Qu'est-ce qui fait que votre fonction inférieure se manifeste comme cela ?

JW : Cela fait partie de la théorie de Jung que la psyché s'équilibre d'elle-même. L'archétype du Soi est le principe d'intégration. Si la théorie est vraie, vous n'avez pas besoin d'y travailler, cela se produira tout seul. Continuez simplement sur votre route !

À suivre… le mois prochain

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Jerome P. Wagner anime une formation certifiante à l'Ennéagramme au sein de l'Institut d'Études Pastorales de l'Université Loyola de Chicago. Il présentera un séminaire d'une semaine à Chicago au cours de la troisième semaine de juin et un autre de deux semaines au Centre Loyola de Rome pendant les deux premières semaines de juillet. Il reste encore des places pour ces deux stages. Appelez le +1 800-424-1238 pour obtenir des informations et/ou vous inscrire et visitez le site Internet de Jerome : www.enneagramspectrum.com.