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Femmes de type 4 : trois études de cas
Antonio Barbato (Traduction par Christian-Henri Grand)

Nile (sous-type sexuel)

Nile était mariée à un médecin de type de sous-type conservation. Pendant leurs fiançailles, cet homme calme et si différent d'elle s'avéra être l'homme le plus désirable du monde. Nile pensait qu'il pourrait lui apporter la vie de paix et de beauté qu'elle recherchait depuis son enfance. En bonne 4, elle était persuadée que tout entre eux serait parfait et se mit à donner l'image d'une femme parfaitement capable de s'effacer pour plaire à son conjoint. Nile n'avait pas encore appris à se méfier de son cœur et avait reçu ses messages comme une vérité absolue alors qu'il aurait fallu les mettre en doute.

Leur vie sexuelle n'était pas satisfaisante et Nile ne parvenait pas à l'orgasme, mais cela ne la préoccupait pas beaucoup. Il lui importait plus que son amant prenne du plaisir, ce qui la faisait se sentir vraiment femme. Elle m'a raconté que quand elle sentait de l'enthousiasme dans son corps, cela lui faisait l'effet d'une drogue et elle s'imaginait au sommet du monde. À ce moment-là, Nile revendiquait inconsciemment le statut de "femme autonome" envers sa mère qui avait toujours été le personnage central de sa vie.

Peu de temps après sa naissance, le père de Nile avait contracté une maladie qui lui rendait impossible les rapports sexuels et sa mère avait réagi à la situation avec un fort sentiment de culpabilité, même si ce n'était pas sa faute. Nile se sentit inconsciemment supérieure à sa mère parce qu'elle pouvait donner du plaisir à l'homme qui la désirait. Ceci la valorisait tellement qu'elle ne songeait même pas pour elle au plus petit plaisir physique, tant qu'elle pouvait satisfaire son mari. À ce moment-là, ce qu'elle désirait vraiment était d'être profondément désirée par un homme. Un Freudien dirait que Nile vivait le complexe d'Electre, la contrepartie féminine du complexe d'Œdipe. (Electre était la fille d'Agamemnon et avec son frère Oreste, elle se vengea du meurtre de son père en tuant sa mère et son amant, Egisthe.)

Les choses allaient bien au début de leur mariage. Nile eut deux enfants, mais rapidement, elle commença à se plaindre du fait que son mari ne se montrait plus aussi passionné qu'il l'avait été. De plus il semblait être plus absent en prenant son travail pour prétexte. Son mari, en bon 9, fit la politique de l'autruche. Il enfonça la tête dans le sable et ignora les reproches de sa femme qu'il ne semblait pas comprendre.

Ainsi débuta la phase de la désorientation de Nile [Le droit et la désorientation sont les deux pôles de l'envie ; voir La structure des passions par Antonio Barbato et Jack Labanauskas dans les numéros de mars et avril 2000 d'EM.] qui fut plus tard aggravée par les tensions avec sa mère qui cherchait continuellement à convaincre Nile que ses frustrations maritales étaient parfaitement normales et arrivaient dans tous les mariages. Nile ne pouvait pas accepter cette idée. Son besoin dévorant d'être désirée (la drogue) et son besoin de se sentir belle aux yeux de quelqu'un (l'illusion de ces 4 qui recherchent continuellement la seule beauté physique) la rendirent malade physiologiquement et physiquement. Nile commença à blâmer son mari et à agir inconsciemment de façon à capter son attention. Elle débuta un flirt et même une liaison avec un collègue de son mari, en espérant le sortir de sa torpeur pour qu'il redevienne l'homme qu'elle avait imaginé qu'il était (C'est pourquoi je pense que l'idolâtrie est particulièrement dangereuse pour un 4.). Mais en bon 9, au lieu de répondre, il s'échappa dans une hyperactivité frénétique (la polarité de la paresse). Il refusa de voir ce qui ne fonctionnait pas dans leur relation, s'affaira plus que jamais à son travail et se perdit dans une tonne de choses stupides plutôt que se confronter au "problème" que sa femme était devenue. En d'autres mots, il exprima la rage dans laquelle il était tombé à un niveau inconscient, en faisant la réponse typique de la paresse : "oublier" la personne et la situation ennuyeuses.

La sensation qu'avait Nile que quelque chose manquait devint tellement criante qu'elle se forgeât le sentiment qu'elle avait droit à sa part des bonnes choses de la vie. Elle poussa l'impudence jusqu'à presque afficher sa relation adultérine aux yeux de son mari, cherchant ainsi à le sortir de sa torpeur. Elle m'a dit de nombreuses fois qu'elle aurait préféré être battue jusqu'au sang par son mari, si seulement il avait ainsi exprimé la passion et l'intérêt dont elle avait tant besoin. Nile se torturait elle-même en se sentant coupable par rapport à sa mère (qui était restée fidèle à son père) et transféra cette angoisse en blâmant son mari et en déversant sur lui des explosions de furie.

La situation arriva à son paroxysme lorsque Nile découvrit qu'elle était enceinte de son amant, qui, marié à une femme riche, ne savait que faire. Préoccupée par les doutes de son amant et n'ayant plus la force de faire face à sa mère, Nile s'effondra et entra dans une phase de désorientation totale. Sa grande énergie et sa remarquable intelligence ne semblaient plus fonctionner et ne l'empêchèrent pas de ressentir un vide immense. Pour la première fois de sa vie, elle se sentit complètement seule. Elle ne pouvait plus parler à sa mère, elle ne pouvait évidemment pas parler à son mari, ni à son amant qui lui semblait maintenant être un petit, un très petit homme incapable de lui offrir la moindre aide.

En état de choc, comme si elle était sous pilote automatique, elle décida d'avorter sans demander l'aide de personne et garda le secret. (Elle me dit cela lors d'un travail de thérapie de nombreuses années plus tard, quand elle traversa une nouvelle crise. Durant son récit, je la vis revivre dans son visage et dans son corps la souffrance de ces souvenirs. Ce fut un choc pour moi parce que je me remémorais les instants de ma vie où j'avais ressenti cette solitude.)

Après l'avortement, Nile entra en thérapie et essaya courageusement de panser ses blessures. Son esprit était dans un tel état de totale désorientation qu'elle perdit trente kilos, comme si, dans sa stratégie de 4, elle demandait de l'aide en silence. Sa mère commença à se préoccuper de sa santé et la dorlota avec amour et son mari s'intéressa également à nouveau à elle ; mais ses problèmes étaient loin d'être terminés.

Après ces événements orageux de sa vie, Nile connu un répit passager durant lequel elle se consacra complètement à ses enfants et à son travail. Elle apaisa sa colère avec l'idée qu'elle était une excellente mère et une activiste du changement social qui aidait les démunis. Toutefois, même durant cette période relativement calme, sa frustration et sa frigidité sexuelle demeuraient comme des signes de son malaise latent. Néanmoins, elle reprit rapidement du poids.

Il ne fallut pas longtemps pour que le caractère passionné de Nile et son besoin d'être désirée ne reviennent. Elle recommença à exclure son mari de sa vie en lui reprochant de ne pas vouloir la comprendre et en l'accusant d'être complètement absent. Cette absence n'était pas physique, car son mari essayait d'être à la maison autant qu'il pouvait, mais se caractérisait plutôt par son manque de compréhension des besoins profonds de Nile. Plus elle lui reprochait son insatisfaction, plus grandissait sa certitude d'avoir droit à toutes les choses qui lui manquaient.

Durant un séminaire de thérapie, Nile rencontra un homme de vingt ans plus jeune qu'elle, qui était également un 4 de sous-type sexuel ayant beaucoup de problèmes liés à sa mère. Leur attirance apparut presque inévitable et les emporta dans une relation qui propulsa Nile au septième ciel, même si sa frigidité sexuelle persistait. Selon moi, Nile exprimait sa défiance envers sa mère et son mari au point de devenir destructrice. Sans être consciente de le vouloir, Nile fit tout pour que son mari découvre l'existence de ce jeune amant. Son mari tenta de prétendre qu'il ne se passait rien afin d'éviter la confrontation avec elle. La situation devenait physiquement dangereuse, avec un fort risque de folie. De plus, le jeune amant agressa verbalement le mari d'une manière tout à fait odieuse, tentant ainsi de déclencher une réaction.

L'état d'esprit de Nile alternait entre des moments d'enthousiasme et d'autres où elle se sentait complètement misérable. Tout ceci explosa dans un grand bouquet final lorsque la mère de Nile eu connaissance de l'affaire. Elle se comporta comme si elle avait été le mari de Nile, lui interdit de voir son amant et parvint même à bloquer toutes ses économies, lui coupant ainsi toute porte de sortie.

Nile répliqua en expulsant son mari du domicile conjugal (qui appartenait à la mère de Nile) et demanda le divorce. Sa mère la menaça de la chasser et demanda au tribunal de lui retirer ses enfants au motif de comportement immoral. Lors d'une confrontation dramatique, sa mère lui dit qu'elle aurait préféré avoir avorté plutôt que de voir sa fille unique devenir une putain. Dans un moment de lucidité, Nile répliqua qu'elle n'avait fait que concrétiser ce que sa mère aurait aimé avoir fait à son propre mari si elle en avait trouvé le courage. Dans de précédentes conversations, j'avais suggéré à Nile qu'inconsciemment, elle avait emprunté à sa mère son côté ombre et que c'était cela qui avait détruit son image auprès d'elle. Nile demandait simplement, comme une bonne 4, à être aimée même si elle était "repoussante et mauvaise".

De toute évidence, la destruction de son image et la condamnation de sa mère furent le signal d'une complète désorientation psychologique. La passion de Nile l'avait conduite à une position de désorientation similaire à l'anarchie sentimentale du 2, mais en pire puisqu'elle avait également tout détruit autour d'elle.

Son amant essaya de parler à la mère de Nile, mais elle l'accusa de n'être qu'un enfant et un briseur de famille qui n'avait rien de bon à offrir à sa fille.

Vers la fin, Nile et son amant commencèrent à se quereller. Sa frustration de ne pas obtenir de la vie les récompenses auxquelles elle pensait avoir droit rendit Nile encore plus destructive. Leur relation n'était plus passionnée. Une des dernières choses qu'ils firent tous les deux fut d'attaquer violemment leur thérapeute, l'accusant d'avoir été inutile.

Après une longue période de désorientation, Nile se retrouve à nouveau seule, s'arrange avec la vie et trouve les petites satisfactions qu'elle peut dans son travail et l'éducation de ses enfants. Elle ne regrette pas d'avoir perdu son mari, ni ses amants, mais elle se plaint d'être seule. Lors d'une récente conversation téléphonique, il me sembla qu'elle avait vraiment changé quand elle me dit : "J'ai appris à ne pas regarder en arrière et à ne pas m'illusionner sur le futur. Ni le jugement de ma mère, ni le besoin de représenter une certaine voie pour un homme ne sont le centre de ma vie. Aujourd'hui, je suis le centre de ma vie et même si cela ne sera certainement pas facile, j'espère que la vie m'offrira une autre occasion."


Lissy (sous-type conservation)

Lissy a eu une enfance particulièrement difficile. Elle est née dans un petit village au cœur de l'Italie du Sud et perdit sa mère à l'âge de six ans. Sa mère était très jeune au moment de sa mort et laissa son père désemparé. Il se retrouva avec trois jeunes enfants, se sentit débordé et décida d'envoyer Lissy chez des parents qui vivaient très loin. Il me fut très difficile de ne pas être touché lorsque Lissy me raconta son histoire, quatre-vingts ans après les faits : comment elle fut mise dans un train, abandonnée à elle-même, serrant dans sa petite main un papier au dos duquel était inscrite l'adresse de sa nouvelle famille. Ces événements marquèrent irrévocablement et pour toujours la teneur de sa vie.

Contrairement au sous-type sexuel qui estime avoir des droits sur le premier partenaire ou, par projection, sur le sexe socialement dominant, le sous-type conservation est plutôt demandeur envers le destin ou la destinée.

La vie de Lissy est un exemple de la manière dont un 4 de sous-type conservation résiste à un destin cruel et tente, souvent dans un total désespoir, de surmonter avec dignité les obstacles de la vie. Cependant, la désorientation demeure toujours cachée en arrière-plan, prête à initier un sentiment de culpabilité pour chaque erreur ou manquement à la dignité et entraînant le 4 à perdre son cap à la longue.

Lissy était bien dans sa nouvelle maison. Elle devait travailler dur, était traitée plus comme une bonne que comme un membre de la famille et n'était pas scolarisée correctement, mais au moins, elle mangeait à sa faim et ses besoins élémentaires étaient satisfaits.

Elle m'a dit souvent que son rêve le plus cher était d'avoir sa propre maison et de la décorer selon son goût et non celui des autres. Bien que Lissy soit très petite (1m35), elle n'était pas complexée par sa taille. Elle était bien faite, savait qu'elle était plutôt jolie et avait de beaux yeux bleus. (Je précise cela parce que, contrairement au 4 de sous-type social, le 4 de sous-type conservation est plutôt séduisant et n'a pas honte de son apparence physique.) Par conséquent, dès qu'elle devint une femme, il ne se passa pas longtemps avant que plusieurs hommes ne la remarquent et que l'un d'entre eux la demande en mariage.

Lissy n'aimait pas réellement cet homme et se rendit compte durant leurs courtes fiançailles qu'elle possédait plus de vitalité et d'intelligence que lui. Cependant, cela ne lui semblait pas très important parce qu'elle percevait ce mariage comme un moyen de changer de style de vie. Elle accepta donc de se marier en espérant que tout pourrait bien se passer. "Non, se persuada-t-elle, tout allait bien se passer."

Malheureusement, les choses n'allèrent pas bien. Peu à peu, son mari se sentit en position d'infériorité quand il prit conscience de son intelligence supérieure et de sa nature entreprenante ; intimidé, il perdit sa capacité à avoir des relations sexuelles complètes avec elle. En dépit de cela, ils eurent deux enfants, ce qui empira les choses. La frustration de son mari grandit et son impuissance s'aggrava. Il chercha à se consoler dans les bras d'une femme qui ne le faisait pas se sentir inférieur et avec laquelle il pouvait avoir des relations sexuelles satisfaisantes.

Pour Lissy, le pire aspect de cette situation n'était pas la trahison mais que son mari soit devenu insultant et commence à donner libre cours à sa colère en la battant pour des petits riens et en lui refusant l'argent du ménage dont elle avait besoin pour ses enfants. Elle essaya de se débrouiller du mieux qu'elle put, mais la situation devint rapidement invivable.

Après une querelle particulièrement violente durant laquelle son mari lui brisa deux côtes, Lissy commença à comploter une revanche.

Parfaitement au courant de sa liaison extraconjugale, Lissy commença à filer son mari dans l'espoir de le prendre en flagrant délit. Un jour où elle était sûre que son mari était sorti pour un rendez-vous avec sa maîtresse, Lissy s'empara d'un couteau de cuisine et le suivit.

Le plan initial de Lissy était de tuer son mari et sa maîtresse, mais comme cela arrive si souvent aux 4 de sous-type conservation, ce plan ne resta qu'au niveau des idées. Elle suivit son mari jusqu'au lieu où il rencontrait sa maîtresse, les surprit lorsqu'ils furent absorbés l'un par l'autre et, couteau à la main, se précipita pour frapper le coup fatal. Mais quelque chose en elle rendit son bras hésitant, comme si, en dépit du tourbillon de confusion faisant rage dans son esprit et dans son cœur, son instinct de conservation avait pris le dessus. Au lieu de transpercer le cœur de son mari, son arme obliqua vers le bas, toucha la cuisse et ne fit que le blesser légèrement.

Ce qui s'en suivit fut une sorte de cauchemar délirant. Lissy s'enfuit et se cacha chez une amie, abandonnant son mari allongé et en sang et sa maîtresse à demi morte de peur. Dès que les membres de la famille de son mari furent informés, ils firent ce qu'ils purent pour étouffer l'affaire et éviter le scandale. Ils appelèrent un médecin de confiance qui le soigna tranquillement sans produire de rapport à la police. La belle-mère de Lissy vint la voir et voulut savoir pourquoi elle avait fait cela. Lissy se confessa et expliqua tout. Sa belle-mère la serra dans ses bras, ce qui la fit pleurer parce qu'elle sentait qu'enfin quelqu'un lui pardonnait. De toute évidence, tout le monde dans sa belle-famille n'était pas aussi compréhensif et généreux, mais, en dépit de quelques opinions contraires, l'idée qu'il était préférable de laisser tomber cette affaire fut acceptée. La belle-mère de Lissy fit son possible pour engager une réconciliation pour le bien des enfants et de son fils qui accepta d'entrer dans le jeu. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase et conduisit Lissy à mépriser complètement son mari. Elle réfléchit à propos du risque personnel qu'elle avait pris à cause des comportements de cet homme qui maintenant se pliait à la volonté de sa famille, sans aucun sentiment pour elle. Elle perdit tout intérêt pour lui.

Afin de sauver la face, la famille du mari proposa qu'ils préservent les apparences du mariage : ils vivraient ensemble et Lissy pourrait ainsi revenir à la maison auprès de ses enfants. Lissy était terriblement indécise et tourmentée jusqu'au fond de son âme. Peut-être pouvait-elle accepter cet arrangement sans amour pour ses enfants et pour sa propre subsistance, mais pouvait-elle accepter une vie sans amour avec un homme qui continuerait à la trahir et à la maltraiter à chaque occasion ?

Lissy refusa ce choix et préféra partir, même si elle sentait qu'elle avait tout perdu. À ce moment-là, le divorce était illégal en Italie et elle pouvait être poursuivie pour abandon. De plus, elle n'avait pas de travail, n'avait aucune formation et n'avait aucun parent dans les environs. Un sombre destin se dressait devant Lissy. Cela provoqua une violente crise de désorientation. Elle fit une dépression nerveuse, perdit vingt-cinq kilos (1m35 !) et végéta, fumant trois paquets de cigarettes par jour, enfermée dans une chambre qu'elle avait louée dans un couvent. Seul son instinct de conservation la sauva.

Alors qu'il semblait que rien ne pouvait plus être fait pour elle, un médecin très intuitif parvint à trouver la clef de son cœur. Afin de la secouer, il feignit de la mépriser et lui dit qu'elle serait bientôt morte ou réduite à l'état de clocharde parce qu'elle n'avait pas le courage de regarder sa vie en face. Ces mots touchèrent Lissy au fond de son âme, comme si sa mère lui avait parlé comme elle le faisait quand elle la réprimandait. Elle ne pouvait pas capituler face au destin qui voulait l'humilier et tout lui enlever. Elle devait se ressaisir et réclamer ce à quoi elle avait droit.

Ainsi, Lissy, blessée mais pas détruite, trouva la force de revenir à la vie. Elle se mit à travailler comme domestique et fit ce qu'elle pouvait pour ses enfants qui étaient restés avec leur père et la femme qui vivait avec lui. Inconsciemment, Lissy revivait le scénario de son enfance dans un rôle différent. Maintenant, c'était elle qui avait le rôle de sa propre mère qui était partie (morte), mais d'une certaine manière prenait soin de ses enfants à distance.

Au fil des années, la vie de Lissy fut une continuelle tentative de démontrer qu'elle n'était pas inférieure aux autres. Bien que vivant sous le poids d'une condamnation sociale due au fait qu'elle soit une femme séparée de son mari et en dépit de ressources très faibles, Lissy continua à aider ceux qui lui étaient chers (un trait qui rend similaires les 4 de sous-type conservation et les 2) et respecta toujours ses engagements.

Engagée depuis vingt ans dans une relation stable avec un homme marié, elle ne voulut jamais qu'il quitte sa femme et l'épouse, même si le divorce était devenu légal en Italie. Quand je lui demandai pourquoi, elle répondit simplement qu'elle ne voulait pas qu'une autre femme vive ce qu'elle avait souffert.

Ayant travaillé dur et économisé sur ce qui lui restait après qu'elle ait généreusement donné à ceux qui étaient plus dans le besoin qu'elle, Lissy, devenue une vieille femme, réalisa le rêve de toute sa vie et s'acheta sa propre maison : une petite, très petite maison, plutôt en mauvais état, mais qu'elle réussit à transformer avec sa ténacité habituelle en un monument à sa capacité à toujours rechercher le beau.

Je crois que le temps passé à décorer et à restaurer sa maison constitua les meilleurs moments de sa vie. Quand on parle avec elle aujourd'hui, alors qu'elle est presque âgée de quatre-vingt-dix ans, elle se remémore ses efforts avec plaisir et déplore la faiblesse de ses enfants.

La vie de Lissy me fait penser au joli poème de Lee Masters Lucinda Matlock, extrait du premier tome de Spoon River :

Comment ? J'entends parler de chagrin et de lassitude,
De colère, de mécontentement et de désespoir.
Fils et filles dégénérés,
La vie est trop forte pour vous.
Il faut toute la vie pour aimer la vie.

Rena (sous-type social)

Rena était la seconde fille de parents qui désiraient un garçon. Cela l'avait toujours affecté parce que d'une certaine façon, elle n'a jamais été tout à fait ce que ses parents auraient voulu. De plus, c'était une enfant maigre qui ne correspondait pas du tout au modèle italien d'un bel enfant. Son environnement familial était complètement pourri à cause des relations très froides entre ses parents dues à leurs différences de caractère. (Selon Rena, sa mère était une croyante fanatique de type 6 avec une aile 5 et son père un athée irréductible de type 7 avec une aile 8.) Par conséquent, très vite dans sa vie, Rena se résigna à ne recevoir que très peu d'affection.

Rena décrivit les deux sortes d'éducation qu'elle reçut : d'une part, sa mère était obsédée par l'idée du péché et la traînait avec sa sœur à de fréquentes et ennuyeuses processions ou cérémonies religieuses ; d'autre part, son père, dirigé par ses sens, restait aussi peu que possible avec sa famille, entreprenait constamment des milliers d'aventures et se laissait souvent aller à des accès de fureur. Rena se souvient que même depuis sa plus tendre enfance, elle se sentait très différente de ses deux parents. Mais si elle avait eu à choisir, elle se serait sentie plus proche de son père avec lequel elle partageait vitalité et soif de vivre.

Je pense qu'elle avait établi une complicité secrète et inconsciente avec son père, ce qui arrive très souvent aux femmes de type 4 de sous-type social. Cette complicité fut la cause d'une chaîne de complexes de culpabilité de Rena envers sa mère ; celle-ci devint jalouse de sa fille parce qu'elle se sentait exclue de cette relation.

Le ressentiment de la mère envers cette relation (qu'elle considérait même comme un péché) alla croissant alors que Rena grandissait. Elle interdit à Rena de porter des vêtements moulants ou trop courts, même si les goûts de Rena l'auraient poussé à en porter.

La situation atteignit son paroxysme lorsque Rena à onze ans commençait juste sa puberté. C'était l'été. Il faisait chaud et Rena ne portait qu'une jupe courte, s'affairant à des travaux ménagers. Alors qu'elle était debout sur une chaise en train d'épousseter une lampe, son père entra dans la pièce et lui caressa sensuellement les jambes. Rena fut paralysée et abasourdie, ne sachant pas quoi faire. Elle ressentit une énorme honte et un sentiment de panique, mais avant que son père ne poursuive ce qu'il projetait de faire, quoi que ce fût, la tante de Rena entra et interrompit la scène. Cependant, il était trop tard et le mal était fait. Quand la mère de Rena appris cela, elle envoya sa fille à l'école dans un couvent. Incapable d'affronter à son mari, elle retourna sa frustration et sa colère contre Rena, lui reprochant ce qui était arrivé.

En conséquence, Rena souffrit d'une complète désorientation qui peut atteindre le 4 de sous-type social très fortement et elle commença à ressentir la honte de son propre corps et de ses propres pulsions. Elle développa la tendance typique du 4 à se sentir insuffisant ou impropre. La mémoire de cet abus et la peine qui l'accompagna demeurèrent rivées dans son cœur de nombreuses années et elle était incapable d'en parler à qui que ce soit.

La pauvre Rena sentait qu'elle ne pouvait raconter à personne ce qui lui était arrivé et elle recherchait désespérément et inconsciemment quelqu'un qui pourrait la comprendre sans qu'elle eût à lui révéler quoi que ce soit. Elle avait tellement honte d'elle-même qu'elle n'arrivait même pas à confesser son "péché" à son curé et en conséquence se sentait encore plus coupable de faire des confessions incomplètes.

Elle passa beaucoup de temps seule, à ruminer à ce qui lui était arrivé. Trente ans étaient passés quand elle me parla de cet ancien événement, après que de nombreuses années de psychanalyse l'aient en partie libérée. Bien que la peine se lise sur son visage, je lui demandai si elle avait parfois ressenti de la colère pour ce qui était arrivé. Sa réponse illustre parfaitement comment fonctionne la polarité Droit-Demande chez un 4 de sous-type social.

Oui, elle avait ressenti de la colère à propos des sévices, mais paradoxalement, sa colère était dirigée contre elle-même. En d'autres mots, elle se reprochait de n'avoir pas été capable de se défendre contre les abus de son père au début et après contre les accusations de sa mère.

Après que j'ai gentiment fait remarquer que même pour des adultes, il est difficile de se défendre contre des malveillances commises par ceux qui sont supposés nous aimer, et qu'à plus forte raison c'est presque impossible pour un enfant, elle pleura abondamment.

Après deux ans au couvent et la mort soudaine de son père, Rena, tout juste une adolescente, revint à la maison. Ce qui bien sûr lui interdit de se confronter avec ce qui avait été la cause de sa souffrance. Dès que Rena atteignit l'âge adulte, elle fuit son environnement familial et quitta la ville pour trouver un emploi. Cela signifiait qu'elle abandonnait toute possibilité d'éducation supérieure. Elle trouva un travail qui lui permettait tout juste de joindre les deux bouts. Bien qu'elle revienne fréquemment à la maison et qu'elle ait des relations cordiales avec sa sœur (un type 9 facile à vivre), Rena se sentait désespérément seule.

Les années passant, Rena se convainquit qu'il y avait quelque chose de terriblement mauvais en elle et que d'évidence, elle ne pourrait jamais atteindre le type de beauté qu'elle désirait et dont elle pensait manquer.

J'appelle cette conviction du 4 le "syndrome du vilain petit canard", en référence à l'histoire racontée par Hans Christian Andersen. Un œuf de canard fut mélangé par erreur avec des œufs d'oie ; après l'éclosion, le caneton se sentit totalement inadapté et inférieur à ses frères et sœurs jusqu'à ce qu'il rencontre un autre canard et qu'il se rende compte à quel point il est beau. La recherche d'un tel canard de validation est en quelque sorte une motivation fondamentale de l'envie.

Rena, également, recherchait ce canard, mais sa recherche la conduisait toujours vers des hommes qui la décevaient ou la blessaient. Elle revivait inconsciemment la désillusion vécue avec son père, sans être consciente de la manière dont elle alimentait sa souffrance et son désespoir.

Après qu'un n-ième partenaire décevant et abusif l'ait plaquée après une violente bagarre où elle eut le nez cassé, Rena atteignit la limite de ses ressources. Elle s'effondra et décida d'aller chercher l'aide de sa mère. La rencontre avec sa mère âgée fut mémorable. Voyant sa fille en détresse, la mère de Rena ouvrit son cœur et confessa en larmes qu'elle l'avait évincée par peur de n'être pas capable de la protéger de l'attirance malsaine que son mari éprouvait pour elle. Elle proposa à Rena de venir vivre avec elle. Même si l'idée de revenir dans son ancienne maison était presque insupportable à Rena, elle accepta.

Paradoxalement, ceci s'avéra être un bref moment de sérénité dans sa vie.

Après une courte et difficile période d'adaptation pour prendre ses marques, elle commença à apprécier certains avantages de la situation. Ayant été seule si longtemps, elle put enfin profiter de la présence de ses proches, même si au fond d'elle-même, elle ne se sentait toujours pas comprise par eux. Cette constatation la mena à réfléchir en profondeur sur sa relation avec sa mère, sa sœur et elle-même.

Rena s'aperçut qu'elle avait toujours été jalouse de sa sœur qui à ses yeux avait été la préférée de sa mère, ce qui lui causait inconsciemment de la culpabilité. Se remémorant toute sa vie, Rena comprit que dans un sens ou dans l'autre, toutes ses actions avaient été influencées par son désir d'être différente de sa sœur, une 9 qui acceptait toujours de faire ce que sa mère lui demandait.

Afin de rester près de sa mère et de sa sœur, Rena se mit à participer à des retraites spirituelles et devint membre d'une association caritative. Durant l'une de ces retraites, elle rencontra un homme timide et sensible (également un 4 social) avec qui elle débuta une amitié romantique. En réalité, Rena ne se sentit pas profondément attirée par lui, parce que les hommes par qui elle avait été habituellement attirée dans le passé étaient complètement différents ; mais elle ressentait pour lui une certaine tendresse. La gentillesse avec laquelle il la traitait la toucha profondément et pour la première fois, Rena pensa qu'elle avait enfin trouvé quelqu'un qui la comprenait. Aussi, quand il lui proposa le mariage, Rena se retrouva confrontée à un terrible conflit. D'un côté, il ne correspondait pas à son image de la beauté (l'illusion du 4) et il ne provoquait pas l'embrasement électrique dont elle avait toujours rêvé. D'un autre côté, elle était séduite par son attention et sa gentillesse.

En réalité, elle ne savait quelle décision prendre. En dépit de son insistance et de celle de sa famille, elle refusa le mariage pendant deux ans. Quand je lui demandai comment disparut son indécision, elle répondit : "J'ai essayé de laisser tous les éléments en faveur du mariage prendre le dessus en moi, alors qu'une résistance me disait que je ne le désirais pas vraiment. De toute façon, je savais que je ne voulais pas le blesser en lui disant non parce que je l'aurais perdu à coup sûr."

Le temps passant, il devenait de plus en plus déçu et frustré et il arrêta de la voir aussi fréquemment, ce qui influença sa décision et elle accepta de se marier.

Au début leur mariage ne fut pas mal du tout, même si Rena n'était pas vraiment transportée par son mari et qu'elle avait l'impression de plus en plus forte que quelque chose manquait. Même la naissance d'une fille, à laquelle Rena était très attachée, n'altéra pas son sentiment, plus intense chaque jour, d'avoir épousé le mauvais partenaire.

Rena vivait en transe. Elle avait séparé sa vie réelle qui lui semblait banale et monotone de sa vie fantasmagorique où elle rêvait les yeux ouverts de toutes sortes d'aventures romantiques. La conviction qu'elle avait le droit de demander la satisfaction dans le mariage grandissait tous les jours ; elle se reprochait de n'avoir pas pris le bon mari et conçut du ressentiment à l'égard de celui-ci qui ne la comprenait pas vraiment et qui ne pouvait pas lui donner ce qu'elle voulait. Il fut alors inévitable que Rena soit attirée par des hommes complètement différents de son mari. Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle rencontre un nouveau collègue de travail qui était gentil et séduisant et elle débuta une relation avec lui.

C'était d'évidence la fin de leur mariage, parce que Rena n'avait d'yeux que pour son nouvel amant et considérait son mari comme un rien du tout. Elle se sentait tellement transportée et enthousiasmée par cette nouvelle relation, que, bien que sa mère y soit opposée, elle décida de divorcer et d'aller vivre avec son nouvel amant, en emmenant sa fille.

Malheureusement, cette relation ne dura que très peu. Après une brève période de passion, l'homme se lassa d'elle, de ses plaintes et de sa mélancolie. Il se mit à la maltraiter physiquement et verbalement. Enfin il la plaqua cavalièrement, sans même lui annoncer qu'il la quittait.

Après une période de profonde désorientation, Rena comprit que la meilleure chose à faire était de vivre seule avec sa fille. Sa sœur l'aida à surmonter le pire de cette nouvelle solitude, lui montrant qu'il y avait au moins quelqu'un sur terre qui l'aimait bien sans attendre quelque chose en retour. Son ex-mari essaya à différentes reprises de renouer avec elle, mais Rena n'accepta pas parce qu'elle ne voulait pas risquer de reproduire les mêmes erreurs. Actuellement, Rena n'est pas heureuse, mais au moins, elle a commencé à s'occuper d'elle-même et a de bonnes relations avec sa sœur et sa fille.

La dernière fois que je l'aie vue, elle me prit la main et me dit qu'elle n'avait pas perdu l'espoir de changer le cours de sa vie. Mon cœur s'est mis à battre fort parce que j'ai reconnu dans ces paroles la même volonté que je ressens de ne jamais abandonner l'espoir, que nous les 4 nourrissons secrètement, d'une vie vraiment belle, même si habituellement nous ne semblons pas trouver le moyen de jouir pleinement de celle qui nous est offerte.