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Politique et Ennéagramme
Barry Ahern (Traduction par Myriam Hoffmann)

La route menant de Dublin en République d'Irlande à Belfast qui fait partie du Royaume-Uni, est longue de 167 kilomètres. Au bout de 113 kilomètres, vous atteignez la frontière. Alors que vous vous approchez de cette frontière, apparaît une série de rampes de sécurité pour vous rappeler à la prudence dans votre conduite. Conduire à plus de 35 km/h provoquerait des dégâts aux amortisseurs.

De petites collines entourent les deux côtés de la route. En haut de la plus haute colline de l'Irlande du Nord, est perché un poste d'observation militaire qui offre une bonne visibilité de toute la région. Les fenêtres de la zone d'observation étant teintées, il était impossible de savoir si quelqu'un était en poste ou non à l'intérieur. Il était parfois possible d'entendre un hélicoptère survolant la région de la frontière.

Non loin de là, des panneaux étaient érigés, indiquant que chaque véhicule devait fermer tout son équipement audio. L'armée britannique disposait d'appareils d'écoute leur permettant d'entendre les conversations dans les voitures. Les personnes qui savaient cela ignoraient la consigne.

Au poste de frontière lui-même, des soldats, pistolets parés à faire feu, se tenaient non loin de la file des voitures de passage. Personne ne pouvait franchir la frontière sans avoir été inspecté. Ce terrain désertique était entouré de hauts panneaux en tôle ondulée. Des cabanes avec de minuscules trous pour les caméras de surveillance et les dispositifs d'écoute épiaient les voitures dans le silence. De jeunes parachutistes à l'accent britannique, prêts à ouvrir le feu vous interrogeaient en détail sur votre voyage avant d'autoriser la traversée de l'autre côté.

En arrivant en Irlande du Nord, vous découvrez la nécessité de faire attention à votre accent du Sud. Les gens du Sud étaient considérés comme des républicains ou des nationalistes. Dans le Nord, leur représentation s'élevait à environ 45 % de la population. Le pourcentage restant était Loyaliste ou Unioniste. Tous les quartiers n'accueillaient pas des représentants des deux camps ; certains étaient des zones interdites où l'un des deux côtés vous faisait ouvertement entendre que vous n'étiez guère le bienvenu si vous n'étiez pas de leur confession. S'aventurer dans certains lieux n'était guère recommandé. Un emplacement de stationnement sûr était essentiel pour tout véhicule immatriculé en République d'Irlande. À moins que vous ne connaissiez bien le secteur, vous deviez vous fier aux indications des personnes vivant sur place. Il n'était pas rare que les voitures soient détournées pour être volées ; certaines se retrouvaient avec des bombes placées dessous. Tous les Irlandais du Nord partageaient la même couleur de peau et le même accent. Il n'était pas très facile de cerner de quel côté se trouvaient les gens : du côté des Républicains-Nationalistes qui voulaient une Irlande unie ou du côté des Loyalistes-Unionistes qui voulaient rester dans le Royaume Uni. Depuis le début du récent processus de paix, la tension s'est considérablement relâchée.

On disait qu'en atteignant leur adolescence, les jeunes gens d'Irlande du Nord avaient déjà appris une vingtaine de façons de s'assurer de vos origines. Votre nom, l'endroit où vous habitiez, les écoles que vous avez fréquentées, les activités auxquelles vous preniez part, les sports que vous pratiquiez, etc. Tous ces éléments apportaient suffisamment d'informations pour décider du camp auquel vous apparteniez.

Des décennies durant, une méfiance baignait la vie politique du Nord. Le processus de paix, entamé il y a plus de deux ans, commence à déplacer les préoccupations de la guerre et de la haine vers la paix. Ce processus implique que, courageusement, de nombreux pas vers la confiance ont été faits par les deux parties. Parfois, le chemin était semblable à des montagnes russes traversant une fournaise. Dès qu'un pas en avant était franchi, méfiance et doute se réinstallaient et donnaient lieu à une nouvelle crise. La méfiance des deux camps était si ancrée que les efforts réunis de Tony Blair et de Bertie Ahern, Premiers Ministres respectifs du Royaume Uni et de la République d'Irlande, ainsi que ceux de Bill Clinton, tous disponibles jour et nuit, furent nécessaires pour réunir les différentes parties dans les pourparlers de paix cruciaux qui prirent place à la période de Pâques, plus de deux ans en arrière.

Tout au long des pourparlers pour la paix, un commun accord avait été conclu selon lequel toutes les parties devaient être traitées avec la même considération. Le plus souvent, cela n'avait pas été le cas au cours du siècle précédent. Les terrains d'entente communs étaient restreints ; les deux parties étaient retranchées dans leur camp ; un apartheid inavoué était pratiqué ; des loyautés partielles étaient accordées, renforcées par l'allégeance à un État en particulier, qu'il s'agisse du Royaume Uni ou de la République d'Irlande. Les deux communautés utilisaient la religion comme support de leurs systèmes de croyances politiques respectifs.

À présent, je suis certain, cher lecteur, que vous avez compris que la situation politique en Irlande du Nord est dominée par une focalisation d'attention propre au 6. Il est donc souhaitable que nous nous écartions du sujet pour quelques instants et étudions ce qu'est la politique.

La politique possède plusieurs définitions et peut être perçue sous divers angles. Elle a été décrite comme la science du gouvernement, l'art du possible, etc. Un système politique est basé sur la compréhension d'un idéal commun. Lorsque nous parlons de collègues engagés dans des histoires politiques dans le cadre du travail, nous pensons en général à la façon qu'ont ces personnes de se conduire par rapport aux objectifs et aux buts de l'entreprise. Bien souvent est sous-entendu l'usage ou l'abus de pouvoir pour aller à l'encontre de ces objectifs, aider à les atteindre ou en être complice. Ceux qui prennent le pouvoir dans une organisation quelconque s'engagent dans la politique de maintes façons, comme le consensus, l'autocratie, la démocratie, etc.

Nous sommes tous engagés dans la politique, que nous en soyons conscients ou non. Par exemple, les employés qui travaillent dans une société où il est recommandé de ne pas voir l'intimidation exercée par les autorités ont le choix politique de décider s'ils tolèrent ou non la situation. De même, nos habitudes de consommation ont des répercussions politiques. Si nous décidons de cesser d'acheter notre essence auprès d'une société pétrolière liée à la destruction de l'environnement, nous nous engageons en toute conscience dans un acte politique. Plus nous avons conscience des choix qui s'offrent à nous, plus nous avons de pouvoir pour engager un changement.

Une autre perception de la politique se manifeste dans le rapprochement de personnes tentant de parvenir à une compréhension commune d'un système de croyances particulier. À un niveau local, ceci pourrait se traduire par la rédaction d'une charte pour un groupement professionnel.

On pourrait dire que dans une certaine mesure, la politique est un art de la survie, la survie, au sein d'un groupe ou d'une société, d'un système de croyances particulier qui nous permet de comprendre le monde et d'y fonctionner.

À son niveau fondamental, l'énergie déployée dans la politique est de nature instinctive. Et nos énergies instinctives s'occupent de notre survie. L'art du politicien consiste à canaliser l'énergie instinctive à travers le dialogue et l'usage du pouvoir afin d'empêcher les gens d'aller s'entre-tuer chaque fois que leur sécurité est menacée. Réfléchissez à la façon dont vous avez réagi la dernière fois que quelqu'un vous a fait une remarque qui menaçait l'une de vos croyances les plus ancrées.

En termes d'Ennéagramme, toute société comporte un cadre de référence favorisant la manifestation des comportements d'un certain type. Ces comportements sont à leur tour liés à notre système de croyance. Certains facteurs catalyseurs rassemblent la société. Par exemple, aux États-Unis et dans les sociétés occidentales de façon plus générale, la consommation est reine. Si un phénomène vient à menacer cela, disons une autre nation qui tenterait de réduire sa production de pétrole, une guerre pourrait éclater, motivée par la défense de la croyance en son droit à être approvisionné en pétrole. Quand la guerre commence, les vraies raisons peuvent être camouflées et elle peut être présentée comme une attaque légitime contre un régime répressif. Les individus n'adhérant pas au système, tels ceux issus du pays, ne se sentiront pas menacés de la même manière. Leur survie ne leur semblera pas attaquée.

Peu après la Seconde Guerre Mondiale, Jean Monet et Robert Schumann ont tenté de rassembler les nations assiégées d'Europe de façon à empêcher de nouveaux conflits entre factions opposées. L'union envisagée devait reposer sur une économie permettant aux anciens États antagonistes de coopérer entre eux, créer des liens commerciaux puissants et collaborer en faveur du bien commun. Ceci constitua l'amorce d'un idéal commun. Depuis, la Communauté s'est élargie et l'Union Européenne compte à ce jour quinze États membres, sans compter les nombreux États de l'Est désireux de se joindre à eux.

À une échelle moindre, l'assemblée des Enseignants Européens de l'Ennéagramme qui s'est récemment tenue à Zurich en juin était une tentative similaire de regrouper des personnes venant de douze pays différents. L'Ennéagramme constituait le lien commun. Lorsque les participants se sont réunis pour discuter du futur de l'Ennéagramme, les différences culturelles n'ont pas tardé à se manifester.

Le premier problème fut la question de la langue. Une association allemande fonctionnant bien existe déjà. En Allemagne, quiconque souhaite former une association doit en rédiger les statuts et les soumettre à l'état pour approbation. Les Allemands avaient déjà constitué leur association et se sont montrés ouverts à l'adhésion des enseignants provenant d'autres pays, la langue propre à l'association demeurant toutefois l'allemand. Par le passé, l'Association allemande prenait les anglophones en considération, mais l'organisation avait fini par s'avérer trop difficile et trop onéreuse. Les enseignants anglophones, parmi lesquels peu parlaient l'allemand, tentèrent de trouver une solution pour s'organiser entre eux, tout en gardant des liens avec les autres associations.

La langue constitue une mine vitale de valeurs culturelles transmises par l'État. Certaines expressions appartenant à la langue irlandaise ne pourraient par exemple être traduites dans aucune autre langue sans perdre de leurs nuances et de leur signification. Ceux parmi nous qui enseignent l'Ennéagramme dans la Tradition Orale savent combien les nuances du langage sont importantes.

Au cours de mon EPTP [Enneagram Professional Training Program] avec David Daniels et Helen Palmer en Californie, ceux parmi nous dont la langue maternelle était l'anglais mais qui venaient de pays étrangers se sont tout de suite rendu compte des différences de nuances, de formulation et de langage par rapport à leurs confrères américains. Certains se sont retrouvés de manière informelle pour réfléchir à la question et se sont parfois amusés de constater les diverses expressions et tournures de phrases ayant des significations différentes dans leurs pays d'origine respectifs.

Un gros avantage qu'ont les Américains est que la plupart d'entre eux, dans les cinquante États, parlent l'anglais américain. Cela constitue une base solide, permettant d'encourager et de développer la diversité culturelle. Tout le monde a une idée assez claire de ce qui est en train d'être dit. Sans une langue commune et en cas de malentendu entre des personnes issues de nations différentes, les barrières culturelles deviennent des éléments du mécanisme défense du type.

En juin de cette année, des participants venus de douze différents pays se sont rassemblés à Zürich dans le cadre de l'Association des Enseignants Européens de l'Ennéagramme. Les langues utilisées dans toutes les réunions étaient l'anglais et l'allemand. Quatre des participants venaient de la République Tchécoslovaque. Seul l'un d'entre eux parlait l'anglais et un autre l'allemand. Ce qui signifiait que les traductions simultanées se faisaient d'abord en allemand pour être ensuite faites dans leur propre langue maternelle. Dieu seul sait combien de subtilités ont dû être perdues au cours des entretiens. Néanmoins, ils étaient déterminés à en apprendre davantage sur l'Ennéagramme et à rapporter chez eux un savoir qu'ils allaient exploiter sur leur site Internet, en vue de l'approfondir et de le diffuser autour d'eux. Leur détermination fit l'admiration de tous.

Lorsqu'il fallut décider de l'avenir de l'Association des Enseignants de l'Ennéagramme, les divers comportements culturels se sont manifestés. Le lien commun ou le catalyseur était l'intérêt pour l'Ennéagramme et le respect de sa sagesse. La question plus épineuse fut de savoir comment se réunir et créer un lieu d'échanges et a engendré des interrogations sur le choix du pays qui allait faire office d'hôte, sur la langue à utiliser, etc.

Les personnes provenant des plus grands États d'Europe Centrale qui partagent un passé historique plutôt instable se sont exprimées haut et fort. Les pays de plus petite taille situés à la périphérie du continent européen ont détourné le regard en se demandant comment tout cela allait se terminer. Les Français ont fait passer le message proposant d'être le pays hôte de la prochaine conférence alors qu'aucun français n'était présent à la réunion. Les Suisses, qui furent de merveilleux hôtes pour la conférence ont opté, à l'image de leur histoire, pour la neutralité et ont discuté de leur côté du développement de l'Ennéagramme dans leur pays. Les Allemands ont invité chacun à rejoindre leur association, tout en stipulant que l'allemand en serait le langage oral et écrit.

Pendant un court moment, on semblait être arrivé à une impasse. Heureusement, une issue fut trouvée et on a pu avancer dans l'ordre du jour.

Alors que se passe-t-il lorsque les gens ne sont pas d'accord et pensent que l'opinion de l'autre est si menaçante qu'ils décident de rester fermement sur leur position et de préserver le statu quo ? Une nouvelle politique est en train de poindre dans les régions en conflit du globe, par laquelle des minorités, au lieu de s'engouffrer dans la violence, défendent leurs droits à être traitées avec autant d'estime que la majorité. Bien souvent, les problèmes paraissent moins graves dès qu'un respect mutuel s'installe : pas d'humiliations, pas de rejet, d'accusations, de condamnations, etc. Ceci ne sert qu'à prolonger la situation. Tout commence avec la prémisse que tous les points de vue sont valides et que tout le monde mérite d'être entendu. Un principe de base de l'Ennéagramme, me direz-vous.

Il serait cependant naïf de croire que la politique ne va pas pointer le nez dans les cercles de l'Ennéagramme. Ceci est particulièrement vrai parmi les groupes et les associations œuvrant pour le bien des autres et qui se perçoivent comme au-dessus de la politique. Il est préférable d'être conscient de cette éventualité, afin qu'elle ne nous mène pas à la ruine, comme ce fut le cas pour bon nombre d'individus regroupés dans le but d'ouvrer pour une amélioration de l'humanité.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler les objectifs de la toute nouvelle Association Européenne des Enseignants de l'Ennéagramme, dont les membres, d'un commun accord, ont fixé les lignes directives ci-après :

  • Promouvoir l'excellence dans l'enseignement et la philosophie de l'Ennéagramme.
  • Mettre la sagesse de l'Ennéagramme à la portée de tous et partout.
  • Encourager la croissance de tout un chacun à travers l'usage de l'Ennéagramme.

Aussi nobles que soient nos idéaux, la politique fera intrusion. Elle est un instinct de base et notre vie instinctive se poursuit jusqu'à la mort. Prendre conscience de son énergie mène à la découverte de ce qui anime notre type dans l'Ennéagramme. Par conséquent, il est intéressant de voir et comprendre comment notre type s'exprime politiquement, avant d'en devenir la victime.

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Barry Ahern vit et travaille en Irlande. Il enseigne l'Ennéagramme selon la tradition orale et l'utilise parmi des groupes communautaires et dans le secteur des entreprises.