Une conversation avec Michael Kilgroe (1e partie)
par Jack Labanauskas et Sue Ann McKean (Traduction par Alexandra Jacquemart)
Jack Labanauskas : Vous enseignez l'Ennéagramme avec votre femme, Patricia Burbank, et avec David Daniels dans la Bay Area depuis "les premiers jours" à la fin des années 1980. Vous avez également étudié et pratiqué plusieurs techniques corporelles depuis plus de trente ans et vous avez une compréhension profonde des types d'un point de vue énergétique et somatique.
Michael Kilgroe : Il y a deux ou trois domaines dans lesquels je sens que j'ai à faire une contribution originale à l'Ennéagramme. Avant cela, j'aimerais dire d'où je viens, par exemple quels furent mes professeurs et qu'est-ce qui a influencé ma façon de penser.
JL : Quelles sont ces influences ?
MK : Il y a à peu près vingt ans de cela, j'ai eu un client qui m'a donné un exemplaire d'un mémoire qu'il avait écrit sur l'Ennéagramme pour son doctorat de philosophie. J'avais déjà suivi une formation Arica à Palo Alto avec le groupe d'Oscar Ichazo. Cette formation particulière parlait de l'Ennéagramme, mais n'allait pas en profondeur dans la structure des différents types. Ce mémoire était très intéressant à lire et Patricia et moi l'avons parcouru avec un grand élan d'enthousiasme. Au cours des quatre ou cinq années suivantes, nous avons entendu parler épisodiquement de l'Ennéagramme parce qu'il était enseigné à l'Institut de Psychologie Transpersonnelle et que nous avions des contacts avec cet institut et avec quelques-uns de ses étudiants. Mais il n'y avait encore aucun livre d'écrit sur ce sujet.
JL : Avant 1985 ?
MK : Oui. Nous jouions avec l'Ennéagramme et nous y pensions régulièrement. Nous avions tous les deux lu et étudié un peu Gurdjieff et Ouspensky, et même un peu Bennett et Nicole, ce qui avait accru notre curiosité. Puis nous avons découvert un groupe de travail qui était proposé par Helen Palmer à Esalen. Nous avons assisté à ce groupe de travail qui durait une semaine et lorsque nous avons rencontré Helen, nous avons été convaincus qu'elle connaissait réellement le sujet en profondeur et nous étions très intéressés. Après ce groupe de travail, Helen a proposé sa première formation professionnelle que nous avons suivie. Nous y avons rencontré David Daniels. Après cette formation en 1989, avec d'autres, nous avons mis en place un groupe d'étude ici à Palo Alto qui continue toujours aujourd'hui. Nous nous rencontrons chaque mois. C'est à cette époque que nous avons proposé à David Daniels d'enseigner tous les trois puisque nous représentions les trois centres mental, émotionnel et instinctif : David est 6, Patricia est 2 et je suis 9.
JL : Le démarrage a été facile ?
MK : Au départ, Patricia et moi avions l'intention d'enseigner nous-mêmes, mais nous découvrîmes que c'était très difficile de démarrer. Lorsque nous avons rejoint David, les choses se sont mises tout simplement à leur place. Il est un vrai moteur et une personne que j'aime énormément. J'ai beaucoup appris de David.
JL : Est-ce que David est bon organisateur ?
MK : Il est un très bon organisateur. Et lui et sa femme Judy forment une super-équipe. J'ai tendance à tout mettre en œuvre à la toute dernière minute. David nous a fait nous préparer des mois à l'avance pour le premier cours que nous avons enseigné. Il a apporté la structure, ce qui était vital pour moi. Au début, j'ai moins compris le point 6 que tous les autres types. Je pense que la raison était que c'est mon type de désintégration et donc une part de mon ombre. Je ne pouvais pas comprendre que quelqu'un puisse vivre dans la peur et être, malgré cela, aussi accompli que l'était David. C'est à travers lui que j'ai commencé à comprendre et à apprécier le point de vue du 6. Nous avons créé une structure nommée Enneagram Studies of Palo Alto et avons commencé à enseigner. Dans le premier cours de base, qui a duré 10 semaines, nous avons eu 75 étudiants. Il y en a eu jusqu'à 150 les années suivantes et nous continuons à enseigner les bases chaque année.
JL : Est-ce qu'il y a eu d'autres influences dans votre compréhension de l'Ennéagramme, qu'elles soient de nature psychologique ou spirituelle ?
MK : Oui, il y en a eu beaucoup, mais je n'en mentionnerai que quelques-unes. Tout d'abord, je voudrais rendre hommage à Helen Palmer pour avoir été ma première formatrice. La plupart de ce que je sais et présente de l'Ennéagramme vient directement d'elle ou a été influencé par son enseignement. Eli Jaxon aussi a eu une grande influence sur mon enseignement, particulièrement la perspective de l'essence, la non-dualité. Gangaji, sa femme, bien qu'elle ne soit pas liée directement à l'enseignement de l'Ennéagramme, a été une formatrice spirituelle qui m'a ouvert les yeux sur la Vérité au-delà des mots. Plus récemment, la tradition Dzogchen du Bouddhisme Tibétain m'a apporté une pratique structurée qui me semblait utile. Le Dzogchen se pratique dans un contexte de non-dualité.
JL : Si on en revient au tout début, vous étiez un Rolfeur. Pour nos lecteurs ne connaissant pas le Rolfing, pourrions-nous dire que c'est une technique de manipulation des tissus profonds s'appuyant sur une vision psycho-physique complexe de la structure somatique et de l'énergie ?
MK : J'ai étudié avec Ida Rolf, la fondatrice du Rolfing. En 1972, j'ai terminé ma formation initiale avec elle et suis devenu praticien du Rolfing. Cela m'a permis d'apporter à l'Ennéagramme la compréhension des schémas de comportement et des sources inconscientes de ces comportements, compréhension obtenue en observant les mouvements de la personne, à quoi ressemble la structure de son corps, comment l'énergie se déplace à travers le corps, où la contraction musculaire inhibe le flot d'énergie et le langage du corps en général.
JL : Est-ce votre principal outil pour reconnaître les types ?
MK : C'est un des nombreux outils. C'est important d'écouter ce qu'une personne dit, mais plus que cela, vous avez besoin de voir comment elle le dit. Quels sont l'expression et le langage du corps ? Comment s'exprime l'énergie ?
JL : Lorsque vous dites "langage du corps", vous référez-vous aux mouvements, à la forme du corps, à la posture ou aux traits du visage ?
MK : J'inclus tout. Lorsque je parle d'énergies, j'intègre également la conscience de la structure, à savoir la forme du corps, la manière dont les différentes parties du corps sont reliées et les tensions musculaires dans le corps. En termes Reichiens, ces schémas caractérologiques de tensions sont appelés l'armure du corps. Wilhelm Reich a écrit un livre appelé L'analyse caractérielle, dans lequel il expose une typologie caractérologique qui est fondée sur cette armure du corps. Bien avant que j'étudie l'Ennéagramme, j'ai étudié l'analyse du caractère selon Reich et les types de caractères bioénergétiques qui ont été codifiés par Alexander Lowen, un étudiant de Reich. Lorsque je vois une personne du point de vue de l'Ennéagramme, j'intègre ces autres ressources dans ma façon de la voir. Les somatotypes de Sheldon (endomorphe, ectomorphe et mésomorphe) sont ma troisième influence dans ce domaine. Toutes ces approches ont une profonde influence sur la façon dont j'interprète l'Ennéagramme et je considère la personnalité des gens.
Sue Ann McKean : Voyez-vous une corrélation entre ces systèmes ? Lorsque je vois un 9, je pense à un endomorphe, ou lorsque je pense à un type de centre mental, je pense à un ectomorphe.
MK : Oui.
SM : Je trouve beaucoup de 9 endomorphes et de 5 ectomorphes, donc il peut y avoir un lien.
MK : Mais si vous faites une corrélation univoque, elle ne tient pas très longtemps. Autrefois, j'ai lu un article de Kathy Speeth où elle faisait une corrélation entre les endomorphes et les types du centre instinctif, les ectomorphes et les types du centre mental et les mésomorphes et les types du centre émotionnel.
JL : Qu'est-ce qui fait cette corrélation ne fonctionne pas ?
MK : Elle ne tient pas debout dans un certain sens ; dans un autre, elle fournit un aperçu valable. Les trois centres sont réellement liés aux trois somatotypes, de la même manière qu'ils sont reliés aux trois couches du cerveau, le cerveau reptilien (instinctif), le système limbique (émotionnel) et le néo-cortex (mental). L'Ennéagramme est un système dynamique dans lequel chaque personne a un premier, un deuxième et un troisième centre et la même chose est vraie pour son somatotype. Chacun a une combinaison des trois centres et des trois somatotypes. C'est-à-dire que personne n'est uniquement un mésomorphe, un endomorphe ou un ectomorphe, mais est une combinaison des trois. Ce n'est qu'un résumé d'attribuer un somatotype à une personne. Chaque personne obéit à des schémas identifiables, mais est un individu unique.
JL : Il y a eu une bonne série d'articles sur ce thème par Peter O'Hanrahan dans Enneagram Monthly [janvier et février 1999].
SM : Prendre en compte uniquement la structure peut être décevant, parce que vous, Michael, ressemblez à un type du centre mental et Jack ressemble à un type du centre instinctif.
MK : L'article de Peter dans EM traitait de ce sujet. C'était un article très bien écrit et j'étais d'accord avec quasiment tout ce qu'il disait. Il y a six ou sept ans, j'ai fait une présentation au groupe d'études de Palo Alto auquel je faisais référence tout à l'heure. La présentation était sur la relation entre les somatotypes et les types de l'Ennéagramme. Dans cette présentation, une des conclusions était que vous pouviez déterminer des paramètres de base permettant de relier l'Ennéagramme et les somatotypes. Mais il y a une large variation à l'intérieur même de cette corrélation.
Par exemple, vous pouvez avoir un échantillon de 5 (comme dans la tradition orale d'Helen Palmer). Ce que nous considérons être un 5 typique serait un ectomorphe au corps allongé et étroit. Les ectomorphes sont hypersensibles à l'environnement. S'ils reçoivent trop de stimulations, ils doivent se retirer et s'isoler. La même chose est vraie pour les 5. Dans un échantillon de 5, vous pourriez avoir un ectomorphe ; vous pourriez aussi avoir un autre 5 qui soit plus rond, avec une plus grande proportion de graisse dans le corps, des épaules étroites et des hanches larges et qui serait plutôt endomorphe ; et vous en auriez un autre plus mésomorphe, athlétique, qui a beaucoup travaillé sur lui, avec des épaules larges et une taille étroite. Ces trois 5 vont montrer des caractéristiques comportementales très différentes. Le besoin d'isolement pour éviter l'intrusion et l'organisation de l'attention qui se manifestent lorsque la passion et la fixation arrivent au premier plan sont présents chez tous les 5 de l'échantillon, mais ils vivront leur vie de manière très différente selon leur type corporel. Le mésomorphe aura beaucoup plus de capacité à soutenir le contact social sans avoir besoin de se retirer, sans se sentir submergé. L'ectomorphe aura moins de capacité à soutenir le contact. L'endomorphe se protégera des énergies intrusives en ayant plus de poids et de chair pour contenir les impulsions nerveuses (centre mental-ectomorphe) ; Il pourra même avoir une meilleure capacité à supporter le plaisir des sens, spécialement le plaisir du goût.
SM : Peut-être que le mésomorphe restera là et se retirera en lui-même, tout en restant connecté.
MK : Oui, ils peuvent rester connectés énergétiquement. Ils ont plus d'énergie physique pour l'action.
SM : Un ectomorphe pourrait juste foutre le camp.
MK : Ils en ont besoin. Ils ne peuvent pas tolérer beaucoup de stimulations, à moins que ce ne soit en privé ou des stimulations mentales.
JL : Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a beaucoup de comiques parmi les 5.
MK : Le Méso ou le Méso-Endo, oui.
JL : Je pense qu'ils y sont poussés par leur sens de l'ironie, parce que leur capacité très fine d'observation leur permet de détecter ce qui est incongru et qui peut être très drôle.
MK : Oui, mais pour être capable de le faire dans un environnement public, il leur faut une sorte de stabilité énergétique dans le corps. Un pur ectomorphe 5 n'aura pas cette stabilité et cette capacité. Prenons le 2 comme autre exemple. Sue Ann est une 2 mésomorphe et j'ai une amie qui est une 2 ectomorphe. Elle travaille en milieu médical en tant qu'infirmière, un environnement qui exige beaucoup de présence et de proximité avec les autres personnes. Elle rentre chez elle chaque jour et a tout simplement besoin de se retirer et d'être seule pendant de longues périodes. Elle ne peut pas supporter de façon prolongée ce type d'interaction avec d'autres personnes, parce que son système nerveux ne peut pas le tolérer. Vous pouvez le voir sur son corps.
Tout ceci ayant été dit à propos de la classification en types d'un point de vue bioénergétique et somatique, je voudrais appeler à prendre des précautions. C'est une affaire subtile. Percevoir les types corporels, à la fois structurellement et énergétiquement, est possible grâce à l'application d'une série de paramètres fiables définis par ces méthodes. Mais une lecture adéquate du corps exige des savoir-faire obtenus uniquement par expérience et de préférence avec un professeur. Tout d'abord, il vous faut être bien dans votre propre corps, être familier avec sa vie intérieure de sentiments et de sensations. Vous devez aussi être capable de reconnaître les effets qu'un traumatisme peut avoir sur le corps. Les accidents, la maladie et les traumatismes émotionnels jouent tous un rôle majeur dans l'évaluation du somatotype, de la structure de caractère et du type Ennéagramme. Une personne peut prendre du poids lorsqu'elle est déprimée, alors qu'une autre va en perdre. À quoi ressemblait cette personne avant sa dépression ? Comment son corps répond-il aux antidépresseurs ? Une autre personne peut avoir un corps énergétique en pleine santé qui projette l'image de confiance en soi d'un 3 mésomorphe ; puis, elle peut avoir un grave accident de voiture ; des années plus tard, après que les blessures de surface aient été guéries, elle peut présenter une image corporelle très différente, mais le besoin de réussite est toujours là ; peut-être qu'une jambe est plus longue que l'autre désormais et qu'il boite légèrement, ce qui l'empêche de réaliser telle ou telle chose. Être capable de voir à travers ces couches de traumatismes personnels demande une vision entraînée, une bonne intuition ou les deux.
(Remarque : les somatotypes ont été conçus pour décrire le type de corps dans lequel nous sommes nés, l'inné ; l'analyse du caractère décrit comment le corps a été façonné par l'expérience de la petite enfance, l'acquis.)
JL : Revenons à ce que vous appelez l'armure corporelle. Diriez-vous que c'est une habitude de mouvement qui après suffisamment de répétitions devient une composante du corps ? Est-ce que le corps n'est pas formé par tout un ensemble d'habitudes fixes acquises au cours d'une vie ?
MK : Vous pouvez appeler ça une habitude de mouvement, mais ça peut être aussi une contraction qui sert de défense contre le ressenti d'un sentiment, ou un blocage énergétique qui enferme dans une réponse stéréotypée au monde. Si j'ai peur, certains groupes de muscles se contractent entraînant un flot d'énergie dans le corps, d'une manière que nous nommons peur. Lorsqu'un enfant est effrayé, le diaphragme se contracte vers le haut, les épaules remontent, les pupilles se dilatent et l'énergie monte dans la tête. C'est ainsi que les types ayant une problématique avec la peur sont des mentaux.
JL : Donc, c'est ce que nous sommes devenus. La forme de notre corps dépend du caractère et du mouvement, c'est une seule et même chose.
MK : Le corps est l'expression physique de la personnalité. Laissez-moi vous donner un exemple qui a été utilisé par Wilhelm Reich. Vous pouvez voir la Loi de Trois imbriquée dans ce modèle et ça colle donc assez bien avec l'Ennéagramme. Le principe premier dans la thérapie de Reich est de dissoudre l'armure du corps de manière systématique, pour éviter d'exposer la structure de l'ego à quelque chose qui la submergerait. L'armure est composée de trois couches qui doivent être ouvertes et intégrées. La couche superficielle de l'armure concerne les conventions sociales, donc qui je pense être. La couche du milieu concerne la personne que j'ai peur d'être. Et la couche la plus profonde permet de voir qui je suis réellement. Ces couches sont révélées quand l'armure est abandonnée ou dissoute au niveau de cette couche.
Sur la couche superficielle, il y a une personnalité socialisée nous permettant d'être intégré dans le monde conventionnel. Nous sommes polis, nous savons comment nous comporter dans des situations sociales et nous sommes formés à la propreté. Puis, directement en dessous, il y a la couche non civilisée et qui j'ai peur d'être. C'est ce que Freud appelle le "ça". Il contient tout le négatif, la colère, les impulsions violentes potentielles et les instincts de survie, sexuels et de territoire. Lorsque nous commençons à dissoudre cette couche de l'armure qui contient tous ces sujets, ils remontent à la surface et ont besoin d'être intégrés totalement dans la personnalité. Dès que la troisième couche est découverte, le noyau révèle ce que Reich appelle un état de moralité naturelle. Une fois que les couches d'armure sont libérées et dissoutes, il existe en chacun de nous une capacité à se relier aux autres à un niveau très humain où nous traitons autrui avec gentillesse aimante et respect. C'est très semblable à ce qu'affirme le Dalaï-Lama, à savoir que le sentiment le plus profond de l'être humain est la compassion.
JL : Ça serait aussi un niveau où nous nous relions de manière appropriée, où nous faisons ce qui est requis par la situation et non pas quelque chose d'imposé par d'anciens conditionnements.
MK : C'est exact. C'est une très bonne façon de l'expliquer. Vous répondez dans l'instant plutôt que ce qui est dicté par vos modèles névrotiques. L'esprit du débutant.
SM : Donc, la couche une et deux sont celles de la fixation et de la passion.
MK : La couche une est principalement ce qu'on pourrait appeler la personnalité. Elle concerne la persona au sens de Jung. La couche deux concerne les mécanismes profonds qui donnent naissance à la structure de notre caractère. L'Ennéagramme concerne vraiment plus la structure du caractère que la personnalité dans sa globalité. La passion, l'évitement, le mécanisme de défense, les pièges, les portes et les sous-types instinctifs sont des forces motrices qui dirigent notre attention. Ils existent dans la deuxième couche. Et la troisième couche concerne plus notre être essentiel, ce que Almaas appelle l'essence personnelle.
JL : Ceci amène un point intéressant. Si la couche la plus extérieure est ce qu'on pense être, il en résulte que si vous avez une vision infatuée de vous-même, vous restez heureux à la surface. Mais si vous avez une opinion déprimante de votre moi extérieur, vous n'avez pas envie d'attendre que ça passe et vous acceptez volontiers d'aller au plus profond de vous-même. Ceci expliquerait pourquoi tant de gens qui ont souffert dans la vie sont devenus tendres et empathiques, alors que ceux qui ont été trop gâtés ont tendance à être odieux et sans considération.
MK : Dans ma vie, les périodes de souffrance conscientes m'ont toujours amené plus profond et m'ont toujours ouvert le cœur.
SM : Lorsque l'on parle de couches les plus profondes restant inconscientes, sommes-nous en train de parler de l'ombre au sens jungien du terme ? Tout ce que nous réprimons devient notre ombre. Nous pourrons réprimer de bonnes choses et nous appellerons ça l'ombre brillante ou réprimer de mauvaises choses et c'est de l'ombre sombre, mais c'est toujours l'ombre, quelque chose dont nous sommes inconscients parce que nous le réprimons. Êtes-vous en train de dire qu'après avoir percé la première couche, tout ce que vous avez réprimé ou stocké dans votre inconscient doit être intégré dans votre conscience ?
MK : Pour que l'individualisation se produise, les éléments d'ombre qui remontent doivent être intégrés dans la conscience. Arnie Mindell a parlé de ce processus d'intégration de l'ombre en utilisant un langage différent qui inclut l'insight, l'émotion et le mouvement-sensation.
JL : Le même Mindell qui a créé la Psychologie Orientée Processus, la POP ?
MK : Oui. Patricia et moi avons étudié la POP avec Arnie et d'autres pendant à peu près trois ans. Arnie était un analyste jungien qui habitait Zurich lorsqu'il a commencé à voir les choses un peu différemment des autres Jungiens. Il a développé des manières de travailler avec les gens, à la fois individuellement et en groupe, qui utilisent des mouvements et la conscience du corps, en plus du travail sur les rêves, les relations, etc. Selon Arnie, et c'est la connexion à l'ombre, nous avons un processus primaire et un processus secondaire. Le processus primaire est ce à quoi vous vous identifiez. La plupart du temps pour Monsieur Tout Le Monde l'identité du"Qui suis-je ?" est confinée à la couche superficielle de Reich. Mais elle peut aussi inclure des éléments des deuxième et troisième couches, si vous vous identifiez avec eux. Le processus secondaire est ce à quoi vous ne vous identifiez pas. Vous pouvez le projeter, le réprimer, le nier, ne pas le ressentir, la chose principale est une sensation de "Ce n'est pas moi." Le processus secondaire n'apparaît habituellement pas dans les mots que vous prononcez, mais il se révèle dans la manière dont vous les prononcez, dans le langage du corps, le ton de voix, tout ce qui est incongru par rapport au message primaire. C'est comme un double message. Je peux être en train de vous dire une chose (processus primaire), mais je donne des signaux somatiques (processus secondaire) à propos de tout autre chose. Je suis conscient du premier, mais complètement inconscient du second.
Le travail de la POP est de faire attention au processus secondaire et d'en devenir conscient. Devenir conscient du processus secondaire, c'est comme approcher d'un bord. Un bord est perçu comme un territoire dangereux. "Je ne veux pas y aller." "Ca ne m'est pas familier." "Je ne le ferais jamais" Toutes sortes de signaux corporels apparaissent quand on approche d'un bord. Voici quelques exemples : un 9 peut s'endormir ou devenir paranoïaque si la colère arrive ; un 3 peut devenir hyperactif, agité ou anxieux si des émotions en désaccord avec son image surgissent ; un 7 peut avoir peur ou se mettre en colère devant la possibilité d'être limité de telle ou telle manière. Bien qu'Arnie ne connût pas l'Ennéagramme, il est clair que tous les types ont des manières caractéristiques de gérer un bord. Ils ont des bords différents et des défenses différentes contre ces bords. C'est le fait de devenir conscient de nos bords et de les dépasser consciemment qui permet l'intégration et la guérison. Il y a une formidable vitalité de l'autre côté. Un sentiment de libération. Le travail du thérapeute est d'aider une personne à dépasser son bord pour qu'elle élargisse son sens de l'identité. Une fois que l'autre côté est exploré et accepté, nos réponses sur nous-même et sur le monde ne sont plus confinées au vieux sens restrictif du moi. Ce qui est habituellement dans l'ombre est désormais vécu comme énergisant et comme élargissant nos capacités pour être et faire.
SM : C'est vraiment intéressant.
MK : Une grosse part du travail que j'ai réalisé avec Patricia à la fin des années 1980 et au début des années 1990 a été d'intégrer la POP à l'Ennéagramme. Parallèlement aux groupes de travail de week-end, nous avons mené des formations de quatre ans appelées "Neuf chemins pour un Cœur ouvert" dans lesquelles nous avons réalisé en grande partie ce travail.
JL : Il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce sens. Dans EM, nous essayons de relier l'Ennéagramme à toute une gamme de systèmes et de méthodes. Avec le temps, nous espérons que l'Ennéagramme puisse devenir une partie intégrante de la vie et qu'il s'intègre dans la spiritualité et la psychologie.
MK : Je suis entièrement d'accord avec vous. L'Ennéagramme en tant que symbole a été sorti d'une école de pratique et de pensée ésotériques. Il vient de l'école d'Ichazo, il vient de l'école de Gurdjieff et son origine historique est mystérieuse. En lui-même, c'est un symbole unique extrêmement puissant qui décrit avec une grande clarté certains processus psychologiques, énergétiques et spirituels. Il a été sorti d'une plus grande école de pratique et je constate que tous les principaux enseignants de l'Ennéagramme le connectent à des méthodes psychologiques et spirituelles qui sont efficaces pour eux.
On ne peut pas dire que le Myer-Briggs est une psychologie qui fonctionne par elle-même ; elle est issue de la psychologie analytique de Carl Jung. De la même manière, l'Ennéagramme a besoin d'être remis dans le contexte de la pratique transpersonnelle.
JL : Nous pouvons le faire de deux façons. Une consiste à adapter l'Ennéagramme à d'autres systèmes et l'autre est d'étudier les autres systèmes et de les relier à l'Ennéagramme. Les deux voies seront vraisemblablement explorées. Je trouve satisfaisant de relier n'importe quel système à l'Ennéagramme et de regarder de quelle manière l'Ennéagramme enrichit ce système. Cela marche tout aussi bien de l'autre manière, lorsqu'on introduit un autre système qui enrichit notre compréhension de l'Ennéagramme. Dans tous les cas, c'est une situation gagnant-gagnant, parce que rien n'est perdu et les deux systèmes sont enrichis.
MK : L'Ennéagramme est une carte, c'est aussi simple que ça. C'est une carte qui nous rend capables d'explorer notre réalité intérieure d'une manière qui aurait été très difficile sans la clairvoyance qu'il nous apporte.
JL : Oui, il nous dit où se trouve l'île au trésor mais il n'est pas le bateau qui nous y mène.
MK : Je considère l'Ennéagramme comme un archétype. Cet archétype est apparu historiquement de nombreuses fois et chaque fois qu'il est apparu, il a pris une tournure différente, une forme différente adaptée à la culture et à l'époque. Il était différent pour Gurdjieff et pour Ichazo, et il était différent pour les Pères du Désert, pour les Soufis et pour Pythagore. Il a intégré notre culture comme un archétype faisant sens pour l'occident, sous la forme d'une typologie des personnalités compatible avec la psychologie occidentale. Mon vrai domaine d'intérêt est le développement d'une psychologie transpersonnelle intégrale qui puisse servir de moyen d'auto-réalisation. L'Ennéagramme est un excellent moyen de présenter le noyau mystique qui habite dans le cœur de toutes les traditions de sagesse, d'une manière non sectaire et non dogmatique que les Occidentaux peuvent comprendre et adopter.
À suivre… le mois prochain
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