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Sur la piste du Soi insaisissable
Bruce Love (Traduction par Alexandra Jacquemart)

Je pense que ce qui peut rendre l'histoire de ma quête intéressante pour les autres est probablement l'approche particulière que j'ai développée, approche fondée sur le travail de deux maîtres de la guérison, l'un vivant et l'autre décédé, et qui n'ont, à mon avis, pas été appréciés à leur juste valeur. Comme la nature ternaire de l'Ennéagramme, ma quête pour me connaître tourne autour de trois éléments principaux : une description magistrale de la personnalité, une manière compatissante et pragmatique de se comprendre en partant de l'expérience quotidienne et le développement d'une confiance dans ma capacité à traverser les obstacles et les défenses qui me bloquaient pour arriver à une compréhension claire et profonde de mon caractère et de moi-même.

Le premier élément devait venir de Claudio Naranjo et de son travail fondateur, Character and Neurosis. J'y ai trouvé la profondeur et certainement la précision et la force dont j'avais besoin, et bien que d'autres connaissances déterminantes soient venues de ses autres enseignements et de son contact direct, c'est ce livre qui a été à l'origine du développement de mon travail sur moi. De maintes façons, l'histoire de ma recherche vers une connaissance de soi est l'histoire de ma relation avec ce livre et j'espère montrer dans les paragraphes qui suivent le genre d'effet qu'une bonne lecture de son livre peut avoir sur une âme affamée de connaissance.

Le deuxième élément devait venir de la psychanalyste rebelle, Karen Horney, et plus précisément de son livre, L'auto-analyse. Son travail m'a fourni le cadre et l'aide dont j'avais besoin pour orienter l'expression magistrale de Naranjo sur le caractère vers un processus personnel mettant en lumière mes traits de caractère et mes motivations cachés. En fait, il a fait bien plus que ce que je ne demandais ; il m'a fait voir à quel point ma façon conditionnée d'être avait imprégné ma vie présente et passée et m'a permis d'intégrer cette compréhension pour vivre d'une façon plus consciente.

Le troisième élément a été d'apprendre la confiance et l'assurance me permettant non seulement "d'y aller seul" et d'affronter une frustration continuelle, mais aussi me donnant l'encouragement et l'appréciation dont j'avais désespérément besoin. En fin de compte, cela m'a donné les ressources pour adapter ce que j'avais appris de mes deux sources d'inspiration et pour compter sur moi-même dans la lutte contre mes démons afin de voir enfin la réalité. En fait, être contrôlé par mon type m'empêchait de m'ouvrir aux autres et à leurs enseignements et causait une perception plutôt dure de moi-même et du monde. Bien que j'avais besoin de la connaissance et de l'opinion des autres, c'était en ayant confiance en moi et en ma propre autorité que j'ai pu suivre à la trace et trouver mon ego insaisissable.

Mon voyage a commencé, comme beaucoup d'autres, avec un des nombreux livres disponibles sur l'Ennéagramme aujourd'hui. Après l'avoir feuilleté, il a semblé que le 3 "marchait" peut-être pour moi. Pas vraiment convaincu pourtant, je suis allé voir un formateur et ai insisté pour qu'il me dise mon type ; il m'a catalogué 9. C'est ainsi que j'ai d'abord été sujet à l'influence corrosive de l'opinion de l'autre. Au cours des quelques mois qui ont suivi, j'ai enchaîné les stages, "essayé" les différents types et trouvé qu'aucun ne me convenait. J'ai ensuite découvert que j'avais eu une forte réaction négative face à une femme qui déclarait être 6. J'ai senti qu'il y avait là quelque chose d'important et j'ai donc "adopté" ce type. Lors de plusieurs sessions de formation d'une semaine quelques mois plus tard, tout le monde semblait à l'aise avec mon type 6 (à part moi bien sûr) et lorsque j'ai dit à mes formateurs que je sentais que ce type ne me convenait pas après tout, ils m'ont déclaré platement que j'étais vraiment un 6 et que je n'arrivais juste pas à le voir.

À propos de ce stage, un autre formateur, apparemment plus perspicace, a suggéré que j'étais un 3 (oh non !) et je suis reparti dans ma recherche en étant par la suite typé 2 puis 1. Même ma femme, la personne qui me connaît probablement le mieux avec ma mère, s'y mettait. Elle disait que je tenais beaucoup de mon père, un homme qui était clairement 8. Il m'a semblé que j'étais tout et rien ! C'était suffisant pour faire en sorte que je veuille jeter l'éponge. Pourtant j'approchais les 60 ans et je sentais que c'était ma dernière chance de casser mon ignorance à propos de moi-même. Mais malgré tous les livres et les conférences, les groupes et les séminaires de formation, les listes de discussions et les e-mails, rien ne semblait m'aider à résoudre cette énigme.

Pendant cette "période de changement de type", j'étais aveuglément engagé dans la recherche d'une autorité fiable, de quelqu'un qui puisse me guider à travers cette mer agitée de confusion des types et des structures de personnalité. Chaque auteur semblait avoir son point de vue sur le sujet et je sentais que j'avais besoin d'une voix solide et sérieuse pour m'orienter à travers toutes ces différentes nuances de sens entre les noms variés et les descriptions, les ressemblances de trait de caractère et de type, la compréhension de la manière dont un trait de caractère apparaît dans plus d'un type, comment des sous-types opposés pouvaient faire des choses follement compliquées, et même, de temps en temps, les traits trompeurs trouvés dans les ailes et les points d'intégration et désintégration.

J'avais clairement besoin d'une ancre pour stabiliser les choses pendant que je travaillais sur l'énigme ! Parce que je ne pouvais pas faire de progrès pendant que j'étais dans les sables mouvants des voix contradictoires et des clameurs des différents points de vue. J'avais besoin de m'appuyer sur un formateur et un enseignement qui pourraient satisfaire ce qui était devenu une longue liste d'exigences : certitude et profondeur, force et subtilité, spécificité et compréhension, symétrie et humanisme, science et spiritualité, mise en relation avec d'autres systèmes de personnalité et, peut-être le plus important, originalité.

Quelle liste ! Et dans Character and Neurosis, le livre de Claudio Naranjo, il m'a semblé que j'avais enfin trouvé ce dont j'avais besoin. J'ai su immédiatement que c'était ce que je cherchais : l'œuvre maîtresse, le code secret, les manuscrits de la Mer Morte de nos voies névrotiques. Comme je l'ai appris plus tard, le Dr Naranjo a encore plus de sagesse à donner que ce qui est dans Character and Neurosis. J'ai acquis plus de perspicacité et de connaissance de ses séminaires, de sa manière directe et ouverte d'être avec toi en tant que personne, et de ses autres livres. En particulier, ses enseignements sur les sous-types instinctifs ont été cruciaux pour ma compréhension de la personnalité en général et de la mienne plus précisément.

Mais ce livre était formidable. Pour en être à la hauteur, je sentais que j'avais besoin d'apporter une grande exigence à sa lecture, à la mission de maîtriser ses mots, car il semblait requérir ce genre de pouvoir et de force. Si je faisais cet effort avec succès, je m'attendais à y trouver tout ce dont j'avais besoin pour posséder le secret de l'âme humaine. J'étais prêt à me sacrifier à la tâche parce que la récompense le valait. Là, sûrement, était ce que je devais savoir, puisque je croyais vraiment qu'il y avait une réponse claire et irrévocable sur qui nous étions. J'espérais que dans Character and Neurosis, je puisse découvrir la sagesse sur la substance rigide bien que dynamique de la nature humaine, sur la structure de la personnalité simple et directe et en même temps incroyablement complexe et subtile. Ici, un individu conditionné pouvait découvrir son Moi caché, qu'il soit sain et adapté, ou influencé par ses prédécesseurs ou des drames, qu'il soit défendu ou qu'il résiste contre de brillants mensonges, des distractions habiles et des compromis décourageants.

Bien qu'il y eût beaucoup à apprendre de l'avant-propos et de l'introduction, le cœur du livre et la réponse à mon ego insaisissable semblaient reposer dans les chapitres sur chaque ennéatype qui débutaient par une introduction terriblement tentante sur la passion de chaque profil. Immédiatement, j'étais ramené à la signification originelle des mots utilisés pour décrire les impulsions émotionnelles dominantes : Colère, Paresse, Orgueil, Avarice, Gourmandise… Comme je devais le comprendre plus tard, Naranjo n'a pas seulement utilisé le ton juste pour décrire la vraie nature de nos poisons constitutionnels ; il a fait une avancée considérable sur les descriptions originelles d'Oscar Ichazo en clarifiant par exemple la passion du 6 qui est la Peur, l'Anxiété et la Lâcheté plutôt que la timidité, en faisant de la Vanité et du Narcissisme (classique) la fixation du 3 à la place de la tromperie, en attribuant au 1 l'état plus exact du Ressentiment au lieu de la Colère, et en améliorant la Nonchalance avec l'état plus complexe de Paresse pour capturer la motivation du 9.

Ces contributions apportent la précision et la profondeur nécessaires à cet aspect fondamental et important du caractère, révélant le côté passif de chaque être conditionné : dans la manière de vivre du 3 envahissante aux yeux des autres et dans son image au service d'un besoin névrotique d'attention et d'appréciation, dans l'inquiétude, l'appréhension et le souci constants du 6 à propos de ce qui pourrait arriver et son anxiété qui coexiste avec un besoin névrotique de solidité et de sécurité, dans l'oubli de soi continu du 9, sa déconnexion et son aveuglement qui se conjuguent avec un besoin névrotique pour une paix et une stabilité autant intérieures qu'extérieures. Et les états conditionnés des autres types paraissaient encore plus étranges et horribles : l'avidité effrontée du 8 à mettre de la vie dans un engourdissement intérieur, le refus réfléchi de vivre du 5 en se retenant et en résistant, le besoin profond du 4 de mettre du bon dans un mal intérieur. L'état émotionnel du 1 semble spécialement ironique, que tant de vertu doive être accompagnée par tant de mal et de destruction. Mais même les types "plus légers" souffraient : le 2 et le 7 puisque leurs états émotionnels plus agréables menaient à des vies fausses et finalement insatisfaites et non réalisées.

Peut-être que la contribution de Naranjo à la clarification des déformations cognitives des types, un espace dans lequel il a posé de nouvelles fondations, est encore meilleure que son travail original sur les passions. Se démarquant d'Ichazo, il a compris nos fixations mentales de manière plus irrévocable et finalement plus utile pour la reconnaissance et la guérison. Cela peut clairement être vu dans l'Accusation et l'Évitement de la responsabilité et de la culpabilité du 6 (au lieu de la Lâcheté), dans le Perfectionnisme du 1 (au lieu du Ressentiment), dans le Mensonge du 3 (au lieu de la Tromperie ou de la Vanité), dans le Détachement du 5 (au lieu de l'Avarice) et dans le Charlatanisme du 7 (au lieu de la Planification). Toutes ces contreparties cognitives de la passion spécifique de chaque type affectent de manière négative les relations d'un individu avec lui-même et avec les autres (par exemple auto-accusation et accusation des autres, perfection de soi et celle des autres, etc.).

Alors que le travail du Dr Naranjo sur l'éclaircissement pour chaque type des traits de caractère dominants et de leurs relations est d'une signification importante et originale et représenter le principal "système à rayons X" pour reconnaître un type (en plus de l'expression instinctive), peut-être que sa plus grande contribution en termes d'ajout d'un tout nouvel aspect à cette "science de la personnalité" est son attribution à chaque type du mécanisme de défense le plus pertinent. Cette avancée est clairement vue dans la compréhension de la manière dont le 9 maintient son genre unique d'aveuglement à travers une opération trouble de narcotisation et de déviation, dans l'appréciation de la résistance rusée et sournoise du 8 à voir la vérité sur lui-même via le déni, la contre-répression et la désensibilisation et dans la reconnaissance de la façon dont le 3 maintient son inconscience de sa pauvreté intérieure à travers les faux effets auto-renforçants positifs de l'identification, de la rationalisation et de la négation.

Il y a d'autres aspects importants dans Character and Neurosis, mais puisqu'ils n'ont pas joué un rôle critique dans mon voyage, je ne les noterai ici que brièvement. Il y a notamment une perspective sur les étiologies particulières des neuf types et les comparaisons de chaque type aux caractérisations psychanalytiques. J'étais spécialement admiratif des explications des types de Jung et de la manière dont ils évoluaient parmi les types de l'Ennéagramme. Chaque chapitre sur un type finit avec justesse sur les psychodynamiques existentielles ou sur comment chaque type passe par un cycle périlleux d'auto-interférence et d'auto-futilité. Cet aspect est central dans le travail du Dr Naranjo et est une contribution majeure à la compréhension de la nature auto-frustrante d'une personnalité conditionnée. En effet, c'est dans ce mécanisme qu'on est confronté au prix unique et terrible que chaque type paye pour assurer la sécurité de sa personnalité et au fait qu'une personnalité conditionnée sert à perpétuer les défectuosités et est vouée à l'échec.

Bien qu'à cette étape, je n'appréciais pas à leur juste valeur le rôle de pionnier du Dr Naranjo ou le vaste travail qui l'avait précédé, je savais qu'il satisfaisait ma longue liste d'exigences criantes et je pouvais sentir qu'il contenait la clé de la compréhension de moi-même et des autres. Mais il y a eu deux obstacles sur mon chemin. L'un était que cette connaissance semblait être disponible à un prix élevé, que peut-être ce livre profond et solide était peut-être trop profond et trop solide. Je n'ai pas pu m'empêcher de me sentir perturbé devant ce qui me semblait la nature terriblement sombre et tragique de ces façons d'être et de me demander si nos natures de base étaient réellement si sinistres et désespérées.

Et nos bonnes actions, nos fines pensées et nos sentiments idéalistes ? Est-ce que la plupart d'entre nous ne vivons pas des vies plutôt décentes ? Mais dans ce livre, il ne semble pas y avoir de répit ; le Dr Naranjo nous emmenait au cœur de l'Enfer de Dante et une fois arrivés, il a semblé que Dieu nous ait abandonnés. Je me suis demandé si ce chaman latin, qui avait travaillé avec Perls et Ichazo, qui priait avec les Indiens d'Amazonie et les Soufis, pouvait réellement être le porteur de la lumière dont il suggérait qu'elle était accessible par une plus grande conscience de ces traits de caractère. Je me suis demandé s'il serait possible d'avancer en acceptant ce marché diabolique, parce qu'il me semblait que j'étais moins capable de me reconnaître dans ces portraits sinistres que dans les descriptions plus légères des personnalités habituellement disponibles sur le "marché de l'Ennéagramme".

Cette acceptation cruelle devait être le prochain tournant de mon voyage. Mais d'abord, j'ai couru loin de ce livre et de ce qu'il disait. Je suis revenu aux autres formateurs, j'ai cherché du répit dans leur manière plus amicale, plus confortable de décrire qui nous sommes. C'était plus facile et il m'a semblé que je rentrais au bercail. Mais il s'est avéré qu'il était trop tard pour cela et après plusieurs faux départs et détours, j'ai décidé de rester avec mon Virgile et de revenir au livre de Naranjo avec encore plus de détermination. Je tiendrais bon, j'accepterais sa vision sombre et j'espérerais la transcender. Peut-être qu'il y avait quelque chose dans sa vision du monde qui attirait la part la plus pessimiste de moi. Ou peut-être qu'il y avait ce sentiment de défi, qu'il y avait là quelque chose de vraiment difficile, quelque chose qui valait réellement la peine d'être conquis et donc qui valait la peine qu'on s'y attarde pour la surmonter.

Mais un autre obstacle à la connaissance de Soi, plus grand encore, reposait en moi : un désir fort et non reconnu de devenir un expert de ce travail et de la force de ses vérités voilées, une urgence secrète d'être plus grand que le reste, plus grand que la vie ordinaire. Si je pouvais décoder cette énigme, si je pouvais atteindre les profondeurs de la connaissance nécessaire dans cet effort, je serais capable de réussir ce que je voulais. Cette compulsion a fait surface dans un dicton que j'ai commencé à communiquer, d'abord à moi-même puis plus tard aux autres : "Personne ne peut prétendre comprendre l'Ennéagramme, encore moins l'enseigner, à moins qu'il ne comprenne complètement le livre de Naranjo dans son énorme étendue, ses profondeurs insondables et sa subtilité extraordinairement éclairante." Que de beaux mots ! Et un grand défi à s'élever au-dessus du fumier.

Après plusieurs raids dans l'Enfer moderne de Dante, avec comme guide mon Virgile chilien souriant qui me faisait des clins d'œil (parce que c'était comme ça que je l'imaginais avant qu'on ne se rencontre), j'ai trébuché et je me suis perdu. Le livre était clair mais également inflexible, riche et intelligent et je n'étais pas encore réellement capable de le comprendre. Je tombais occasionnellement par hasard sur des pépites brillantes et je les cachais dans mon sac. Mais lorsque j'en cherchais la source, tout était sombre et mystérieux. Plus je me battais, plus les choses paraissaient dispersées, désorganisées, chaotiques. Je ne pouvais pas prendre pied, je ne trouvais pas m'accrocher à quelque chose. Et donc j'ai découvert que je ne pouvais pas satisfaire mes propres standards et que je ne pouvais pas répondre à mes propres ordres. Quelle vanité de penser que moi qui en savais réellement si peu, je puisse faire partie de ceux qui pouvaient répondre à ces injonctions !

Mais empli de mes illusions puissantes et ma détermination d'acier, j'ai persévéré, continuant la bataille pour sonder les profondeurs du livre et donner un sens à ses enseignements. J'ai lu et annoté, extrait, organisé, résumé dans des tableaux, des calepins, des classeurs, jusqu'à ce que la véritable taille de l'effort m'épuise et que le poids incroyable de mes notes ne rende impossible toute compréhension réelle. Mais malgré une compréhension provisoire de l'essentiel du caractère du livre du Dr Naranjo, je ne me connaissais toujours pas moi-même. Et dans d'autres moments de ma vie, j'ai continué à réagir aveuglément avec colère et haine. J'ai jugé et condamné sans raison ni compassion. J'étais soucieux de l'approbation et de l'admiration. Mes capacités d'amour et d'empathie semblaient maigres par rapport à mon égoïsme et mon ambition. Je croyais ardemment que pour quitter cet Enfer, je devais d'abord voir quelque chose à propos de moi-même, quelque chose de vrai à la fois sur le moment et à travers ma vie, je croyais que rien ne pouvait avancer jusqu'à ce que je parvienne à un degré suffisant de conscience de soi, mais j'étais incapable d'aller de l'avant. Pourquoi rien ne se passait malgré mes efforts considérables ?

Par la suite, j'ai réalisé que je n'avais pas abordé le travail avec la bonne attitude et la bonne attention. Je ne l'avais pas approché ouvertement et directement, préférant à la place de la communion directe, la maîtrise, la logique et l'énergie. J'étais coupable de gourmandise et d'orgueil, craintif d'une vraie connexion. Je voulais acquérir des idées fortes qui entraient nettement dans des boîtes carrées pour que je puisse aller plus loin et gagner. Je cherchais un échange : je creusais dans la mine d'or et le livre fournissait des pépites de 24 carats. Je demandais beaucoup à Character and Neurosis mais il semblait aussi me demander quelque chose. Je n'avais pas compris que cette "rencontre" avait besoin d'être un échange d'intention partagée de grandir et d'évoluer, qu'interagir avec le livre du Dr Naranjo signifiait avoir une conversation affectueuse à propos du cœur et de l'esprit humains.

Bien que j'étais certain d'avoir réduit la liste des possibilités à deux, voire trois, types avec ma méthode habituelle de travail de l'époque, j'étais complètement coincé. Je me consumais de frustration et de désespoir. Non seulement, je n'arrivais pas à maîtriser le livre de Naranjo, mais je restais toujours aussi indécis à propos de mon type, le but le plus important de tous. N'étais-je pas prêt à voir, pas assez mûr, comme il le demande au lecteur plus tard dans le livre ? Ou y avait-il d'autres raisons, quelque chose à propos de moi ou de mon type ? Proche de l'abandon complet, j'ai décidé que j'avais besoin d'une approche totalement nouvelle de ce que j'étais en train de faire. Et qu'est-ce que je faisais exactement, en plus de créer des tableaux, l'un après l'autre, des listes, l'une après l'autre ? Attendre l'inspiration de la découverte, je suppose, comme je poursuivais l'exégèse que je m'imposais. Mais mes tableaux n'avaient pas la réalité, ni l'énergie de la vie ; à leurs bords tranchés manquaient la vitalité et le chaos de la simple interaction avec une autre personne.

Comment pouvais-je les rassembler ? Apparemment pas en comparant ce que je pensais être à une liste de traits de caractère, ni en confrontant mon comportement à quelques actions-types exprimées par tel ou tel profil, ni en mettant en corrélation mes sentiments à tel ou tel ennéatype. Je demandais : est-ce que ma colère est celle du 1, le lien du 2 au 8, ou la vanité frustrée du 3 ? Est-ce que mon inquiétude est l'anxiété de conservation du 1, le souci de plaire du 2 ou celle du 3 surmené ? Toutes ces comparaisons et ces mises en relation et explications ne me menaient nulle part. Chaque fois que je m'interrogeais, j'obtenais des réponses floues ou différentes, ou de temps en temps j'oscillais entre les réponses et je pensais que je tournais en rond. Je savais que je ne connaissais pas mon type, mais il me semblait qu'il y avait autre chose d'important que je ne connaissais pas. Est-ce que j'étais en train de suivre ma propre route ?

Et c'est alors qu'est arrivé le prochain tournant important dans mon travail de découverte de moi-même, quelque chose d'inspiré de Character and Neurosis. Je me suis tourné vers l'une des sources d'inspiration de Naranjo, Karen Horney, et vers son approche des besoins névrotiques et de l'auto-analyse. Avec L'auto-analyse, le Dr Horney m'a emmené dans un genre de voyage de découverte entièrement différent, celui d'un patient aidé par la psychanalyse mais aussi un processus qui semblait donner les moyens de travailler seul. Après avoir lutté en vain pour essayer de faire correspondre mes tendances névrotiques aux types de l'Ennéagramme, la véritable solution semblait résider dans les règles et le cadre qu'elle proposait pour travailler sur soi à partir des réalités de la vie quotidienne. Cette approche développe la capacité à être plus conscient de soi dans différents types d'expériences significatives et poursuit avec l'association libre de nos réactions à d'autres expériences. Ensemble, elles donnent une fondation solide à une forme pénétrante d'analyse pour découvrir les schémas sous-jacents constants dans le temps et qui doivent être une expression de traits de caractère et d'intentions ou les traits actuels et les intentions elles-mêmes.

Haha ! J'avais pris les choses à l'envers en cherchant à associer un modèle théorique à un sens de moi-même et de mes proches tout aussi abstrait (et donc totalement vulnérable aux effets déformants de mon image de moi, de mes émotions conditionnées et de mes pensées). Ici il y avait des moyens pour enregistrer et comprendre objectivement ce que je faisais, disais et ressentais réellement et pour utiliser cette observation comme base de détermination de mon type. Ici il y avait une approche qui satisfaisait mon désir de travailler seul (libre des distractions et des déformations des autres, même si elles étaient sensées) et qui tirait avantage de ma détermination et de ma capacité au développement autodirigé. Cette approche exigeait aussi que je me donne l'aide, la patience et l'encouragement dont j'avais besoin et qui me manquaient très clairement.

Malgré cette sensation de désespoir d'avoir à "recommencer" ressentie de nombreuses fois, j'ai poursuivi cette approche de connaissance de soi en accumulant une quantité non négligeable d'expériences de vie significatives et d'associations, tout en apprenant à utiliser l'expression magistrale de caractère du Dr Naranjo vers un processus personnel de travail sur soi. Avec mes deux guides, j'ai commencé à voir que j'étais désespérément coincé dans une impasse pleine de théories et d'analyses, certes riches et vraies, mais que je n'avais pas été capable de relier à ma vie. J'ai réalisé que j'étais devenu la proie des opinions des autres et d'une approche sur-intellectuelle, cherchant des réponses avant de chercher des faits. Tous mes tableaux étaient nets et rangés dans l'ordre autour de moi, mais jusqu'à présent ils n'avaient pas été vivants avec une vraie conscience et une vraie compréhension.

L'approche de Horney n'a pas seulement fourni des explications très poussées aux actions et réactions observées chez moi, c'est-à-dire les traits, défenses et intentions à l'œuvre ; elle a créé, en tandem avec les enseignements de Naranjo, les fondations qui me permettent d'explorer les impacts et les conséquences de ma personnalité sur ma vie passée et présente. Dans les derniers stages de ce processus d'évolution, j'ai découvert de plus qu'il contenait le moyen d'approfondir cette compréhension de soi grandissante pour atteindre le cœur de ma personnalité, pour intégrer mes nombreuses sous-personnalités (ou sous-types instinctifs) en conflit les unes avec les autres, et pour m'aider à mieux comprendre les origines de ma personnalité. Ce processus me sert désormais de base pour absorber et intégrer cette meilleure connaissance de soi et pour encourager une plus grande acceptation et une plus grande compassion de soi. En faisant ainsi, je pouvais espérer avoir dans ma vie une conscience de moi plus complète.

En relativement peu de temps, j'ai commencé à me voir plus clairement, à comprendre ce que ça signifiait d'avoir une personnalité et d'apprécier son emprise sur ma vie, spécialement ses diverses manifestations, origines, conséquences et même sa valeur. J'ai commencé à voir comment les diverses facettes de ma personnalité jouaient sur mon travail, ma vie amoureuse, avec mes amis et ma famille, et dans le monde en général, comment elles me guidaient et me limitaient, comment elles fournissaient de la sécurité et aussi de la monotonie et du désespoir. De manière tout aussi importante, je suis devenu conscient de mes résistances, j'ai vu les pièges astucieux que j'installais, les mensonges que je me faisais à moi-même, les inhibitions et les échappatoires rusées que je fabriquais. J'ai remarqué aussi cette façon constante de se blâmer et de se déprécier, mon don pour arriver à des réponses fausses, les ombres jetées sur la vérité et les compromissions, et la capacité à oublier les expériences significatives et les découvertes sur soi. Et avec une ironie grandissante, je suis devenu conscient des nombreux faux pas que j'avais faits, les conclusions prématurées, les savoirs superficiels et partiels, la précipitation à accepter un type, la condamnation de certains profils (comme si certains étaient mieux que d'autres !), les ruées sur le jugement, le passage d'une stratégie de guérison à l'autre, bref tous les faux progrès qui ne menaient qu'à un emprisonnement plus fort.

Au fur et à mesure que je m'observais de plus en plus, j'ai commencé à réaliser que cette vision n'avait pas besoin d'être si compliquée, que cette anxiété que je sentais dans mon corps (quand je faisais l'effort de la remarquer) était un état constant et normal lié à un certain sentiment de crainte, fondamental et néanmoins nié, que cette peur que je ressentais habituellement et exprimais trop souvent était une réaction de défense aux menaces et au chaos et me donnait un moyen de garder le contrôle (renforcé dans mon enfance par le fait que j'étais la cible de la colère de mon père et de sa nature contrôlante), que mes jugements acerbes sur moi-même et les autres étaient en fait un moyen d'alléger une sensation illogique de sur-responsabilité et un blâme constant créé pour éviter la culpabilité, et que ma recherche pour la bonne réponse définitive aux choses était liée à mon besoin d'une grande autorité, d'un dieu infaillible qui sait tout. Même si j'avais encore besoin de l'aide des enseignements de Naranjo sur les sous-types instinctifs (puisque les autres sous-types, bien que vrais de temps en temps, me paraissaient très souvent aussi étrangers qu'un autre type, spécialement celui de conservation), j'en étais à un point où j'étais capable de suivre finalement à la trace et d'observer mon ego fuyant et caché (et certains diraient faux) : le contrephobique de sous-type sexuel.

Mes réactions premières à ce succès tant attendu ont été à la fois attendues et surprenantes. Elles étaient attendues dans le fait qu'il y avait des éléments pour ressentir la vérité de cette réalité auparavant et que d'autres l'avaient apparemment perçue. C'était horrible et plus je la voyais, plus c'était horrible. Je n'aimais pas être un 6. Mais l'aspect surprenant était que je ne me sentais pas spécialement transporté de joie par mon triomphe, que c'était venu en réalisant que, comme les autres, j'avais un ennéatype et que j'étais en quelque sorte moins spécial et plus ordinaire que je le croyais. En fait, j'ai découvert à mon désarroi et à mon grand embarras que je n'aimais pas avoir un type ! Tout semblait désormais plus plat, plus terne. Alors que je croyais et crois toujours (enfin une certitude !) à la vérité de ce que j'avais découvert à propos de moi-même, les choses me semblaient également grises, ennuyeuses, presque désespérantes. Comme le dit la chanson, "Est-ce tout ce qu'il y a ?"

Mais comme le vieux drame s'atténuait doucement en moi, comme le sentiment de combat à mort dont j'avais entouré mon besoin de savoir et de conquête commençait à s'affaiblir, et avec lui le désir névrotique de faire de "grandes choses", ces sentiments sombres se sont changés en un optimisme calme. Grâce à mes deux guides, j'étais comme à la moitié de mon parcours, pas si aveugle à ma cécité, pas si inconscient de mon inconscience. Il y a même une sensation de justesse (presque de plaisir) sur le fait de savoir que je suis une personne presque automatique, que je vis d'une manière qui ne me laisse ni satisfait ni fier, que je suis paresseux, anxieux, colérique, égoïste, craintif, fier, irritable, exigeant, futile, que je suis gourmand et inconsidéré, absorbé par moi-même, et intéressé avant tout à ma propre gloire.

La bonne nouvelle est que maintenant je sais cela, certes pas tout le temps, certes pas toujours sur le moment, mais quelques fois et après. J'apprécie presque de voir l'arrivée toujours surprenante chaque matin de ma passion, ou plus habituellement d'une de ses manifestations déguisées, comme si elle cherchait à prendre les rennes de ma journée, particulièrement pour les choses les plus importantes. Alors que je suis loin du paradis de libération, d'abondance et d'amour du Dr Naranjo et loin aussi du but du Dr Horney d'être conscient et libre de toute névrose, je me sens comme sur les plus basses pentes du Purgatoire et comme si ma Béatrice m'attendait patiemment pour me faire entrer dans un endroit que je ne peux imaginer. Que cela arrive ou non me semble moins important qu'avant.

En conclusion de mon histoire hésitante, j'aimerais dire que malgré ma demande initiale au Dr Naranjo et à son livre d'une réponse claire et définitive à savoir qui nous sommes, j'en suis arrivé à apprécier le fait que personne n'a toutes les réponses, que chacun de nous peut uniquement apporter son talent unique et sa perspective à cette grande aventure. À mon avis, Claudio Naranjo n'est pas seulement unique et talentueux, mais il est aussi un génie spécial dont les qualités illuminent son travail et ses relations avec les autres, et qui s'assoit sur les épaules des anciens maîtres de la guérison et de la personnalité. J'ai appris par ma propre expérience que la bonne lecture de son livre offre un réel espoir de croissance et de conscience personnelles, et au-delà, de capacité à offrir de la compassion à soi et aux autres.

Je pense aussi que bien que des gens différents, influencés par leur type, puissent avoir besoin d'approches différentes sur le travail de connaissance de soi, l'approche du Dr Horney mérite l'attention de la plupart d'entre nous. Contrairement à ce que je croyais au début, sa valeur ne réside pas uniquement dans son aide à la découverte de votre type. J'ai vraiment commencé à réaliser que vous connaître vous-même signifie beaucoup plus que cela. Son approche concerne la connaissance de soi et l'impact de votre personnalité sur votre vie entière. Elle concerne le fait d'être conscient de ce que vous faites et comment vous vous sentez et pensez. Elle signifie savoir pourquoi vous vous exprimez de la manière dont vous le faites en raison de vos intentions sous-jacentes. De ce point de vue, la vraie connaissance de soi signifie comprendre pourquoi votre vie est ce qu'elle est, pourquoi vous avez fait les choix que vous avez faits (ou pas faits), pourquoi vous avez agi et ressenti de cette manière, et comment vos mécanismes ne sont pas seulement une part du tout, mais sont constants dans le temps (même si vous semblez vous contredire et agir de façons incompatibles).

Elle signifie, comme je l'ai appris douloureusement, accepter vos points communs avec le reste de l'humanité, tout en honorant votre côté unique. Et elle signifie intégrer ces parts révélées (et pas si admirables) de vous-même dans une façon consciente de vivre. L'approche pragmatique et compatissante de Karen Horney combinée à la sagesse profonde et libératrice de Claudio Naranjo donne une manière d'atteindre cette connaissance active et activatrice de nous-mêmes.

De prochains articles, à paraître dans Enneagram Monthly, décriront l'approche sur la connaissance de soi par l'Ennéagramme que Bruce a développée pour son travail sur lui-même. Il est joignable par e-mail à cette adresse : Brucelov@pacbell.net.