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Une conversation avec Sandra Maitri (1e partie)
Jack Labanauskas (Traduction par Isabelle Goury)

Jack Labanauskas : En ce qui concerne l'Ennéagramme, votre orientation s'est-elle modifiée au cours de ces dernières années ? J'aimerais savoir s'il y a eu un changement, et si c'est le cas dans quelle direction.

Sandra Maitri : En ce qui concerne un changement d'objectif, l'essentiel est que faire des ateliers d'Ennéagramme autonomes ne me satisfait plus, surtout parce que je pense que les gens viennent à ces ateliers pour obtenir quelque chose que l'Ennéagramme à lui seul ne peut pas leur donner.

JL : Qu'entendez-vous par autonome ?

SM : Je veux dire un atelier centré principalement sur le contenu de l'Ennéagramme et qui n'a pas de contexte spirituel plus large. Ce qui n'a pas changé, c'est que je ressens toujours que l'Ennéagramme est un outil spirituel, et que bien qu'il puisse être utilisé pour beaucoup d'autres choses, dans le travail psychologique, les affaires, les problèmes personnels et d'autres choses de ce style, mon souci principal est d'aider les gens à se transformer. Je ne pense pas pouvoir faire cela efficacement au cours d'un atelier d'un week-end, de cinq jours ou même de dix jours, d'ailleurs. Par conséquent, j'ai décidé de démarrer un groupe de retraite, sur la durée, à l'intérieur duquel j'enseignerai l'Ennéagramme en tant que partie du travail spirituel. Je mettrai prochainement l'information sur mon site Web, mais mon idée est de démarrer un groupe vraiment ancré dans la spiritualité et qui travaillera avec l'Ennéagramme dans ce contexte.

JL : Faut-il être physiquement présent pour faire partie du groupe, ou peut-on participer par téléphone ou via Internet ?

SM : Oh non, il faut être présent physiquement sans aucun doute. Cela se passera ici dans le comté de Marin (au nord de San Francisco).

JL : Sera-t-il conçu de façon à accueillir des personnes qui ne sont pas de la région ?

SM : Il y aura trois retraites de cinq jours ou peut-être deux retraites d'une semaine, étalées sur l'année. Mon idée est de vraiment recevoir des gens qui veulent venir étudier avec moi, qu'ils viennent du pays tout entier ou du monde entier.

Je pense que les gens viennent à l'Ennéagramme en cherchant des réponses à des questions sur qui ils sont et en ayant très envie d'un changement. Les gens s'attendent à ce que l'information contenue dans l'Ennéagramme les transforme. Et d'habitude, ils sont profondément déçus, parce que l'information est intéressante, mais à moins qu'elle ne soit fondée sur une expérience directe, je ne pense pas qu'elle fasse grand-chose à qui que ce soit.

JL : Je suppose que pour beaucoup, l'Ennéagramme est un outil complémentaire à côté d'une pratique principale qu'ils pourraient déjà suivre. À ce titre, ils utilisent l'Ennéagramme pour plus de clarté, pour régler et mettre au point, pour garder les pieds sur terre, ou pour leur signaler des aspects et des obstacles en eux-mêmes qu'ils pourraient avoir négligés.

SM : Oui, je pense que c'est exact.

JL : Parliez-vous des gens qui viennent juste de s'engager, qui n'ont pas encore entrepris sérieusement un type de chemin spirituel quel qu'il soit, et qui pourraient être occupés par leur carrière ou leur famille ?

SM : Je trouve que les gens qui pensent avoir beaucoup d'expérience dans les pratiques spirituelles viennent aussi à l'Ennéagramme à la recherche de réponses intellectuelles. Donc, je ne pense pas que ce soit limité aux gens qui sont novices dans l'Ennéagramme.

JL : Bien sûr, tous ceux qui sont arrivés à une impasse dans leur propre pratique.

SM : Oui, mais assez souvent aussi, ceux qui ne sont pas exactement conscients d'en être arrivé là.

JL : Donc vous utilisez l'Ennéagramme comme une partie d'un système plus vaste, tout comme les Aricains qui eux aussi n'en font qu'une partie de ce qu'ils enseignent.

SM : C'est le genre de modèle au sein duquel j'ai appris l'Ennéagramme, et en fait c'est un modèle qui a du sens pour moi.

JL : Est-ce que cela ressemble à l'Approche Diamant ou au travail de Ridhwan ?

SM : Je vais certainement intégrer beaucoup de ce que j'ai appris et de ce que j'enseigne dans l'Approche Diamant, mais cela ne sera pas un groupe essentiellement Approche Diamant. Je vais inclure certaines pratiques comme le Qi Kong et d'autres pratiques corporelles, ainsi que beaucoup de méditation, en insistant sur le contexte relationnel de la spiritualité ; je vais faire appel à beaucoup de méthodes d'origines différentes dans ce groupe.

JL : Une forme particulière de méditation ?

SM : J'ai été formée comme enseignante en méditation vipassana et c'est ce que j'ai fait, ainsi qu'un certain nombre d'autres formes de méditation. Je pense que la méditation est vraiment importante et je pense que de longues périodes de méditation sont réellement importantes.

JL : Votre livre exprime très bien cette attitude. J'ai parlé à de nombreuses personnes qui sont intéressées par l'Ennéagramme, et ce que j'ai régulièrement entendu, c'est à quel point vos écrits sont appréciés, aussi bien par les nouveaux venus que par les vétérans. Je ne pourrais pas vous dire le nombre de fois où j'ai entendu : "J'ai lu tous les livres fondamentaux, mais c'est celui de Sandra Maitri qui m'a vraiment fait comprendre…" Apparemment votre livre semble avoir ce petit plus qui aide vraiment les gens à éclaircir les nombreuses questions qui les tenaillaient depuis si longtemps.

SM : Je suis flattée.

JL : Ce n'est pas de la vantardise si vous pouvez le faire.

SM : C'est vraiment agréable à entendre, je ne suis pas vraiment consciente de la façon dont je suis considérée par la communauté de l'Ennéagramme.

JL : Oui, c'est ce qu'on dit, mais peut-être encore plus significatif est ce qu'on ne dit pas. Je ne peux pas me souvenir au cours de ces années, d'un seul commentaire, encore moins d'une plainte, au sujet de votre style d'enseignement, votre honnêteté intellectuelle, votre sérieux ou même d'une pointe d'attitude intéressée.

SM : Je vous en suis reconnaissante.

JL : Je ne fais pas l'éloge de la "maîtrise" de la communauté de l'Ennéagramme, mais celui de votre réputation bien gagnée.

SM : Merci.

JL : Nous allons peut-être revenir sur un vieux sujet, mais il y a une chose qui remonte régulièrement à la surface : les gens vont et viennent, en long et en large, sur ce qu'ils pensent qu'est un type ou qu'est supposé être un type. L'accent semble varier, suivant l'auteur qu'ils ont lu, des habitudes et des comportements extérieurs, aux motivations sous-jacentes, ou à toute autre définition. Si je vous demandais de définir les neuf types de la façon la plus profonde et la plus essentielle que vous puissiez exprimer, qu'est ce que cela donnerait ?

SM : C'est une question difficile comme je suis sûre que vous le savez, parce que suivant mon expérience, les types sont en fait des gestalts, des hologrammes. Si on comprend correctement les neuf types, ils présentent une perspective très holistique du caractère et du style. Pour moi, chacun des neuf types d'ego est enraciné dans une vision fondamentalement déformée de la réalité. Tant que la personne est dans sa fixation, tant qu'elle s'identifie à la structure de sa personnalité, elle s'identifie à une perspective particulière qui est biaisée et à un style émotionnel particulier et spécifique de réactivité. La réactivité est la passion bien sûr, et cela plus la fixation, la vue déformée, conduit à des schémas mentaux, émotionnels et comportementaux très caractéristiques. Les gens sont coincés pour se typer correctement car ils ne sélectionnent qu'une caractéristique, parce qu'ils ont tendance à ne s'accrocher qu'à une seule chose ; par exemple ils supposeront qu'ils sont 6 parce qu'ils ont peur ou qu'ils font l'expérience de beaucoup d'anxiété. Mais bien sûr vous pourriez être un 1 conservation, un 1 anxiété, et faire l'expérience de beaucoup d'anxiété. Ou vous pourriez être un 4 ou un 2 faisant l'expérience de beaucoup d'anxiété au sujet de vos relations. Je pense que c'est difficile de résumer chacun des types en une seule ligne. On peut certainement dire que les 1 sont les perfectionnistes, les 2 les dépendants, les 3 les ennéatypes qui s'intéressent à leur image, les personnes efficaces de l'Ennéagramme, et ainsi de suite. Mais je pense que l'on perd beaucoup dans des caractérisations succinctes, et donc je suis donc un peu hésitante pour aller dans ce sens.

JL : Je cherchais en fait un angle différent de typage. Par exemple, quand j'ai lu pour la première fois des livres sur l'Ennéagramme, après qu'un ami m'en ait parlé en m'étiquetant immédiatement comme un 5, j'ai été d'accord.

SM : Hors de question.

JL : Bien sûr, je me rappelle des époques où je vivais comme un rat de bibliothèque parce que je n'avais rien de mieux à faire, et j'ai accepté cela comme une preuve. C'est bizarre toutes les preuves à côté desquelles on peut passer qui vont à l'encontre du type que l'on pense être. De façon évidente, je regardais principalement mon style de vie dans le passé ou comment je me sentais à l'intérieur. Je n'avais pas de nom, ni de définition pour distinguer plus finement ce qui se passait, sans parler de quelle passion me pilotait. Au cours des dix dernières années, j'ai acquis un respect nouveau pour la capacité de notre esprit à nous leurrer et à nous faire croire à toutes sortes de choses au sujet des autres et de nous-même. Sans donner de noms, certains lecteurs pourraient être plutôt surpris du nombre d'auteurs de livres sur l'Ennéagramme qui ont découvert qu'ils étaient d'un type différent de ce qu'ils pensaient être au moment où ils ont écrit leur livre. Et je parle ici de certains des étudiants les plus enthousiastes de l'Ennéagramme. C'est amusant comme cela arrive souvent à ceux qui ont un intérêt plus passager.

Au cours des dix dernières années, j'ai supposé que j'étais un 7 en regardant ma tendance intérieure à l'agitation, ma tendance à être dissipé, la facilité avec laquelle je passe d'une chose à l'autre, non tant par choix que par un sentiment intérieur d'urgence, le fait que je sois conduit à changer de direction après m'être concentré un certain temps sur quelque chose. Il y a une certaine impatience sous-jacente, une agitation que je ne sais pas comment nommer, mais là, je peux voir la gloutonnerie. C'est comme s'il y avait plusieurs réveils qui fonctionnaient en moi pour me rappeler, maintenant cette chose, maintenant cette autre qui est "à échéance" ; et je dois lâcher ce que je suis en train de faire et la prendre en charge, uniquement pour sauter ensuite sur la prochaine chose, puis sur la suivante.

C'est dur d'arrêter de penser à soi autrement que comme à un amas de caractéristiques.

SM : C'est exact, c'est pourquoi je dis que chacun des types est une gestalt.

JL : Un bon mot allemand qui signifie silhouette ou forme, dans le sens d'une apparition qui émerge de l'obscurité ou du brouillard, et soudain on peut voir ce que cela est. Comment l'utilisez-vous ?

SM : Je le comprends comme une totalité de caractéristiques. Ayant dit cela, chaque type a un ressenti très spécifique, quelque chose émerge qui est un peu difficile à décrire puisque c'est un sentiment ressenti. Je pense que c'est là que l'art du typage entre en jeu et je ne suis en aucune façon infaillible en cela.

Ou pour le dire autrement il y a une certaine saveur que j'essaie de sentir, comme quelle est la saveur de cette personne ? Quelle est la tonalité des sentiments que je ressens quand je suis en présence de cette personne ?

JL : Dans vos livres, vous décrivez ces saveurs extrêmement bien et en profondeur, mais pourriez-vous les parcourir de façon condensée en donnant une esquisse de paragraphe, en se concentrant uniquement sur les aspects les plus significatifs ?

SM : Bien sûr. J'aime commencer par le 9, parce que le 9 est la mère de tous les types de l'Ennéagramme, la phrase que j'ai adoptée au moment de la Guerre du Golfe qui avait lieu en même temps que j'écrivais mon premier livre ! Ce que je ressens avec les 9, c'est un détournement du soi. Une sorte d'effacement d'eux-mêmes et un assourdissement, un étouffement de leurs voix intérieures. Les 9 peuvent être très affairés à l'extérieur, ils peuvent paraître pas du tout paresseux, très actifs, mais quand je ressens l'activité, cela semble profondément dirigé vers l'extérieur, avec très peu de connexion à soi-même. Les activités extérieures d'un 9, je veux dire un 9 très fortement dans sa fixation, ont tendance à avoir les caractéristiques de quelqu'un qui se néglige, pas vraiment un abandon du soi, mais comme disparaître de l'image.

JL : Diriez-vous que certains 9 utilisent une forme d'hyperactivité comme moyen de s'oublier eux-mêmes.

SM : Oui. Donc, certains 9 peuvent être affairés, lançant des tas et des tas d'assiettes en l'air en même temps, et détournant leur attention de toute chose importante en eux-mêmes, alors que d'autres 9 peuvent être profondément inactifs.

Fondamentalement la tendance est l'inertie, donc il y a une difficulté à s'arrêter quand ils sont en train d'avancer, et à démarrer au départ. L'inertie a à voir avec la mise en avant de l'activité ou de l'inactivité, et avec la mise en retrait du soi.

JL : Comment reconnaître cela chez une personne ?

SM : Eh bien pour moi, c'est une tonalité de sentiment et je ne suis pas exactement sûre de savoir comment la définir ; c'est la sensation que cette personne se néglige, qu'elle n'est pas clairement centrée sur sa propre conscience.

JL : Comme si elle n'existait pas.

SM : Ce n'est pas tant qu'elle n'existe pas, mais plutôt qu'elle n'est pas importante, sans valeur, sans grand intérêt. Et cela est un postulat pour les 9, quelque chose qu'ils ne mettent pas en doute. Je ne suis pas spécial, je n'ai pas de valeur particulière et je ne suis pas particulièrement unique. C'est le niveau zéro pour un 9, le fond du problème.

JL : Serait-ce un sentiment de non-importance auquel n'est attachée aucune aigreur, colère ou envie ?

SM : Oui, exactement.

JL : Se sentir sans importance, avoir une mauvaise opinion de soi est commun aussi à d'autres types, mais d'une façon plus spécifique, plus passionnée.

SM : Exactement. Pour les 9 c'est un sentiment sous-jacent, simplement un sentiment accepté, considérant comme acquis sa propre non-importance.

JL : J'aime cette distinction. Cela les met vraiment à part.

SM : Oui, et avec le type 1 la qualité de sentiment que je ressens est ce qu'Ichazo définissait comme la passion de la colère, le fait de se placer face à la réalité ; il y a donc un sentiment de se dresser contre ce qui est, que ce soit de façon interne ou externe.

JL : Appelleriez-vous cela un sentiment de résistance plutôt que d'indignation ?

SM : Je dirais que c'est de la résistance plus de l'indignation. D'après mon expérience, la résistance en soi est plus une caractéristique des 4.

JL : Ah, une résistance qui entraîne la colère, un sentiment d'impatience, comme si on rongeait son frein.

SM : Exact, il y a une volonté de corriger ce qui est considéré comme une injustice dans ce que le 1 perçoit.

JL : D'accord, pas le type d'indignation, comme devenir furieux à cause d'une loi stupide qui est passée, ou se mettre en colère contre ces idiots de politiciens. Cela ne sonne pas comme la colère d'un 1 ?

SM : Non, cela ressemble plus à une colère de 8. C'est pourquoi les 8 sont des défenseurs ; des gens qui essaient d'obtenir justice.

JL : Des croisés pour la bienséance politique et autres choses de ce genre. Bon sang, peut-être que vous avez raison et j'ai une tendance 8, je vais devoir retourner à la case départ et vérifier.

SM : C'est ce que je suppose après vous avoir rencontré. Vous semblez bien trop énergique et substantiel pour être un 7.

Mais la colère du 1 a une tonalité de sentiment, un petit peu comme quand on sent un rat, ou que quelque chose de désagréable arrive, le sentiment que de la façon dont elles sont, les choses ne sont pas justes, un sentiment d'état critique ; cela serait probablement le meilleur sentiment caractéristique.

JL : Pas dans le sens du 4 qui voit que les choses vont de travers pour lui et qui pense que l'herbe est plus verte ailleurs ?

SM : Non, pas dans les termes de l'envie, mais juste une critique de ce qui est, une tentative pour améliorer les choses et pour les rectifier. Les 1 ont généralement un tranchant qui est souvent dirigé vers les autres à l'origine. Avec les 4, le sentiment que les choses clochent pour eux est très personnel.

JL : Cela fait plus penser à une dame victorienne avec sa tasse de thé, le petit doigt en l'air, toisant le butor ?

SM : Exactement.

JL : D'accord, cette image me donne une impression.

SM : En surface, les 2 sont très généreux, ils ont l'esprit de sacrifice, et cependant en même temps, ils attirent l'attention vers eux. Il y a cette tendance paradoxale, et une sorte de mensonge qui vient de l'aile 3, être si modeste et oublieux de soi-même, qui est la raison pour laquelle on peut confondre les 9 et les 2. Mais la différence réside chez les 2 dans l'orgueil, qui peut être manifeste ou caché, ce sentiment d'être spécial et de mériter une attention particulière. Il y a un sentiment d'attention exigeante et de besoin.

JL : Un 2 serait beaucoup plus facilement insulté qu'un 9.

SM : Oui, absolument.

JL : Donc l'orgueil s'accompagne d'une peau fine.

SM : Oui, spécialement en ce qui concerne le fait d'être négligé. Ne pas être apprécié, ne pas être aimé, ne pas être spécial. Spécial est le grand mot pour les 2. Ils se voient eux-mêmes, consciemment ou inconsciemment, comme plus spéciaux que les autres.

JL : Comment cela cadre-t-il avec le fait qu'ils acceptent ou plutôt choisissent de jouer le second rôle à côté de quelqu'un de puissant.

SM : Ils ont des difficultés à exprimer ouvertement leur désir d'être sous les projecteurs. Donc en général, le 2 essaie d'être indispensable à quelqu'un qui est sous les feux de la rampe. Mais le véritable défi pour le 2 est de reconnaître réellement son besoin d'être le centre, son propre centre, de se laisser réellement aller à faire cela, parce que cela lui est vraiment interdit. L'essentiel pour le 2 est ce sentiment de besoin, qui pour lui est souvent la chose la plus difficile à rendre consciente. Finalement, ce dont un 2 a le plus besoin est de sa propre attention.

JL : Bien sûr, si quelqu'un le lui faisait remarquer, cela le scandaliserait.

SM : Bien sûr.

JL : C'est un dilemme difficile. Ils voudraient agir sans paraître comploteurs et planificateurs, mais ils veulent cependant être pleinement reconnus.

SM : Exact, ils ne veulent pas qu'on voie leur caractère manipulateur.

JL : Ce n'est pas quelque chose dont on puisse être fier.

SM : Les 3 sont les transmuteurs de forme de l'Ennéagramme. Une des façons que j'ai de reconnaître les 3 est qu'ils paraissent si parfaits ; quand je tombe sur quelqu'un chez qui je ne vois aucun défaut, qui paraît presque trop bien pour être vrai, je commence à soupçonner que j'ai affaire à un 3.

JL : Vous ne faites pas seulement référence aux apparences, mais à la façon qu'ils ont de vous aborder et de vous parler.

SM : Exactement, l'ensemble du style.

JL : Une attitude "je peux le faire" est-elle attachée à ce style ?

SM : Absolument, et ensuite vous les voyez parler à quelqu'un d'autre et tout leur personnage change, devenant exactement ce que l'autre veut voir, ce dont il a besoin.

JL : Trouvez-vous que, quand les 3 tombent malades ou qu'ils ont des problèmes, ils maintiennent les apparences pendant très longtemps, et qu'ensuite s'ils s'effondrent, ils le font plutôt brusquement ?

SM : Oui, je pense que c'est vrai et que cela est relié au point 6 sous-jacent, le sentiment sous-jacent de ne pas avoir de base, la peur existentielle, et donc il n'y a pas grand-chose pour les soutenir. La caractérisation de typage la plus appropriée est d'apparaître sans défaut… sans couture, c'est le mot que je cherchais auparavant.

Maintenant, les 4 ont un sentiment sous-jacent de mélancolie, désirant ardemment ce qu'ils n'ont pas. Certains 4 me paraissent très, très vides. Très creux et vides, et le sentiment que j'ai avec tous les 4, c'est qu'ils se rejettent eux-mêmes et qu'ils ont très envie de quelque chose d'autre, qu'ils rêvent d'être quelqu'un d'autre.

JL : Peut-être qu'ils ne rejettent pas seulement eux-mêmes mais aussi leur partenaire ou leur bien-aimé.

SM : Oui, bien sûr. Je pense que nous exprimons toujours la dynamique qui fonctionne à l'intérieur de nous avec nos partenaires.

JL : Pour vous, tout le monde le fait de la même manière ?

SM : Oui, cela varie un petit peu suivant le côté de la relation, mais inévitablement je pense que nous exprimons toujours les relations de notre propre objet intérieur. Et j'entends par relations d'objet, notre sentiment de soi et d'autrui.

JL : Pouvez-vous entrer un petit peu plus dans les détails ?

SM : Oui, je pense que chaque type a un sentiment caractéristique de soi dans sa relation à autrui, au monde et aux autres à l'extérieur de lui. Les autres sont ressentis d'une certaine façon, et de même, son propre soi est ressenti d'une certaine façon. Nous portons toute cette constellation en nous, et il y a une saveur ou une tonalité de sentiment dans cette interaction de soi et d'autrui. La saveur est la passion de chaque type. Et cette image intérieure caractéristique de soi et d'autrui est quelque chose que nous avons tendance à coller sur les autres, à en quelque sorte les amener à réaliser. Ce qu'il faut savoir sur nos images intérieures de soi et d'autrui, c'est que nous pouvons sauter de l'une à l'autre.

JL : Pouvez-vous donner un exemple qui exprime cette dynamique ?

SM : Les caractéristiques du 9, le sentiment caractéristique de soi est celui de quelqu'un qui n'est pas très important, valable ou spécial. Le sentiment d'autrui est que, qui que ce soit d'autre est plus intéressant, ce qui est en dehors de soi a plus de valeur et plus d'intérêt, mais pas moi. La tonalité de sentiment qui relie ce sentiment de soi et d'autrui est une tonalité de paresse et de léthargie concernant la situation.

JL : Dans le sens de ce que vous réprimez en vous, vous le mettez dans les autres.

SM : Oui, le sentiment d'autrui que chaque type a, contient ce qui est réprimé en lui-même.

Pour en revenir aux types, fondamentalement la qualité de sentiment avec le 4 est un sentiment de mécontentement sous-jacent. Parfois, il est projeté sur les autres et parfois, il y a une tristesse à ce sujet et un désir ardent que les choses soient différentes.

JL : Diriez-vous qu'il y a un sentiment d'injustice ?

SM : Ce n'est pas ce qui me vient des 4, un sentiment d'injustice pour avoir été maltraité ; c'est plus un sentiment de tristesse.

JL : Avez-vous déjà entendu un 4 dire "Je suis désolé" ?

SM : Pratiquement jamais. C'est intéressant ; je pense que c'est parce qu'ils vivent une telle honte. Si un 4 ressent qu'il a fait quelque chose de mal aux yeux d'un autre, c'est vraiment dur pour lui de le reconnaître.

JL : Oh je vois, ils sentent qu'ils s'en veulent déjà assez ?

SM : Eh bien, cela peut en faire partie. Ils sont tellement occupés à défendre un soi profondément déficient.

JL : Êtes-vous prête à passer aux 5 ?

SM : Il y a cette tonalité générale de contraction que je ressens chez les 5. En quelque sorte retenir l'énergie, une réserve intérieure, une accumulation de l'énergie, et souvent de ses possessions ; mais une contraction en dehors de la vie, en dehors de la vitalité surtout.

JL : Eh bien sûr, en dehors des autres.

SM : Oui. Et un retrait face aux engagements forts.

JL : Est-ce que la même chose s'appliquerait aux responsabilités ?

SM : Eh bien je connais beaucoup de 5 qui ont pris des responsabilités, mais ce que je vois c'est qu'ils ne sont pas complètement présents et engagés dans ces responsabilités. Ils peuvent montrer la forme extérieure de la responsabilité et la maintenir, mais en profondeur ils ne sont pas activement dans ce à quoi ils se sont engagés.

JL : Ce n'est pas la même chose que de garder un pied coincé dans la porte.

SM : Non, ce n'est pas cela ; c'est plus maintenir une prétention à être effectivement là.

JL : Ah, comme dans : "Je dois jouer ce rôle… mais mon cœur n'est pas vraiment là".

SM : Précisément.

JL : Comme quelqu'un qui vous donne un chèque, mais qui ne le lâche pas vraiment, et vous devez l'arracher de ses doigts en tirant fort.

SM : Ha, ha, tout à fait. Les 5 ont du mal avec la générosité sans retenue.

JL : Qu'en est-il de leur enthousiasme quand on aborde un sujet qui les intéresse vraiment ?

SM : Un sujet qu'ils connaissent bien ? Oui, ils peuvent être très enthousiastes sur un sujet qui les intéresse, certainement, mais le fait de rester en arrière ne disparaît pas. Parce que ce à quoi ils peuvent vraiment s'intéresser, c'est quelque chose qui concerne l'esprit, et ce qui reste en arrière, en dehors d'un engagement profond, encore, c'est leur cœur et leurs tripes. Un seul des trois centres est ouvert. Les 5 ont aussi une tendance à se cacher, à en quelque sorte disparaître et à ne pas se laisser voir complètement.

JL : Qu'y a-t-il derrière cela ?

SM : Une peur d'être englouti, c'est en grande partie une peur de la déplétion. Comme, si je suis trop ouvert, si on me voit trop, il ne va rien rester. Les 5 luttent contre un profond vide.

JL : Et les ?

SM : Les 6 ont deux styles dominants, le contrephobique et le phobique.

JL : Trouvez-vous que d'autres types ont aussi deux styles dominants ?

SM : Je le vois chez les 2, le 2 très fier et le 2 très modeste.

JL : Dans la médecine chinoise, on parle souvent des deux polarités de la même condition, par exemple l'arrogance yin "Je suis le plus petit" et l'arrogance yang "Je suis le plus grand".

SM : Ce sont les deux côtés de la dynamique de l'orgueil. Je vois deux styles aussi chez les 2, mais je ne suis pas sûre que ce soit aussi clair chez les autres types. En un certain sens vous pouvez avoir certains 1 très critiques envers les autres, et d'autres 1 très critiques envers eux-mêmes, ce serait donc l'analogie, ou la polarité analogue.

Pour le 6 contrephobique et le 6 phobique, le fil commun est la peur et c'est généralement quelque chose que je sens avec vigueur chez les 6. Que ce soit une peur qu'ils essaient de surmonter dans le type contrephobique, ou qu'ils soient clairement énergétiquement chroniquement alarmés dans le type phobique. Pour moi c'est la caractéristique qui les définit, et ce n'est pas tant une peur de quelque chose en particulier, qu'une peur très généralisée de la vie en général.

JL : Comment pouvez-vous voir cela ?

SM : Je le sens ; parfois vous pouvez voir la peur dans leurs yeux.

JL : Une sorte de regard avec un peu de blanc en plus autour de l'iris ?

SM : Oui comme une biche sous les projecteurs.

JL : Est-ce de la méfiance, ou alors d'où cela vient-il ?

SM : Il y a un postulat de base que ce qui leur arrive va être dangereux. Ce que la vie leur apporte, ce que les autres leur apportent va impliquer quelque chose de potentiellement menaçant. Et ceci est l'hypothèse sous-jacente de la fixation de base.

JL : Voir partout une potentielle menace et ne pas pouvoir s'en libérer.

SM : C'est cela.

JL : Vous rassurez un 6, et il devient méfiant au sujet du réconfort.

SM : Exactement, et soupçonneux quant à celui qui essaie de le rendre non-méfiant ; il devient soupçonneux au sujet de sa motivation.

JL : Où voyez-vous le doute dans cela ?

SM : Le doute correspond à une position rigide. Bien que les 6 puissent paraître incertains, ce dont ils sont sûrs, c'est que le choix qu'ils font pourrait être mauvais.

JL : Vous voulez dire comme dans "J'étais incertain, maintenant je n'en suis plus si sûr".

SM : Oui, ou qu'ils sont certains qu'ils pourraient faire une erreur et que cela pourrait être une erreur dangereuse. Comme je le vois, le cœur du doute concerne ce qu'ils ressentent, leurs impulsions, et c'est un rabaissement de ce qui s'élève spontanément et naturellement en eux.

Le plus grand danger pour les 6, s'ils font vraiment attention, n'est pas le danger externe mais le danger interne. Ils ont peur de leurs impulsions, de leurs sentiments, et de ce qui ne fait pas partie du domaine de l'esprit.

JL : Une profonde méfiance d'eux-mêmes.

SM : En fin de compte, oui.

JL : Donc ils pensent qu'ils ne peuvent pas compter sur une cohérence ou sur des valeurs stables ?

SM : Eh bien, cela, c'est le résultat. La couche plus profonde est qu'ils sentent qu'il n'y a rien de solide sur quoi se tenir debout.

JL : Diriez-vous que c'est le contraire de ce que ressent un 8 ?

SM : Oui, les 8 sont absolument certains qu'ils savent ce qui est juste et qu'ils connaissent la vérité.

JL : Est-ce que cela fait du 8 le type le plus sûr de lui ?

SM : Probablement. Leur difficulté réside dans leurs préjugés. À cause de leur certitude, ils manquent d'ouverture. Un 6 manque d'ouverture parce qu'il est convaincu qu'il pourrait y avoir du danger ou que les choses sont fondamentalement incertaines, et cette conviction forte l'empêche de s'ouvrir. Le 8 n'est pas ouvert parce qu'il est convaincu qu'il sait déjà ce qui se passe.

JL : Est-ce que c'est surtout le cas pour le 6 phobique ?

SM : Je pense que c'est vrai pour le contrephobique aussi. Le contrephobique essaie de surmonter la tendance phobique ; elle est toujours présente quand vous grattez la surface.

JL : Donc ils diffèrent surtout dans la façon qu'ils choisissent de remédier à leur dilemme.

SM : Oui, et c'est une question de style.

JL : Effacé ou turbulent.

SM : Je dirais que c'est vrai.

Maintenant les 7 ont énergétiquement une sorte de qualité d'adrénaline, comme quand on remonte une rue en voiture. Cela ressemble pour moi à une accélération forcée ou à un vrombissement dans leur système énergétique.

JL : Appelleriez-vous cela de la nervosité, comme un café fort ?

SM : Oui, fondamentalement. Les 7 sont présentés comme étant toujours en forme, jamais déprimés, comme allant toujours bien. Cela n'est pas vrai, il y a beaucoup de 7 très déprimés, mais la qualité de sentiment est le sens d'un emballement intérieur, un sens de sécheresse et d'aridité, un manque d'une sorte de nature juteuse dans leur champ énergétique.

JL : Que voulez-vous dire ?

SM : C'est simplement une qualité de sentiment. Il y a un sentiment de sécheresse, de stérilité et d'aridité énergétique, plutôt qu'un sentiment d'être vraiment profondément en contact avec le caractère juteux de la vie, avec la vitalité, avec le plaisir de vivre d'une manière authentique.

JL : Se pourrait-il que vous ne puissiez être à la fois large d'un kilomètre et plus épais d'un centimètre ?

SM : Eh bien, je pense que cela en fait partie. Mais je pense que le problème plus profond a à voir avec la relation qu'on entretient avec soi-même. Il y a un manque de confiance intérieure chez les 7 qui les conduit à penser que s'ils ne sont pas en train de planifier et d'organiser mentalement leur expérience, alors rien ne se produira. Donc ils étudient le processus plutôt que de le vivre pleinement. C'est de là que provient l'aridité dans leur champ énergétique. L'ironie avec toute cette bousculade, cette organisation, cette planification et ainsi de suite, c'est qu'en fait ils se coupent de l'enthousiasme de la vie.

JL : Maintenant, les derniers mais pas les moindres, les 8.

SM : Certainement pas les moindres. Les 8 dans les ateliers que je fais se mettent en colère quand je dis cela. Ils trouvent que c'est désobligeant.

Les 8 ont pour moi une sorte de présence imposée, comme s'ils se plantaient en face de vous. Cela n'est pas vrai pour tous les 8, certains sont en fait plutôt reclus et très tranquilles, mais ils sont très substantiels, comme une force qu'il faut considérer, très arrêtés dans leurs opinions et convaincus que leurs opinions sont justes. Les 8 ont tendance à être très pointilleux envers toute forme d'injustice, et ils voient le problème comme étant à l'extérieur, là-bas. Si seulement les gens voulaient bien se secouer.

JL : Diriez-vous que les 8 sont arrêtés dans leurs opinions d'une façon telle qu'ils n'ont pas besoin de la soutenir à l'aide du raisonnement ?

SM : Oh absolument.

JL : Contrairement aux 8, les 7 ressentent-ils le besoin d'expliquer et de rationaliser leurs arguments ?

SM : Oui.

JL : Donc être mal compris est bien plus dur pour un 7 que pour un 8, diriez-vous cela ?

SM : Oui.

À suivre… le mois prochain.