Neuf peintres, neuf types : E3 – Andy Warhol
Valérie Lebouteiller
Centre préféré
Dans le monde d'Andy Warhol, tout est fiction, création, mise en scène de soi et du monde. "Volontiers, je porterais un masque et changerais de nom", affirme-t-il. À la manière de Docteur Jekill et M. Hyde, il mange des légumes cuits et boit de la tisane le jour, préférant la nuit, le chocolat, la vodka et le cognac. Michel Nuridsany, dans sa biographie, dit de lui qu'il est un "artiste mondain, préoccupé de rencontrer des célébrités et d'amasser de l'argent". Il y est décrit par certains proches comme "manipulateur, pervers, voyeur, faux génie qui copiait tout le monde". Préférant et réprimant l'intelligence de l'émotion, il s'attribue celle des autres.
Très attaché à son image, problématique de l'intelligence émotionnelle, confondant image et identité réelle, il se fond dans le fonctionnement égotique de la société américaine du même type, où le rêve américain, la réussite sociale, est le maître mot !
Orientation
La capacité à réaliser et à réussir, orientation du 3, permet à Andy Warhol de sortir de sa modeste condition d'émigré. Sa productivité et sa compétence lui ouvrent les portes du monde de la compétition et de la réalisation. Il apporte un changement considérable dans les relations entre l'art et l'argent. Lorsqu'on lui demande si son œuvre va avoir une contribution dans l'histoire de l'art, il répond : "Oui." "Parce que ses œuvres avaient été acquises pour des sommes très importantes par des musées… et que pour cette raison, elles avaient de bonnes chances de rester", nous rapporte Michel Nuridsany dans sa biographie.
Cette capacité à réaliser et à réussir est également influencée par la capacité d'identification de Warhol au modèle populaire américain. La recherche d'énergie, de jeunesse et de compétition crée une émulation collective. À cet effet, il est aussi prolixe que Picasso dans les rapports entre l'art et l'argent. Sa production artistique est estimée à 2 000 tableaux réalisés entre 1962 et 1964. L'objectif de Warhol est d'être présent partout, afin de développer sa popularité sur l'ensemble des continents.
Compulsion
En novembre 1984, à la question d'un journaliste qui lui demande pour qui il a voté, il répond "Pour le vainqueur" ! C'est en fait toute sa vie qu'il est happé par les mécanismes de son ego : déborder d'idées, toucher à tout ce qui peut contribuer à lui éviter l'échec, la publicité, la peinture, la sérigraphie, le cinéma. Il utilise beaucoup de nouvelles techniques… la nouveauté ne peut que lui apporter le succès !
Victime de la stratégie d'évitement de l'échec du 3, Andy agit pour réussir. Par l'intermédiaire du galeriste Ivan Karp, il découvre que Roy Lichtenstein a un style très proche du sien. Il décide très vite d'en changer afin de ne permettre aucune comparaison et ainsi d'éviter l'échec. La visite d'Ivan Karp à son domicile l'incite également à faire disparaître tous les dessins de son activité publicitaire et commerciale. Après, il lui fait envoyer par coursier un cadeau, Nancy, car il sait qu'Yvan Karp le considère toujours comme un artiste commercial, et veut mettre toutes les chances de son côté pour lui éviter l'insuccès.
Mécanisme de défense
En tant que 3, il s'identifie totalement à ce qu'il fait, son mécanisme de défense… C'est sa mère qui a décidé de faire de lui un artiste. Enfant, il ne supporte pas d'être séparé d'elle et ne va plus à l'école… Il raconte dans son ouvrage POPism que sa mère lui donne un bol de soupe Campbell tous les jours : "J'ai appris quand j'étais petit que toutes les fois que je devenais agressif et essayais de dire à quelqu'un quoi faire, rien n'arrivait, jamais. Je ne réussissais pas. J'ai compris que vous pouvez avoir plus de pouvoir quand vous vous taisez, parce qu'alors au moins une personne va peut-être commencer à douter de soi-même", relate à ce propos Michel Nuridsany dans sa biographie.
Il dit lui-même qu'une biographie de lui est inutile car "la donnée de base, c'est l'œuvre, l'entreprise artistique". Son succès dans la publicité est justement issu de cette capacité à s'identifier à la fois aux produits et aux consommateurs américains…
Ce processus d'identification intervient également dans ses sérigraphies de Marilyn, Jackie Kennedy, Mao, et d'autres stars. Il sait glorifier ces icônes…
Passion
La passion du 3, le mensonge, l'amène d'abord à se mentir à lui-même en se réfugiant dans une activité intense, masquant ses émotions et surtout sa véritable identité. Andy Warhol a dit de lui-même : "Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, regardez simplement la surface de mes peintures, de mes films et de moi-même. Je suis là. Il n'y a rien derrière." "C'était un mensonge qui disait la vérité", selon Cocteau. Il adore monter des histoires et en change souvent leur version auprès des journalistes…
Très peu conscient de ses émotions, il ne parle quasiment jamais de la contribution de ses collaborateurs à ses œuvres. Il ne parle jamais de ses attirances sexuelles, toujours entouré d'égéries féminines toutes plus belles les unes que les autres. Il n'avouera jamais son homosexualité, même dans les années 1970, époque de la libération sexuelle. L'Amérique reste trop puritaine et il préfère mentir à lui-même et aux autres…
Vertu
À de rares occasions, il exprime la vertu du 3, la vérité. Il fait preuve d'une certaine sincérité lorsqu'il avoue "Je prends toujours mes idées chez les autres. Quelquefois, je n'y change rien" dans une de ses conversations avec Malanga, son principal assistant à la Factory.
"Je préfère garder mon mystère, je n'aime pas raconter mon passé de toute façon, je le transforme chaque fois qu'on m'interroge", confie-t-il à Gretchen dans une interview des Cahiers du Cinéma.
Dans les années 1980, en perte de vitesse et se sentant vieillissant face à Jasper Johns qui lui vole la vedette, il affirme "J'imagine que je suis un artiste commercial. Il faut regarder la vérité en face", un moment de lucidité difficilement acceptable pour lui.
Fixation
"Mon but, dans la vie, c'est d'avoir une piscine à Hollywood" dit Warhol, évidence de la fixation du 3, la vanité et le succès. Dans cette quête, les directeurs artistiques ayant fait appel à lui apprécient particulièrement le fait qu'il modifie à la demande les travaux qu'il leur remet. "J'étais payé pour ça. Je faisais tout ce qu'on me demandait. Si on me demandait de dessiner une chaussure, je la dessinais et si on me demandait de remanier le dessin, je le remaniais. Je faisais tout ce qu'on me demandait jusqu'à ce que ça convienne" dit Andy Warhol.
Récompensé en 1952 par le prix de la meilleure publicité parue dans la presse, décerné par l'Art Director Club, il obtient sa première exposition personnelle à la Hugo Gallery. Il a quelques difficultés à percer dans le milieu de l'art en venant de la publicité, mais il ne souhaite pas vraiment renoncer à cette activité commerciale qui lui a fait acquérir un train de vie luxueux et répond à son besoin de notoriété.
Dès le premier contact, il demande si vous voulez devenir célèbre et immédiatement après, il affirme "Moi, je veux devenir célèbre. Aussi célèbre que la reine d'Angleterre"…
Idée supérieure
L'espérance, idée supérieure du 3 est peu présente dans la vie d'Andy Warhol. La tentative d'assassinat perpétrée par Valérie Solanas en juin 1968, qui l'a laissé plusieurs heures entre la vie et la mort, est probablement une des raisons pour lesquelles Andy développe une véritable phobie des femmes et lui laisse une personnalité encore plus perturbée.
En revanche, il l'exprime peut-être en restant fidèle à ses convictions religieuses malgré les apparences. Ses deux derniers dessins sont intitulés Repends toi ! et Ne pèche plus ! Il continue d'aller à la messe et, vers la fin de sa vie, il y va tous les dimanches, distribuant de l'argent aux pauvres et se consacrant à des œuvres charitables dans le plus grand secret…
Hiérarchie des centres
Andy Warhol est orienté vers le monde des idées. Il est d'ailleurs très timide, essayant plus de protéger sa timidité que de la dissimuler. Son intelligence de support est celle de la pensée, et il réprime son intelligence émotionnelle encore plus que celle de l'action.
En tant que 3 μ, il est plus réfléchi, plus objectif et a conscience de sa répression des émotions, il analyse le monde avec froideur dans ses œuvres en montrant que la notion de répétition banalise et déconnecte des émotions. Michel Nuridsany rapporte cette anecdote de Bob Benamou, galeriste parisien : "Warhol était quelqu'un de terriblement introverti, de très difficile à joindre, qui mettait beaucoup de barrières entre lui et les autres."
Il a peur des maladies, de la mort, de la solitude… Il ne mange pas de viandes grillées, car il est obsédé par le cancer, et surtout depuis son agression, il inspecte son appartement tous les soirs en rentrant chez lui !
L'achat d'un magnétophone avec lequel il affirme s'être marié est encore un prétexte supplémentaire pour se protéger de ses émotions. Dans Ma philosophie de A à B, il raconte : "L'acquisition d'un magnétophone a vraiment mis fin à tout ce que j'avais pu avoir comme vie émotionnelle, et j'en fus bien content."
Warhol utilise aussi une certaine forme de dérision pour masquer la réalité. Il aime les gens qui ont de l'humour et de la clownerie.
Sous-type
"Acheter est bien plus américain que penser, et je suis aussi américain que les autres", affirme-t-il dans Ma philosophie de A à B : manifestation du sous-type conservation, "Sécurité". Il adore consommer et accumuler énormément d'objets, pas forcément les plus chers, surtout les plus voyants ! Il tient beaucoup à son train de vie, et malgré les difficultés à se faire reconnaître dans le monde de l'art, il n'est pas prêt à renoncer à ses activités dans la publicité pour satisfaire son besoin d'accumulation… d'argent.
Cependant, il attache aussi de l'importance aux fréquentations pouvant contribuer à son succès, marque de l'instinct social, "Prestige". Il a un don inné pour savoir ce qui plaît aux stars et adapte, tel un caméléon, ses attitudes et son apparence physique pour rechercher leur admiration.
Quelques-unes de ses phrases célèbres
"L'art des affaires est l'étape qui succède à l'art."
"J'ai commencé comme artiste commercial et je veux finir comme artiste d'affaires."
"Faire de l'argent est un art, travailler est un art, et les bonnes affaires sont le plus beau des arts."
"Le travail le plus difficile après le fait d'être vivant, c'est d'avoir des rapports sexuels."
"Dans le futur, tout le monde sera célèbre pendant un quart d'heure."
"Si vous y réfléchissez, les magasins sont des sortes de musées."
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Les citations et écrits d'Andy Warhol sont issus de la biographie de Michel Nuridsany et de Ma philosophie de A à B et vice-versa d'Andy Warhol (Flammarion).
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