Neuf peintres, neuf types : E5 – René Magritte
Valérie Lebouteiller
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Le titre de la biographie de Marcel Paquet est "Magritte, la pensée visible". Il y explique qu'il est un homme anxieux mais d'apparence tranquille, en précisant : "Il y a toujours dans les toiles de Magritte des éléments qui, en s'opposant, provoquent un choc tout à fait apte à mettre l'esprit en éveil et à le conduire sur le chemin de la pensée et des interrogations." René Magritte privilégie toujours l'intelligence de la pensée, le raisonnement et la logique. Il est un observateur, se nourrissant d'informations et de connaissances du monde et tourné vers le futur. "Il n'aimait ni l'abstraction lyrique, ni l'abstraction expressionniste qui, en montrant de la matière, ne montraient selon lui rien qui ne fut digne de pensée, c'est-à-dire d'intérêt", nous raconte Marcel Paquet. Il souligne encore "l'aspect intellectualiste, mental, hyper réfléchi de sa peinture."
Magritte est attiré par le monde "mystérieux". Dans Les mots et les images, Éric Clémens nous rappelle qu'il avait écrit : "Quel que soit son caractère manifeste, toute chose est mystérieuse : ce qui apparaît et ce qui est caché, la connaissance et l'ignorance, la vie et la mort, le jour et la nuit." Mais aussi : "Je n'admets pas l'idée que le Monde ou l'Univers soit incohérent et absurde. L'absurde et l'incohérence, c'est la croyance que la logique dite de la raison puisse plier la logique du Monde comme elle l'entend. Un tableau me semble valable s'il n'est pas absurde ni incohérent, et s'il a la logique du mystère, ainsi que le Monde."
Alimenté par la peur, problématique centrale de l'intelligence de la pensée, René Magritte cherche à rationaliser le mystère du monde et l'imprévisible. Calme-t-elle son anxiété et son angoisse issues de son monde intérieur si difficile à comprendre ?
Orientation
Magritte est passionné par la peinture et la littérature, source de son inspiration, reflétant la connaissance et la précision, orientation du 5. "La naissance de la pensée, c'est la pensée qui se constitue en prenant avec soi une connaissance, c'est-à-dire en devenant une connaissance immédiate", nous restitue Éric Clémens dans Les mots et les images.
Il est un trésor de connaissances et d'informations en peinture, et en littérature : les surréalistes d'abord avec Breton, Eluard, Masson, Dali, Miro, Max Ernst. Également, Robert-Louis Stevenson, avec L'Île aux trésors, et Fantômas à qui il reste toujours fidèle. De même, Hegel, Baudelaire, Verlaine, Heidegger et Lautréamont, mais surtout Edgar Allan Poe qui a une influence importante sur sa pensée et son œuvre.
Magritte illustre en 1929-1930 La Géante, poème de Baudelaire, en y décrivant "les pouvoirs merveilleux et sensuels de la poésie".
En hommage à Edgar Allan Poe, il peint Le domaine d'Arheim en 1938, indiquant "l'invisible n'est pas caché au regard", un regard qui amène à la précision de la pensée cachée, à la réflexion, à cette sensation du mystère dont parle Marcel Paquet.
Compulsion
Cherchant à éviter le vide intérieur, compulsion du 5, Magritte mène ses recherches dans le domaine des "images peintes". Elles le conduisent sur le chemin de la pensée et des interrogations sur le mystère du monde et des choses.
L'inspiration provenant de l'extérieur est un moyen d'éviter le contact avec ses propres émotions intérieures, illogiques et irrationnelles, donc inintelligibles… Même si sa mère s'est suicidée en se précipitant dans la Sambre alors qu'il avait 14 ans, son épouse Georgette indique qu'il a gardé comme seul souvenir sa fierté d'être devenu à cette occasion le centre d'attention de son entourage et de ses amis. Parlant de la psychanalyse qui tente d'expliquer son œuvre, Magritte la considère comme "une pseudoscience de l'inconscient ayant une démarche policière et politique…" : "L'amour en psychanalyse, c'est toujours Papa, Maman et moi", affirme-t-il !
Toute son approche artistique montre à quel point il refuse de rentrer en contact direct avec son monde émotionnel intérieur, le seul moyen étant de lui imposer la prépondérance de la pensée. Elle fait partie de la classe de la matière grise opposée à la classe des rétiniens qu'il dédaigne en la nommant la peinture-peinture…
Mécanisme de défense
Au service de sa stratégie d'évitement, Magritte a besoin d'isolation et de retrait, mécanisme de défense du 5. Seul dans sa cuisine, habitude qu'il conserve toute sa vie, il peint après avoir trouvé ses sources d'inspiration à l'extérieur et dans les objets qui l'entourent. C'est le seul moyen pour vivre ses émotions en différé, et retrouver son énergie, happée par le monde et par les autres.
Sa maison est sa forteresse où il vit avec son épouse Georgette qui lui sert de modèle. Il voit ses amis dans un café de Bruxelles, Le Greenwich. Il y retrouve Man Ray et Marcel Duchamp pour jouer aux échecs.
Dans ses Écrits Complets, Magritte nous livre son interprétation des œuvres de De Chirico qu'il admire beaucoup, notamment Le chant de l'amour et Melancholia : "Il s'agit d'une nouvelle vision où le spectateur retrouve son isolement et entend le silence du monde." Le concernant, il précise plus loin : "En 1915, j'essayais de retrouver la position qui me permettrait de voir le monde autrement que l'on voudrait me l'imposer. Je possédais quelque technique de l'art de peindre et, dans l'isolement, je fis des essais délibérément différents de tout ce que je connaissais en peinture. J'éprouvais les plaisirs de la liberté en peignant les images les moins conformistes… Je peignis dans une véritable ivresse toute une série de tableaux futuristes."
Passion
René Magritte déteste les mondanités et les conventions. Son tempérament d'asocial et de révolté contre la bêtise et la méchanceté des hommes lui vaut de se brouiller avec un de ses frères, Raymond, l'homme d'affaires avisé, agacé par l'art et la poésie, qui le considère comme un farfelu et un con.
Faisant preuve d'avarice, passion du 5, il donne peu de sa personne au public… De même, après un bref séjour à Paris, il retourne vivre à Bruxelles, expliquant que la vie frivole et dépensière de ses comparses ne lui convient pas, préférant moins dépenser plutôt que de faire le nécessaire pour vendre.
Malgré les goûts conformistes et bourgeois de son épouse Georgette, il reste toute sa vie un homme simple, enclin à la routine, continuant à peindre ses idées et ses pensées.
Vertu
Malgré des débuts difficiles, Magritte plaît malgré lui très rapidement au public bourgeois. C'est l'exposition Fantastic Art, Dada and Surrealism au Musée d'art moderne de New York en 1936, qui lui apporte la reconnaissance internationale.
Manifestant la vertu du 5, le désintéressement, il accepte également sa vie qui se déroule plus bourgeoisement et n'hésite plus à reproduire certaines de ses œuvres les plus célèbres pour des collectionneurs fortunés. Ainsi, il offre à Georgette la vie tant désirée, se rappelant probablement qu'il avait écrit "Bienheureux celui qui pour l'amour d'une femme est amené à trahir ses propres convictions."
Il partage toujours ses réflexions avec son groupe de surréalistes, proche de ses préoccupations. Cependant, il fait preuve d'un réel désintéressement en communiquant dans ses Écrits Complets, ses réflexions, sa correspondance, et en dévoilant l'origine de son approche artistique. Il y révèle la prépondérance de la pensée : "La ressemblance, c'est l'acte essentiel de la pensée qui ne résulte pas d'un bon ni d'un mauvais vouloir, et qui n'est pas déterminée par une manière de penser." Les lecteurs dont l'intelligence préférée est la pensée comprendront spontanément… Les autres prendront juste un peu plus de temps pour comprendre !
Fixation
En tant que 5, Magritte a besoin de solitude en maintenant les autres à distance. C'est la fixation du 5, le détachement, préoccupation mentale qui lui permet ainsi de ne pas s'engager, de ne pas se sentir lié, de ne pas être forcé…
Il est proche des surréalistes mais garde son indépendance. Son engagement auprès du Parti Communiste fut uniquement un engagement d'opinion. Il le quitta sans état d'âme.
Dans sa peinture, il introduit ce détachement en opposant l'image peinte et les mots, en dissociant leur signification. Les amants, visages masqués, symbolisent l'amour aveugle, Ceci n'est pas une pipe, la trahison des images… Le viol montre à quel point certains visages de femme ont du sex-appeal.
Idée supérieure
Accompagnant son sens du désintéressement, Magritte découvre l'ampleur de son érudition en faisant preuve d'omniscience, idée supérieure du 5. Il partage ses compétences et apprend davantage à vivre avec les autres, tout en entretenant la nécessité du besoin de sens dans le mystère d'un monde.
Hiérarchie des centres
Malgré l'importance accordée à son mental, Magritte, un 5 α, a pour intelligence de support, celle de l'émotion et réprime celle de l'action. En effet, il est conscient de ses émotions malgré leurs mystères. Il pleure d'ailleurs devant le tableau de Chirico Le chant de l'amour.
Marcel Paquet nous rapporte dans sa biographie : "On ne peut pas dire qu'il aimait peindre, il aimait plutôt penser par images et sitôt celles-ci élaborées à l'aide d'un croquis ou de petits dessins, il rechignait souvent à les transposer sur toile, préférant aller jouer aux échecs au Greenwich." Il déteste les voyages culturels et après avoir vu les pyramides en Égypte, il affirme laconiquement : "Je me doutais que c'était ainsi."
Sous-type
René Magritte n'a qu'un seul amour, sa femme, Georgette. Elle lui sert de modèle dans de nombreux tableaux. Il l'a rencontrée pour la première fois dans une foire de Charleroi. Il avait quinze ans, elle, treize… L'amour était déjà au rendez-vous. Ils se retrouvent quelques années plus tard au jardin botanique et se marient en 1922.
Il est probablement de sous-type sexuel, Confidence, ressentant l'intensité de son lien secret à Georgette, avec laquelle il partage ses idées et ses recherches. Il possède avec elle une intimité immédiate et non verbale que l'on retrouve dans sa visualisation du corps en peinture.
Quelques-unes de ses phrases célèbres
"La peinture n'est pas un miroir qui reproduit les apparences du monde."
"La technique, la pensée consciente ou inconsciente sont des manières de penser, prises pour la pensée elle-même."
"La pensée et le langage sont pour moi irréductibles à leurs fonctions, imaginant être engagés par la pensée et le langage dans une voie où les découvertes n'ont pas de limites."
"Le sérieux, pour moi, n'est vrai que lorsqu'il pense à notre mystère avec sérieux, c'est-à-dire sans la suffisance qui permet de songer à l'expliquer ou à le surmonter en le dépassant."
"Ressembler, c'est un acte, et c'est un acte qui n'appartient qu'à la pensée."
"L'image peinte est d'une part la description du monde visible modifié par une manière de penser, ou bien d'autre part, l'image peinte est la description du monde visible compris d'une manière spontanée."
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Les citations et écrits de Magritte sont issus de Les mots et les images d'Éric Clémens, et de la biographie de Marcel Paquet, Magritte, la pensée visible.
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