La personnalité de Simon-Pierre
Jean-Pierre Roth
Il y avait une fois, quelque part en Afrique… une assemblée des animaux de la brousse. Ils devaient trouver un nouveau roi. Sur l'appel du singe, les animaux s'étaient réunis en assemblée générale pour choisir trois lions comme candidats. Le premier d'entre eux qui monterait au sommet du Kilimandjaro serait sacré roi des animaux.
Les trois lions partent à toute vitesse mais peu à peu ils reviennent un par un. Ils ont tous échoué. L'assemblée générale ne sait pas quoi décider. C'est alors que l'aigle, après un dernier survol sur l'assemblée, se pose et dit : je sais qui est le roi. J'ai survolé la montagne pendant que les trois lions cherchaient à arriver au sommet. J'ai vu ce qu'ils ont fait et j'ai entendu ce qu'ils ont dit.
Le premier lion a dit : « Montagne, ta neige est trop glissante pour moi, tu m'as vaincu. » Le deuxième a dit : « Montagne, tes parois rocheuses sont trop difficiles pour moi, tu m'as vaincu. » Le troisième a dit : « Montagne, tu es très haute. Je ne peux plus respirer à cause du manque d'oxygène. Aujourd'hui, tu m'as vaincu. Mais je reviendrai. Toi, tu as terminé de grandir tandis que moi, je suis encore jeune, je peux encore grandir… »
Je vous laisse deviner qui fut couronné roi.
L'histoire de Simon Pierre, c'est l'histoire d'un ennéatype 6 qui accepte de grandir au contact de plus grand que lui. Et notre réflexion, aujourd'hui, cherchera à comprendre la croissance personnelle du disciple, cette croissance rendue possible par la présence et l'entraînement du maître. Je signale ici le livre 1 de Rémi de Roo, évêque émérite du diocèse de Victoria au Canada, docteur de l'Angelicum et professeur certifié d'ennéagramme. Ce livre décrit la croissance personnelle d'un certain nombre de personnages de la Bible, dont Simon-Pierre.
Je proposerai trois textes de l'évangile. Chacun contient une prise de parole, un dialogue qui permet de découvrir la face intérieure des événements, les motivations. Les paroles, encore plus que les actes, révèlent l'intérieur de la personne, sa personnalité.
Doute-confiance/Peur-courage
St. Luc 5,4-11
Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance en eau profonde et jetez vos filets pour attraper du poisson. » Simon répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Ils le firent et capturèrent une grande quantité de poissons ; leurs filets se déchiraient… À cette vue, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un coupable. » C'est que l'effroi l'avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris ; de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, qui étaient les compagnons de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à capturer. » Ramenant alors les barques à terre, laissant tout, ils le suivirent.
Traduction Œcuménique de la Bible
Ce dialogue entre Simon et Jésus est révélateur. Dès le début de la péricope, nous voyons Simon qui exprime une suspicion quand il entend l'ordre de Jésus : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre 2 » C'est comme une manière polie de dire : « Voudrais-tu m'apprendre mon métier ? » Simon exprimera aussi plus tard ce genre de suspicion quand il suspectera l'identité de celui qui marche sur les eaux du lac de Galilée. Il mettra en doute la parole du Seigneur. « Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux 3. » Jésus s'était pourtant identifié en s'approchant du bateau : « Confiance, c'est moi, n'ayez pas peur 4 » mais cela n'a pas suffi. Simon-Pierre doute. Cette attitude ressemble un peu à celle de Thomas qui veut lui aussi des garanties dans son acte de foi à Pâques.
Mais Simon-Pierre est aussi capable de confiance. Il dit avant la pêche miraculeuse : « Sur ton ordre, je jetterai les filets 5. » Plus tard aussi, en d'autres circonstances, Simon-Pierre exprimera sa confiance envers Jésus. Ainsi, après le discours sur le pain de vie, Simon-Pierre a le courage de nager à contre-courant. Il s'oppose à l'opinion de la foule qui considère le discours de Jésus trop difficile et qui l'abandonne. Il va dire : « À qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle 6. »
Tout au long de sa formation initiale de disciple, Simon va osciller entre le doute et la confiance. Le doute reviendra comme un automatisme. Ce trait de caractère révèle une crainte. Mais la confiance reviendra aussi, plus forte. Dans le cheminement de Simon, cette confiance révélera qu'il a franchi un obstacle, qu'il avance dans la compréhension de sa vocation, qu'il avance aussi dans l'intégration de ses valeurs.
Dans ce même texte du premier appel, Simon manifeste de la peur. « L'effroi, en effet, l'avait saisi 7. » Rémi de Roo comprend cette peur comme un manque d'amour, une faiblesse de l'amour 8. Il cite la 1re épître de St-Jean : « le parfait amour bannit la crainte 9. » La formation de disciple que Simon reçoit lui permettra de passer de la peur au courage. C'est le courage de celui qui aime quelqu'un, qui accepte de faire face aux difficultés, aux risques, à cause de cet amour. C'est le courage nécessaire pour manifester un amour qui se veut loyal.
Dans l'évangile de Jean, lors de la première rencontre entre Simon et Jésus, celui-ci dit : « Tu es Simon, fils de Jean, tu t'appelleras Pierre 10. » Simon reste complètement muet. En fait, sa réponse consistera à découvrir ce que veut dire le nouveau nom qu'il reçoit. Sa réponse se fera tout au long de son cheminement. Il découvrira ainsi sa mission et son être profond.
Dans le milieu sémite, nous savons que le nom est davantage que le moyen d'identifier quelqu'un. Plus profondément, c'est la personne elle-même. Par conséquent, changer de nom c'est devenir quelqu'un d'autre. Simon va devenir Pierre, sans cesser d'être Simon. L'évangile de Jean aime l'appeler Simon-Pierre. Dans le processus de la compréhension de son nouveau nom, Simon va grandir en humanité. Alors qu'en Luc, le changement consiste à devenir pêcheur d'hommes, ici en Jean le changement est présenté au niveau de l'être, au niveau ontologique. C'est un appel à vivre ce changement d'abord au niveau de la personne.
Dans la découverte de sa nouvelle identité, et tout au long de son cheminement avec Jésus, Simon-Pierre exprimera beaucoup de questions. Il veut connaître et savoir. Au niveau de la personnalité de Simon-Pierre, ces questions révèlent qu'il accorde une préférence à l'acte de connaître et de comprendre. En toutes circonstances, Simon-Pierre réagit d'abord avec son centre mental.
Nous trouvons beaucoup d'exemples de cette nécessité de savoir et de connaître en Simon-Pierre. Ainsi, quand il s'adresse à Jésus sur l'avenir des disciples : « Eh bien ! Nous, nous avons tout laissé et nous t'avons suivi. Qu'en sera-t-il donc de nous 11 ? » Aussi, avant la passion, pendant la dernière rencontre de Jésus avec ses disciples, Simon-Pierre lui demande : « Où vas-tu 12 ? » Plus loin encore, quand Jésus annonce que quelqu'un va le trahir, Simon-Pierre fait un signe au disciple que Jésus aimait et lui dit : « Demande de qui il parle 13 ? »
Nous pouvons comprendre ces questions comme celles de quelqu'un qui veut récolter des informations pour diminuer son niveau d'anxiété, diminuer ses peurs, ses doutes, face à un avenir qui lui apparaît imprévisible et périlleux. Par ses questions, Simon-Pierre cherche à découvrir si celui qu'il suit avec ses compagnons est digne de confiance ; si c'est raisonnable de lui faire confiance ; si son projet tient la route ; si tout cela c'est du solide dans lequel il trouvera surtout un soutien dans la réalisation de sa vie.
Rejet de la déviance
Mat. 17,24-27
Comme ils étaient arrivés à Capharnaüm, ceux qui perçoivent les didrachmes s'avancèrent vers Pierre et lui dirent : « Est-ce que votre maître ne paie pas les didrachmes ? » « Si », dit-il. Quand Pierre fut arrivé à la maison, Jésus, prenant les devants, lui dit : « Quel est ton avis, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôts ? » Et comme il répondait : « Des étrangers » Jésus lui dit : « Par conséquent, les fils sont libres. Toutefois, pour ne pas causer la chute de ces gens-là, va à la mer, jette l'hameçon, saisis le premier poisson qui mordra, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère. Prends-le et donne-le-leur, pour moi et pour toi. »
Traduction Œcuménique de la Bible
Ce texte révèle deux aspects intéressants de la personnalité de Pierre, la projection et le rejet de la déviance.
Au début du texte, Simon-Pierre répond à une question qui ne le concerne pas. Elle concerne son maître. En répondant à la place de Jésus, Simon-Pierre est victime d'un automatisme typique de projection. Cet automatisme consiste à attribuer à quelqu'un d'autre, à Jésus dans le cas particulier, ce que l'intéressé pense sur un sujet. Dans le cas précis, Simon-Pierre révèle ce qu'il pense plutôt qu'il ne révèle la position de Jésus sur la question. Il répond automatiquement et positivement à la place de Jésus parce qu'il ne peut pas imaginer un instant que Jésus puisse ne pas respecter la loi de son peuple. Pour Simon-Pierre, Jésus doit payer l'impôt du temple, c'est quelque chose d'évident, c'est la meilleure façon d'éviter les problèmes et d'être un bon citoyen. Dans ce phénomène de la projection, nous voyons que la pire des choses pour Simon-Pierre c'est la déviance, c'est de ne pas respecter la loi, ne pas respecter la tradition.
Cette compulsion de Simon-Pierre qui consiste à éviter à tout prix la déviance par souci de loyauté pour son peuple fait mieux comprendre pourquoi il lui faudra tellement de temps, après Pâques, pour accepter d'entrer dans la maison d'un païen à Jaffa. Nous savons en effet que son peuple considérait le contact avec les païens, à l'époque, comme la pire des choses, une véritable trahison.
Simon-Pierre a mis les pieds dans le plat mais Jésus ne lui fait aucun reproche. Au contraire, il utilise cette situation pour renforcer la confiance de son disciple envers lui. Il sait que Simon-Pierre lutte régulièrement contre ses doutes et ses peurs intérieures. Jésus profite de cet événement pour l'encourager. Il le fait de deux manières : d'abord en affirmant, indirectement son identité de fils de roi et, ensuite, en se conformant gracieusement et généreusement à la loi. Il paie non seulement pour lui mais aussi pour Pierre. De cette manière, Simon-Pierre peut ainsi se sentir rassuré et soutenu.
Sens du devoir
La dernière partie de la formation initiale de Simon-Pierre, au moment de la passion du Christ, est la plus difficile. Mais c'est aussi la plus féconde en termes de cheminement personnel et de clarification de la mission.
Nous avons déjà noté la question que Simon-Pierre a posée au disciple, qui est près de Jésus lors de la dernière soirée avec Jésus : « Demande de qui il parle ». Dans cette question, il y a plus que la volonté de connaître. Nous pouvons voir ici le sens du devoir de Simon-Pierre. Comme nous le savons, il avait reçu une mission à Césarée de Philippe, celle d'être la pierre de fondation de la communauté, de l'Église du Seigneur. Il ne peut donc pas rester impassible au moment où il apprend qu'il y a une trahison. Il réagit. Il assume sa responsabilité. Cette trahison menace Jésus mais elle menace aussi la communauté. Par cette question, Simon-Pierre met en œuvre son sens du devoir. Il le met au service de la recherche de l'unité, de la lutte contre une division potentielle.
À Gethsémani, au moment de l'arrestation de Jésus, Simon-Pierre est à nouveau confronté à son vieux démon de la peur. Il réagit de deux façons. D'abord, il veut exorciser sa peur par la violence 14. Il nie sa peur en frappant l'agresseur de Jésus par l'épée. Mais, au moment où ce moyen lui est interdit par Jésus, la peur se révèle et Simon-Pierre s'enfuit avec tous les autres disciples. Dès l'instant où le premier moyen pour dominer la peur n'est plus possible, il ne reste alors que le second, la fuite. Ces deux attitudes sont connues comme étant respectivement une attitude contre-phobique et une attitude phobique.
L'attitude phobique de Simon-Pierre se manifeste encore au prétoire quand il est interpellé à trois reprises et qu'il nie autant de fois être un des disciples de Jésus 15. Pour être honnête, il faut relever dans cet épisode que, malgré la peur qui domine Simon-Pierre à Gethsémani, son orientation de loyauté envers Jésus le pousse à le suivre jusqu'au prétoire, malgré sa peur et le danger potentiel que représente cette démarche. Il vit son orientation de loyauté envers Jésus jusqu'aux limites où il est humainement possible d'aller. Cette péricope montre un Simon-Pierre profondément humain, tiraillé entre sa loyauté envers Jésus et la peur d'être lui aussi arrêté.
Loyauté envers un nouveau peuple
St. Jn. 21,15-19
Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime », et Jésus lui dit alors : « Paix mes agneaux. » Une seconde fois, Jésus lui dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. » Une troisième fois, il dit : « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois : « M'aimes-tu ? » et il reprit : « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime. » Et Jésus lui dit : « Pais mes brebis. »… et après cette parole, il lui dit : « Suis-moi ».
Traduction Œcuménique de la Bible
Après la résurrection, le Seigneur aide Simon-Pierre à retrouver et à confirmer sa loyauté envers lui. Le moyen en est le dialogue au bord du lac, avec les trois questions après le déjeuner. Avant ce dialogue, nous savons que Simon-Pierre était parti pêcher avec d'autres disciples. Mais quand le disciple que Jésus aimait a reconnu Jésus au bord du lac, Simon-Pierre s'est jeté à l'eau depuis la barque. Cette fois, Simon-Pierre ne sort plus de la barque pour vérifier l'identité de Jésus, comme dans l'épisode de la tempête apaisée que nous avons vu. Il se met à nager pour retrouver plus rapidement celui qui lui manque, celui dont il attend quelque chose… et il ne sera pas déçu. Il rencontrera la confiance du ressuscité envers lui et il y puisera un courage renouvelé.
Ce dialogue final inaugure un nouveau commencement dans la vie de Simon-Pierre. Ce dialogue est très riche mais je retiens seulement un aspect de la personnalité de Simon-Pierre qui me semble spécialement significatif. Grâce aux trois questions que Jésus lui adresse, Simon-Pierre exprime et libère une force positive. Le centre émotionnel, longtemps réprimé, s'exprime enfin positivement. Ses doutes, ses suspicions, ses craintes et ses peurs sont vaincus. « Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais. »
L'ordre de mission reçu de Jésus va donner un visage à l'amour que Simon-Pierre exprime en paroles. Dorénavant, l'orientation de loyauté ne sera plus enracinée dans les traditions que Simon-Pierre avait reçues à sa naissance mais enracinées en une relation nouvelle avec le Christ et elle s'exprimera dans le service et l'attention aux brebis : « Sois le berger de mes brebis. » La mission de Simon-Pierre sera l'expression de sa loyauté envers le Christ. C'est un Simon-Pierre transformé et renouvelé, en possession d'un potentiel mental, émotionnel et énergétique renouvelé qui entend le ressuscité lui dire : « Suis-moi. »
Notes
1 Bible et Ennéagramme, Albin Michel, 2013, 361 p., écrit en collaboration.
2 Lc 5,5.
3 Mt. 14,28.
4 Mt 14,27.
5 Lc 5,5.
6 Jn 6,68.
7 Lc 5,9.
8 Ibid. p. 148.
9 1 n 4,18.
10 Jn 1,42.
11 Mt. 19,27.
12 Jn 13,36.
13 Jn 13,24.
14 Jn 18,10-11.
15 Jn 18,15-27.
© Copyright Jean-Pierre Roth et Institut Français de l'Ennéagramme, 2014. Tous droits réservés dans le monde entier.
Les opinions émises dans cet article sont celles du ou des auteurs et n'engagent aucunement l'Institut Français de l'Ennéagramme®.