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Le Pont de la rivière Kwaï
Analyse

Colonel Nicholson (Alec Guinness) & Colonel Saito (Sessue Hayakawa) : 1

Les films fondés sur l’affrontement de deux personnages jouent généralement de l’opposition de leurs caractères. Ici, tout l’intérêt vient au contraire de la similitude de la psychologie des colonels Nicholson et Saito. Il est fascinant de les voir, tout au long du film, prendre des actions parallèles et employer les mêmes mots.

Les deux colonels croient en la valeur du travail comme fondement de la dignité humaine :

Colonel Saito Colonel Nicholson

"Si vous travaillez avec zèle, vous serez bien traités. Si vous ne travaillez pas avec zèle, vous serez punis."

"La joie par le travail."

"Les officiers sont des paresseux. Ils croient que c’est indigne d’eux de partager votre travail. Ce n’est pas juste. C’est pourquoi vous ne travaillez pas dans la joie."

"Il n’y a plus d’ordre, ni de discipline. Notre tâche est de reconstituer le bataillon. Ce ne sera pas une chose facile mais heureusement nous avons un moyen d’y arriver. Le pont."

"Si nous n’avions pas de travail à leur donner, il faudrait en inventer."

Bien entendu, quand on fait un travail quel qu’il soit, même pour l’ennemi, il ne peut être que de qualité. Il s’agit là aussi d’une question de dignité : "Je connais les hommes. Il est essentiel qu’ils soient fiers de ce qu’ils font." Il faut voir l’air émerveillé de Nicholson quand un de ses officiers lui annonce qu’il y a dans les environs du camp des "arbres qui ressemblent beaucoup à de l’orme" et que les piliers en orme du Pont de Londres ont duré plus de six cents ans : "C’est très remarquable."

Le colonel Nicholson ne peut donc pas comprendre que ses hommes sabotent le travail qu’ils sont contraints de faire pour l’ennemi et, pire, qu’ils ne se conduisent pas correctement :

  Colonel Nicholson : Combien d’hommes dans votre détachement, caporal ?
  Le caporal : Mon colonel, je ne sais pas exactement.
  Colonel Nicholson : Vous ne savez pas ?
  Le caporal : Ben, il y en a douze en général. Mais il y a un homme qui est tombé subitement malade ce matin. Alors il a fallu deux ou trois ou même quatre hommes pour l’emmener. [Le caporal fait de gros clins d’œil pour faire comprendre qu’il s’agit là d’une fausse maladie.] C’est qu’il avait l’air terriblement malade.
  Colonel Nicholson : Un caporal doit toujours connaître exactement l’effectif qu’il a sous ses ordres en toutes circonstances.
  Le caporal : [Nouveaux clins d’œil et en détachant bien les mots] Je sais, mon colonel.
  Colonel Nicholson : Si ce ne sont pas des tics nerveux, cessez immédiatement de faire des grimaces. C’est peut-être très drôle, Hugues. Il le fait peut-être dans la meilleure intention mais ce n’est pas un comportement militaire.

Pour atteindre cette indispensable qualité, il est normal de faire tous les efforts possibles :

  Colonel Nicholson : J’ai décidé de modifier le rendement quotidien demandé à nos hommes.
  Colonel Saito : Le modifier ?
  Colonel Nicholson : Je l’augmente.

S’il ne travaille pas, l’homme n’est plus rien. Il risque de "se désintégrer dans l’oisiveté". Lorsqu’il fait un discours à la fête qui marque la fin de la construction du pont, Nicholson dit à ses hommes : "Maintenant que votre travail est fini, beaucoup doivent éprouver un sentiment de vide." Tous les sacrifices sont donc nécessaires pour que le travail soit fait. Au début du film, le colonel Saito veut faire travailler les officiers et les malades et Nicholson s’y oppose ; mais à la fin, comme la date limite approche, c’est lui qui va "demander aux officiers d’aider" et qui va mobiliser les malades à l’infirmerie : "Un peu d’air frais et des tâches légères."

Nicholson et Saito ont donc tout pour s’entendre. Le problème va surgir du fait que le colonel Saito veut faire travailler les officiers anglais. De son point de vue, c’est une décision "juste" puisque ces officiers ont renoncé à leur rôle et se sont déshonorés en se rendant au lieu de combattre. Du point de vue de Nicholson, c’est inacceptable puisque contraire à l’article 27 de la Convention de Genève. Pour Nicholson, les lois structurent la communauté humaine :

  Shears : Excusez-moi. J’ai peur de ne pas très bien vous suivre. Vous avez réellement l’intention d’observer les lois à la lettre malgré ce que ça peut coûter ?
  Colonel Nicholson : Sans les lois, Commandant, il n’y a pas de civilisation.
  Shears : C’est bien ce que je veux dire. Ici, il n’y a pas de civilisation.
  Colonel Nicholson : Et bien, c’est l’occasion pour nous de l’y introduire.

Le colonel Nicholson est alors obligé d’affronter Saito : "Puisque vous refusez de vous conformer aux lois du monde civilisé, nous nous considérons comme dégagés de toute obligation de vous obéir." Leur opposition ne peut être que violente et chacun, persuadé de son bon droit, est contraint d’aller jusqu’au bout. "Mais vous ne voyez pas que c’est une question de principe" dit Nicholson au major Clipton pour justifier son intransigeance. C’est à l’autre de reconnaître le droit et donc d’être raisonnable :

Colonel Saito Colonel Nicholson

"Vous allez être raisonnable."

"Il m’a fait l’effet d’être tout à fait raisonnable."

Il est tout à fait raisonnable depuis que nous avons pris les rênes.

Si l’autre n’est pas raisonnable, c’est qu’il est fou :

Colonel Saito Colonel Nicholson

"Il est fou votre colonel, il est fou"

"Cet homme est le plus mauvais chef que j’ai jamais rencontré. Je crois qu’en fait il est fou à lier."

Alors, tout ce qui arrive est de sa faute :

Colonel Saito Colonel Nicholson

"C’est lui qui est responsable. Pas moi."

"Nous avons perdu un mois à cause d’un regrettable incident dont je ne m’estime nullement responsable."

Cette folie de l’autre, ce non-respect des valeurs importantes déclenchent la colère, maîtrisée par un flegme tout britannique chez le colonel Nicholson, plus visible et plus exprimée chez Saito : "Je hais tous les Anglais. Vous avez été vaincus mais vous n’avez pas de honte. Vous êtes têtus mais vous n’avez pas de fierté. Vous êtes durs mais vous n’avez pas de courage. Je hais tous les Anglais."

Ce thème de la honte est là aussi commun aux deux hommes. C’est une honte devant du travail mal fait et devant des valeurs non respectées :

Colonel Saito Colonel Nicholson

"Je dois déclarer la vérité avec la plus profonde honte."

"Nous pouvons donner à ces sauvages une leçon sur l’efficacité des méthodes occidentales qui leur fera honte."

Il vaut certainement mieux mourir qu’accepter d’avoir mal travaillé ou de n’avoir pas vécu selon ses valeurs. Le colonel Nicholson se fait tuer pour sauver son pont de la destruction par les hommes de son camp : "Faire sauter le pont ? Non ! Non !" Avant d’être tué par le commando britannique, le colonel Saito se préparait à se suicider pour n’avoir pas su mener seul le projet à bien.

Identification avancée : Nicholson est un 1 μ de sous-type social ("Inadaptation") ; Saito est un 1 α de sous-type conservation ("Anxiété").

Shears (William Holden) : 7

Plaisanter et tirer au flanc sont les deux activités majeures de Shears pendant cette guerre. Simple matelot dans la marine américaine, sur le point d’être fait prisonnier, il change d’uniforme avec un mort afin d’être considéré comme un officier par les Japonais qui le font prisonnier. Il espère ainsi être mieux traité. Après son évasion, dans le camp des forces alliées, il continue parce que cela lui "procure de réels avantages".

Pendant son séjour au camp du colonel Saito, Shears réussit à passer la majeure partie de son temps planqué à l’infirmerie en trichant et en achetant les gardes japonais, notamment avec des objets prélevés dans les affaires de ses camarades morts au travail. De retour chez les troupes alliées, il réussit à se procurer de l’alcool malgré le règlement, il drague son infirmière…

La guerre, le courage, les règlements n’intéressent pas Shears. Il préfère les raisons de vivre aux raisons de mourir : "Vous me faites mal au cœur avec votre héroïsme. Vous et le colonel Nicholson, vous êtes les deux mêmes. Savoir mourir noblement ! Savoir crever dans les règles ! Quand la seule chose importante, c’est de savoir vivre comme un être humain." Rien ne doit céder le pas devant ce désir de vivre : "Je me fous pas mal de votre pont comme je me fous de vos règlements."

Shears considère la situation avec cynisme. Quand il dit quelques mots sur la tombe d’un autre prisonnier qu’il vient d’enterrer, il s’interroge sur la raison de sa mort : "[…] pour la plus grande gloire de… Pour la plus grande gloire de qui au fait ?"

Shears a toujours un plan pour se sortir d’affaires et il est optimiste sur son succès :

  Warden : C’est un plan qui n’est pas bête.
  Shears : Et il est impossible que cela ne marche pas.

Shears évalue les situations selon qu’elles sont ou non une "bonne rigolade". Mais même quand il est mis en échec, il prend les choses avec le sourire : "Étant donné que je suis coincé, je n’ai plus qu’à me porter volontaire." Quelles que soient les circonstances, Shears est prêt à plaisanter pour chasser une émotion déplaisante ou pour éluder une responsabilité. Quand les hommes de Nicholson arrivent au camp de Saito et que le garde japonais lui donne l’ordre de s’interrompre dans son travail de fossoyeur, il approuve : "Oui, évidemment. Si les nouveaux prisonniers nous voient creuser des tombes, ils ne vont pas vouloir rester." Quand on lui demande son avis sur l’intégration de Joyce dans le commando chargé de faire sauter le pont, il répond par une pirouette : "Il est canadien mais c’est en harmonie avec la composition cosmopolite de cette formation. Puisqu’il a tellement envie d’y aller, je lui céderais même ma place." Quand il apprend qu’il va devoir faire lors de la mission son premier saut depuis un avion "en priant que ça réussisse", il rétorque : "Avec ou sans parachute ?"

Comme très souvent pour les 7, l’humour de Shears n’est pas toujours compris : "Ça suffit, hein ! Il n’y a pas de raisons de se moquer d’un mort" ou "Pas le moment de plaisanter."

Identification avancée : Shears est un 7 α à aile 8 de sous-type sexuel ("Imagination").

Autre

Un autre personnage peut être identifié sur l’Ennéagramme :

Le Major Clipton (joué par James Donald), le médecin du camp, est probablement un 9.

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description du film