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Un air de famille
Analyse

Denis (Jean-Pierre Darroussin) : 9

Denis est un peu décalé, en retrait par rapport à la vie. Il manifeste une certaine forme d’innocence attendrissante. Il oublie et s’oublie facilement comme dans cette scène où sa candeur fait plaisir à voir :

  Denis : On ne devait pas s’appeler ?
  Betty : Non, c’est toi qui devais m’appeler.
  Denis : Moi ? Comment moi ? J’ai dit que je t’appellerai ? T’en es sûre ?
  Betty : Arrête, je t’en prie.
  Denis : Attends, je m’en souviens pas. Est-ce que j’ai dit que j’appellerai ? Moi ?
  Betty : Je m’en souviens pas non plus. Ça me déprime ces conversations.
  Denis : T’es sûre qu’on avait précisé les choses à ce point ? Ah là, j’ai complètement oublié. Bizarre.
  Betty : Bizarre ? C’est pas si bizarre que ça. Ça arrive une fois sur deux.

À chaque fois que c’est possible, Denis évite les conflits : "Je suis neutre, moi." ou "Je me suis jamais posé la question." C’est pourtant difficile avec Henri qui, quand il ne le houspille pas, fait sans cesse appel à son soutien :

  Henri : C’est pas vrai Denis ?
  Denis : Quoi ? Moi encore. Mais pourquoi toujours moi ?

Même dans les moments les plus difficiles pour lui, Denis ne montre aucune agressivité :

  Betty : On va arrêter cette chose-là, cette espèce de relation merdeuse à la petite semaine. On va arrêter tout cela. Ce sera clair au moins.
  Denis : Cette relation merdeuse ?
  Betty : C’est une image.
  Denis : Oui, c’est une image forte.
  Betty : Cette relation à la con, si tu préfères.
  Denis : Ben oui. À la limite je préfère.

Même là, il laisse l’initiative à l’autre :

  Denis : C’est toi qui décides.
  Betty : Comme d’habitude.

Le 9 ne se met pas en colère, mais celle-ci existe, profondément enfouie. Parfois, elle se manifeste par un humour ravageur employé dans des circonstances où il sera accepté ou incompris de façon à ne pas provoquer le conflit. Par exemple, quand Philippe porte un toast pour l’anniversaire de sa femme Yolande et qu’il parle de leurs quinze ans de mariage, "15 ans sans jamais se plaindre", Denis déclare : "Mes félicitations, Madame Ménard."

Après avoir été longtemps étouffée, la colère finit par exploser avec violence. Denis en arrive à agresser physiquement Philippe : "Attention, parce que je prends peut-être du temps, mais quand j’y suis, j’y suis."

Quand c’est possible, Denis ne fait pas grand-chose : "À plat ventre sans rien faire, c’est plutôt bien." Henri le sait, qui dit de lui : "Sitôt qu’il y a un moyen de rien foutre, il saute dessus." Plutôt que de faire son travail, il se réfugie dans les livres, son mécanisme de narcotisation.

Denis manifeste aussi la profonde compréhension et acceptation des autres caractéristiques du 9. Son humanité illumine le film.

Identification avancée : Denis est un 9 α.

Henri Ménard (Jean-Pierre Bacri) : 6

Henri est effroyablement routinier et traditionnel. Pour le repas de famille hebdomadaire, il met son "petit gilet du vendredi". Il s’exprime par lieux communs avec une prédilection pour les dictons : "Trop bon, trop con", "On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre", "Il n’y a que la vérité qui blesse"… Le monde et les gens doivent fonctionner selon des règles bien établies : par exemple, une joueuse de tennis professionnelle ne doit pas jouer en short, mais en jupette. Ces règles et cette routine lui paraissent suffisantes pour maintenir un couple : "Je croyais qu’elle allait revenir, moi. Pendant un moment, je me suis dit : « Elle va s’apercevoir que c’est pas possible. On est trop habitué maintenant. Elle peut pas me laisser tomber au bout de 15 ans. » Je suis con. Je crois au Père Noël."

Il attache énormément d’importance à sa réputation sur le plan mental. Betty le lui rappelle : "Tu dis toujours que tu ne veux pas être pris pour un imbécile." Plusieurs fois dans le film, il parle de sa hantise d’être "pris pour un con". Quand Arlette lui téléphone, c’est une des premières choses qu’il lui demande : "Tu ne m’as pas trouvé trop con ?"

Bien évidemment, il exerce dans ce domaine la tendance du 6 à chercher un sens caché aux propos des autres :

  Betty : Tu comprends quelque chose au marché des ordinateurs ?
  Henri : Ben oui, c’est vrai, je suis un con. Je suis l’imbécile de la famille.

Cette attitude est en fait systématique :

  Philippe : Ça va, Riri ?
  Henri : Ben oui, ça va. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’y a ?
  Philippe : Y’a rien.
  Henri Tu dis "Ça va, Riri ?" avec un air… On dirait un docteur.

Aussi quand Arlette lui annonce qu’elle va réfléchir quelques jours chez une copine, il est tout de suite soupçonneux : "Et qui c’est qui t’a foutu ces idées dans la tête d’abord ?"

Dans la vie, Henri préfère prendre toutes ses précautions. Il a oublié de regarder son frère Philippe à la télévision. Il ne peut évidemment pas avouer aux membres de sa famille ce manque de loyauté à leur égard et il se fait donc raconter l’émission par Betty :

  Henri : Comment il était habillé ?
  Betty : Ils vont pas t’interroger à ce point-là.
  Henri : Non, mais on ne sait jamais.

Henri est d’ailleurs bien conscient que son mental lui sert à prévoir les dangers qui le guettent : "Si tu te mets à penser à tout, y’a toujours moyen de trouver quelque chose qui va pas. Alors on s’en sort plus."

Le film montre son intégration sous l’influence bénéfique de l’humanité de Denis et de la tendresse de Betty. Il passe d’un péremptoire "On change pas" asséné à Denis au "Je peux changer" promis à Arlette lors du coup de téléphone final.

Identification avancée : Henri est un 6 α de sous-type sexuel ("Force-Beauté").

Betty Ménard (Agnès Jaoui) : 4

En noir, mélancolique, "déprimée par ses conversations" avec Denis, Betty est un 4 exemplaire.

Elle est en révolte comme la norme sociale et défend haut et fort sa différence : "Je sais. Je suis pas dans les temps. Je respecte pas le règlement. C’est un tort. Ben foutez-moi en prison. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Il faut être dans la norme. Ça fait chier ! Merde !" Dans ce domaine, le pire c’est bien évidemment le conformisme social de Philippe, le 3 : "Tu vas nous gonfler longtemps avec ton règlement ?"

C’est cette différence et en même temps la préoccupation du 4 pour le respect dû aux autres qui l’empêchent de participer complètement à une fête d’anniversaire :

  La mère : Et toi Betty, qu’est-ce que tu lui offres à Yoyo ?
  Betty : [silence]
  La mère : Non, je te taquine.
  Philippe : Tu penses bien qu’elle va pas s’amuser à faire un cadeau comme tout le monde. C’est banal. C’est pas assez singulier. C’est au-dessus de tes forces de faire un geste ?
  Betty : À date fixe ! Tu parles d’un geste. On peut ignorer les gens toute l’année ou les traiter comme de la merde.

Avec Denis, elle est typiquement dans l’alternance de rejet quand il est proche et d’attirance quand il est loin. Elle dit à sa famille qu’elle connaît un garçon formidable, mais avec lui, cela devient "On parlait pas de toi" ou pire "On va arrêter cette chose-là, cette espèce de relation merdeuse à la petite semaine. On va arrêter tout cela. Ce sera clair au moins."

Elle prend en compte les émotions des gens et la considération auxquels ils ont droit. Elle ne supporte pas la manière dont Benito la traite, dont Henri traite Arlette et Denis, dont Philippe traite Yolande, dont la mère traite Henri… et se révolte à l’occasion.

Identification avancée : Betty est un 4 de sous-type conservation ("Intrépidité").

Philippe Ménard (Wladimir Yordanoff) : 3

Philippe est une caricature de 3 plutôt désintégré. Il ne s’intéresse qu’à son image. Comment sa prestation à la télévision a-t-elle été perçue ? Cette question hante toute sa soirée. Sa cravate était-elle appropriée ou non ? A-t-il bafouillé ou non ? A-t-il assez ou trop souri ? Qu’en ont pensé ses collègues, Michaud au franc-parler, le numéro 5 dans la hiérarchie de l’entreprise, et Benito le numéro 3, petit chef sadique ? Comme il doit appeler Benito à une certaine heure, il "ne pense qu’à ça". Sa femme dans ses bras, triste et désemparée, il guette sur sa montre l’heure fatidique.

Autre souci pour Philippe : Betty a dit ses quatre vérités à Benito. Lui qui dans le secret de sa famille le critique et le méprise, il est inquiet de sa réaction ou plutôt de l’impact de l’incident sur son image : "Il ne me fera plus confiance. Je vais passer pour un type qui fait engager des hystériques." Son image et sa réussite étant menacées, le côté souriant et relationnel disparaît, remplacé par une incroyable agressivité. Betty est l’objet de violences verbales et de menaces au point de déclencher la réaction de Denis.

Identification avancée : Philippe est un 3 μ vraisemblablement de sous-type social ("Prestige").

Autres

D’autres personnages, moins tranchés, peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Yolande Ménard (jouée par Catherine Frot) est très probablement un 1 α. Le plus fort indice en est la permanence de son mécanisme de défense, la formation réactionnelle. Yolande passe son temps à réprimer ses émotions et à réagir de façon correcte : elle accepte de se laisser manipuler par Philippe et de passer son dîner d’anniversaire dans le bistrot d’Henri, elle remercie pour le cadeau du chien, elle remercie encore ("Merci mon chéri, merci.") quand Philippe lui offre un collier de chien pour son anniversaire, elle est désolée quand elle finit par en pleurer, elle s’excuse auprès de sa belle-mère quand son mécontentement s’est exprimé, etc.

Sérieuse tout le temps, elle estime qu’elle a droit à une pause en ce jour de fête :

  Yolande : C’est mon anniversaire. Je danse. Je bois. Quand est-ce la dernière fois que j’ai bu ?
  Philippe : Je ne sais pas. Je m’en souviens plus.
  Yolande : Moi non plus.

Même si elle sait qu’"il faut qu’[elle] fasse attention parce qu’[elle est] rapidement pompette", elle va aller un peu trop loin. Le vernis de sérieux craque alors : sa colère se manifeste après sa belle-mère et après Philippe qui la trompe ouvertement, mais elle exprime aussi son envie de vivre (la danse avec Denis) et ses capacités humaines (elle est la seule à remercier Henri du repas).

La mère (jouée par Claire Maurier) manifeste plus son centre réprimé, l’émotionnel, que son centre préféré. Elle est dure avec Henri, Betty et Yolande. Elle pense que son mari était trop gentil. Elle cherche à dissuader Henri d’aller voir Arlette : "Moi je trouve que c’est s’abaisser" ou "La mendicité en amour, ça ne marche pas. Ça n’attendrit pas. Ça irrite."

Elle est très vraisemblablement un 3 α par son attachement à l’image (transformer le bar en un pub avec terrasse) et sa préférence marquée pour Philippe, celui de ses enfants qui a réussi socialement.

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