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Amadeus
Analyse

Antonio Salieri (F. Murray Abraham) : 4

Salieri est le personnage intéressant de ce film, celui dont la psychologie et la souffrance servent d’axe à l’œuvre. Son personnage constitue une description parfaite d’un des éléments fondamentaux du type 4 : sa passion, l’envie.

Claudio Naranjo écrit : "Chez le 4, sur le plan des motivations, l’envie est l’élément le plus caractéristique. L’envie implique une comparaison douloureuse entre soi et les autres qui est ressentie comme une absence de valeur, une fureur compétitive ou un désir excessif d’obtenir des avantages. L’envie peut s’exercer envers des personnes spécifiques, comme une sœur ou un frère, ou de façon plus générale (par exemple l’envie du sexe opposé ou l’envie de ceux qui sont privilégiés ou riches)." [Transformation through Insight: Enneatypes in Life, Literature and Clinical Practice. Prescott (Arizona) ; Hohm Press ; 1997. p. 190] On croirait lire une description de Salieri !

Comme tous les membres du centre émotionnel, Salieri est sensible à son image. Dès qu’il apprend que le prêtre qui vient essayer d’obtenir sa confession a pratiqué la musique, il cherche à savoir s’il a entendu ses œuvres : "Vous devez connaître ceci ? […] Tenez connaissez-vous cela ? À l’époque, je reçus une folle ovation." Enfant déjà, il admirait Mozart ("Il était mon idole. […] Depuis toujours je connaissais son nom.") et c’était surtout pour ses succès, parce qu’il jouait "devant les rois, les empereurs et même devant le pape à Rome".

Cependant Salieri ne rêve pas que de gloire. C’est un musicien, un véritable artiste et c’est bien pour cela que sa douleur devant le génie de Mozart est émouvante. Enfant, il souffre de ne pouvoir faire comprendre à son père l’importance de la musique dans sa vie ("Comment dire à ce genre d’homme ce que la musique représentait pour moi ?"). Devant cette incapacité à se faire comprendre, Salieri envoie à Dieu "la plus vibrante des prières d’enfant" : "Seigneur, fais de moi un grand compositeur. Fais que mon œuvre me vaille l’amour des hommes." Bien sûr, en tant que 4, il dramatise en exprimant sa connexion au 1 : "En retour, je veux t’offrir ma chasteté, mon travail acharné et mon extrême humilité. J’y mettrai toute mon âme."

Cet amour de la musique, ce profond sens artistique lui fait sentir aussitôt ce qu’il y a d’extraordinaire dans la musique de Mozart : "C’était une musique exceptionnelle. […] Il me semblait entendre la voix de Dieu." Quand il a en mains les originaux des œuvres de Mozart que sa femme Constance lui a apporté, il défaille d’émotion : "Stupéfiant ! Étourdissant ! On croyait vivre un rêve. C’était là ! Un premier, un seul et unique premier jet. Mais on n’y voyait aucune correction d’aucune sorte. Pas une seule ! […] Une musique achevée comme jamais musique ne put l’être. Là encore, c’était la voix même de Dieu. […] Tout un absolu de beauté." Lorsqu’il assiste à la représentation des Noces de Figaro, il commente : "J’entendais la musique de la vraie réconciliation emplir le théâtre accordant à chacun de ceux qui étaient là une parfaite absolution. Dieu chantait à travers ce petit homme un chant du monde irrépressible."

Son amour pour la musique de Mozart est tel qu’il est son spectateur le plus assidu : il s’arrange pour que Don Giovanni ne soit joué que cinq fois, mais "en secret" il se rend "avec ferveur à chaque représentation". Son admiration et son émotion sont tellement fortes qu’il ne peut pas ne pas les exprimer avec sincérité. À Constance qui s’inquiète ("C’est sans valeur ?"), il répond : "C’est miraculeux !" Il l’affirme plusieurs fois à Mozart, par exemple à la fin des Noces : "J’ai trouvé cela merveilleux." Dans la pathétique scène où il note le Requiem sous la dictée, il jubile devant la beauté de ce qu’il retranscrit et s’exclame : "C’est magnifique !" Il rassure même Mozart après la représentation de La Flûte enchantée :

  Mozart : Ce n’est qu’un vaudeville.
  Salieri : Non ! Non ! C’est une œuvre sublime. Le plus grand opéra ! Je vous le dis, vous êtes le plus grand compositeur que j’ai jamais connu.

L’admiration de Salieri pour Mozart fait qu’il ne rêve en réalité que de son approbation. Plusieurs fois, il lui demande son avis sur ses œuvres. Quand il fait jouer son opéra et que l’empereur le congratule et déclare que c’est le plus bel opéra jamais composé, il est indifférent à ces louanges dans l’attente de l’avis de Mozart : "Y avez-vous pris plaisir ?"

Même si la différence de talent est énorme, le 4 Salieri la dramatise et l’exagère : il en déduit qu’il est insignifiant ce qui est bien évidemment inexact ("Ce n’est pas Mozart qui riait de moi. C’était bien Dieu. […] Étale ma médiocrité aux yeux de tous !"). Pour un 4 dont la compulsion est d’éviter la banalité, peut-il y avoir pire constat ?

Comme si cela ne suffisait pas, toute la personnalité de Mozart est une injure à ses valeurs et à son style de vie. Dès la première rencontre, Salieri est abasourdi et indigné : "Et ça, c’était Mozart ! Ça ! La créature gloussante, le ribaud obscène que je venais de voir." Ce contraste entre sa vertu et la débauche de Mozart est plus qu’il ne peut comprendre : "Mais pourquoi ? Pourquoi Dieu avait-il choisi cet enfant obscène comme instrument ?" Il y a là l’injustice suprême : "Si [Dieu] n’avait pas voulu que je le prie avec ma musique, pourquoi implanter ce désir tel un élan charnel au fond de mon corps ?"

L’envie est alors exacerbée, elle crée une souffrance telle qu’elle doit absolument être dramatisée et sublimée. Salieri ne peut pas être en conflit avec Mozart, ce serait indigne ; il est donc en guerre avec Dieu : "Désormais, nous deux, nous sommes ennemis jurés, Toi et moi, lorsque Tu as choisi pour interprète ce vantard, ce garçon obscène, grivois, infantile. Puisque tu es injuste, déloyal, cruel, je Te ferais obstacle, je le jure, j’entraverai, je ferai du mal à Ta créature sur terre de toutes mes forces. Oui, moi, je veux ruiner Ton incarnation."

Identification avancée : Salieri est un 4 μ de sous-type conservation ("Intrépidité"), même si le film attache plus d’importance au fonctionnement de son instinct sexuel ("Compétition").

Wolfgang Amadeus Mozart (Tom Hulce) : 7

Mozart n’a que deux idées en tête : composer de la musique et jouir de la vie.

La première scène du film où il apparaît est significative à cet égard. Il poursuit une fille dans les salons de l’archevêque Colloredo, la lutine sous une table quand soudain il s’aperçoit que le concert qu’il devait diriger a débuté : "Ma musique ! Ils ont commencé sans moi !" Il se précipite alors pour prendre la tête de l’orchestre. Le concert achevé, il considère les événements avec optimisme : "Ça s’est admirablement passé." Il y a là tout l’irréalisme que peut montrer le 7, et Mozart est bien surpris quand la colère de l’archevêque éclate : "Plus je vous accorde de liberté, plus vous en prenez."

La liberté, Mozart y tient énormément que ce soit vis-à-vis de ses protecteurs, de son père ou de sa femme. Quand il lui semble qu’elle est limitée, sa colère éclate. Parfois, c’est de manière indirecte, comme quand il montre son derrière à l’archevêque sous le prétexte de saluer ses admirateurs. Plus souvent la colère est directe, même devant l’empereur. Il déclare à ses conseillers musicaux italiens : "L’amour, vous en ignorez tout. Enfin si on s’en réfère à vos opéras. […] Rien à voir avec l’amour, ce n’est que pures foutaises !" Ou bien : "Élevés ! Des choix élevés ! On n’entend que ce mot-là ! Élevés ! Et bien, j’en ai une véritable nausée, moi, de toutes ces fariboles élevées, toutes ces vieilles lunes." Quand Joseph II trouve qu’il y a "trop de notes" dans L’Enlèvement au sérail, il explose : "Mais c’est absurde !" Il polémique avec le chambellan :

  Mozart : Pourquoi Herr Chambellan ? Pourquoi faut-il soumettre des pages de mon œuvre à un comité stupide et borné avant d’instruire une fille de treize ans ? […] Les Italiens ! Musicalement des crétins ! Et ce sont ces hommes qui jugent ma musique ? Je le dois ?
  Le chambellan : Oui.
  Mozart : Je m’y refuse.

Mais dire cela ou employer des expressions comme "Ils chient du marbre" devant l’empereur, même s’il est aussi indulgent que Joseph II, n’est pas réellement du courage. C’est un mélange de passion, d’optimisme, d’infantilisme et d’incompréhension psychologique assez caractéristique de certains 7.

Car Mozart n’est vraiment pas psychologue :

  • Il demande plusieurs fois de l’aide à Salieri ;
  • Il corrige devant l’empereur la marche que Salieri a écrite pour lui souhaiter la bienvenue : "N’y aurait-il pas un petit défaut là ? […] C’est mieux. Qu’en dites-vous ?" ;
  • Il emmène son père, le rigoureux Léopold, à une fête ;
  • Il humilie Salieri qui lui dit qu’il devrait mettre "un bon dzinn-boum à la fin des arias pour que [les Viennois] sachent quand applaudir" : "Vous pourriez m’en apprendre à cette école-là." ;
  • Il se moque de Salieri par l’ambiguïté de ses réponses quand ce dernier lui demande son avis sur son opéra :
  Salieri : Mozart ! comme c’est gentil d’être venu !
  Mozart : Avais-je un autre choix ?
  Salieri : Y avez-vous pris du plaisir ?
  Mozart : Oh, jamais je n’aurais cru qu’une musique pareille fût possible.
  Salieri : Là, vous me flattez.
  Mozart : On se dit devant de tels sons : ça ne peut être écrit que par Salieri.
  Salieri : Grazie.

Pourquoi faire attention puisque la vie n’est qu’une plaisanterie ? Quand il réécrit une mélodie de Salieri, c’est "une petite chose très drôle mais avec quelques bonnes idées". Quand sa femme montre ses jambes au cours de la fête, il rassure son père : "Ce n’est qu’un jeu, Papa." Quand il présente L’enlèvement au sérail à Joseph II : "C’est très amusant Majesté." Lorsque Salieri lui envoie anonymement une servante : "C’est une plaisanterie ?" Quand l’empereur s’oppose à la réalisation des Noces de Figaro : "Mais Majesté, ce n’est qu’une comédie ! […] Mais Majesté, ce n’est qu’un divertissement ! […] C’est vraiment très comique cette situation." Quand le directeur du théâtre veut voir ses partitions : "Tout est prêt, là, dans ma citrouille. Le reste, c’est que du gribouillis. Gribouillis, ma bouillie, ma bouillie, gribouillis."

Il y a là une vraie gaieté qui se manifeste aussi quand Mozart marche en dansant dans la rue ou quand il rit. Mais le rire est parfois un moyen de cacher ou de détourner un malaise : face à l’empereur ("L’histoire se déroule dans [rire] un harem, dans un sérail."), avec la cantatrice Katerina Cavalieri quand la mère de Constance la présente à Joseph II comme "la fiancée de Herr Mozart", quand son père, arrivant à l’improviste en pleine journée, découvre l’appartement en désordre et Constance au lit…

Empêché de s’amuser, Mozart est irrité. La fille qui ne comprend pas quand il lui fait des propositions grivoises en parlant à l’envers n’est qu’une "tête de buse". Quand Constance ne veut pas aller à la fête parce qu’ils ont trop de dettes, il lui assène : "Ce que tu peux être embêtante !" S’il ne peut régler ainsi les problèmes, il s’enfuit comme lors du conflit entre Constance et son père.

En dehors de l’amusement, une autre chose excite Mozart et est un justificatif à tout : la nouveauté. Il jubile quand Joseph II trouve nouvelle la musique de L’enlèvement au sérail : "Oui ! Oui ! Nouveau ! N’est-ce pas Sire ?" Il réutilise l’argument pour convaincre l’empereur de monter Les noces de Figaro : "Mais c’est nouveau. Tout à fait nouveau. C’est si nouveau que le public le plébiscitera."

À côté de tout cela qui le fait percevoir comme "un enfant égoïste", il y a son extraordinaire génie, sa vitesse de pensée et sa facilité qui le rendent incompris. "Je ne comprends pas", dit Salieri quand il note le Requiem et qu’il peine à suivre le rythme de dictée Mozart :

  Mozart : Est-ce que vous y êtes ?
  Salieri : Vous allez trop vite.
  Mozart : Est-ce que vous y êtes ?
  Salieri : Vous allez trop vite.

Totalement conscient de sa supériorité intellectuelle et artistique, Mozart l’affirme sans ambages :

"Je me ferais un devoir de l’orner de la plus belle musique jamais offerte à un monarque."

  Le chambellan : Mozart, vous n’êtes pas l’unique compositeur à Vienne.
  Mozart : Non, mais je suis le meilleur.

"Il y a ce qu’il faut comme notes, Majesté. Le nombre idéal. Ni plus, ni moins."

"Il est parfait tel qu’il est. Je renonce. Je ne peux pas réécrire ce qui est parfait."

"Bien sûr, c’est le meilleur opéra qu’on ait jamais composé. Je le sais."

Identification avancée : Mozart est un 7 à aile 8 de sous-type sexuel ("Imagination").

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Constance Mozart (jouée par Elizabeth Berridge), la femme de Mozart, est un 2.

Lorl (jouée par Cynthia Nixon), la servante que Salieri a placé chez Mozart pour l’espionner est un 6.

Joseph II (jouée par Jeffrey Jones), l’empereur, est un 9.

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