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Au cœur du mensonge
Analyse

René (Jacques Gamblin) : 4

À la suite, peut-être, de la blessure reçue lors de l’attentat de la rue de Rennes à Paris en 1986, René est "psychologiquement fragile", selon les mots de Germain-Roland que Viviane approuve d’un sourire. Il manifeste toutes les caractéristiques d’un 4 assez désintégré.

Il se sent affligé d’une sorte de malédiction, d’un handicap existentiel dont son boitillement physique n’est qu’une marque extérieure visible : "C’est une mauvaise idée, cette invitation. C’est une mauvaise idée de prendre des élèves et de donner des cours de dessin. Je n’ai que des mauvaises idées. Je ne réussis qu’à… Tout ce que je fais ne réussit qu’à m’enfoncer un peu plus. Il y a des gens comme ça. Moi, je suis comme ça."

Le beau et l’art sont clairement une mise en œuvre de son mécanisme de défense de sublimation. René déclame du Verlaine en servant le café : "Dis qu’as tu fais, toi que voilà, de ta jeunesse ?" Les thèmes abordés dans sa peinture changent en fonction du stress qu’il vit, mais là aussi, il est rarement satisfait de lui-même ou de la situation, même si c’est le seul domaine où il semble conscient de son talent :

  René : Merde ! C’est foutu ! On voit plus rien.
  Régis : J’aime quand tu t’énerves comme ça. Ça prouve que t’as du talent. Les mauvais, ils sont toujours contents.
  René : Si ça suffisait… Bon, c’est foutu, foutu. C’est foutu, foutu.

En dehors de sa création et de quelques rares leçons de dessin, René est extraordinairement inactif et refuse même des travaux de sa compétence, comme la restauration de peintures anciennes.

René vit la fixation du type dont Germain-Roland est très conscient : "Vous êtes jeune, vivante. Faut jamais laisser le mort saisir le vif." et "Te laisse pas dévorer par la mélancolie des autres.", dit-il à Viviane à propos de René alors qu’il essaye de la séduire. René n’arrête pas de s’interroger sur lui-même, sur sa vie, sur ses relations : "Je me pose trop de questions. Cette fois, plus que d’habitude. Nettement plus que d’habitude."

René est extrêmement émotionnel et épidermique : "Le plus terrible, c’est la façon dont il reçoit les choses. On sait jamais où on le touche. Parfois, j’hésite à ouvrir la bouche.", confie Viviane.

René peut être proche des gens, mais c’est surtout quand ils souffrent : "Dès que quelqu’un à mal tu t’identifies. Arrête !", lui dit Viviane.

Bien entendu, René ne peut pas fonctionner banalement et par exemple "ne porte plus de montre depuis la sixième." Il s’exprime aussi de manière un peu particulière :

  Frédérique : Vous êtes revenu ici directement après l’avoir accompagné.
  René : En bateau, ça roulait tout seul. Une fois accosté, il y avait tellement de brouillard, j’ai dû ramer pour rentrer.
  Frédérique : [Rire.] Vous roulez en bateau, vous ramez en marchant. Décidément, vous ne faites rien comme tout le monde.

René a le culte de l’authenticité, qu’en discussion avec Germain-Roland il appelle la vérité et que, bien entendu, il relie à sa vie imaginaire :

  René : Et ça vous intéresse tant que ça le mensonge. Moi, je préfère la vérité.
  Germain-Roland : Parce qu’elle est hors d’atteinte, mon vieux. C’est l’imagination qui fait rêver. En tant que journaliste, j’exerce mes dons d’observation et comme je suis plein d’imagination, je suis également romancier.
  René : L’imagination, c’est pas vraiment le mensonge. C’est même le contraire.

On remarquera au passage que Germain-Roland, qui décidément a bien compris le personnage, pointe le mécanisme d’attention du 4 : la vérité est fascinante parce qu’elle est inaccessible.

La relation entre René et Germain-Roland est d’ailleurs intéressante. On sent chez René un mélange de fascination, qu’on peut rapprocher de la passion d’envie du type, et de répulsion.

René ne tient debout que par l’amour qu’il porte à Viviane et le soutien sans faille qu’elle lui apporte. À la fin du film, quand il lui avoue qu’il a tué Germain-Roland, il s’exprime dramatiquement en se référant à la problématique d’identité du centre émotionnel : "Je t’ai menti. Je suis quelqu’un d’autre. Bienvenue au royaume des morts."

Identification avancée : René est un 4 α à aile 5 de sous-type social ("Honte").

Viviane (Sandrine Bonnaire) : 9

Dans la vie, Viviane soutient René sans faille ; on peut même dire qu’elle le porte. Quelles que soient ses faiblesses et son incapacité à agir, elle le comprend et aimerait que les autres aussi le comprennent : "Il a été formidable, vraiment. D’un courage, d’une grâce…", "Il essaye tout le temps. C’est dur. Les gens n’achètent plus, ils n’ont plus d’argent. Plus le temps passe, plus c’est difficile.", "C’est normal après ce qui lui est arrivé." Consciente de sa faiblesse, elle cherche à le protéger :

  René : Je voudrais savoir si j’ai assez de force pour tenir le coup.
  Viviane : Trois jours, c’est long. Je resterai que deux jours.

Fusionnelle, Viviane connaît parfaitement René au point de s’exprimer parfois à sa place :

  Frédérique : [Sourire.] Excusez-moi, j’aimerais bien que votre mari réponde lui-même. [Rire.]
  René : Elle me connaît bien. Elle me sent anxieux.

Elle considère comme naturel le fait d’aider les autres :

  René : J’essaye de me rendre utile.
  Viviane : Tout le monde essaye de se rendre utile.

Mais contrairement à ce que ferait un 2, Viviane n’essaye pas de pousser René à réagir, elle l’accepte tel qu’il est. Patiemment : "C’est ce qu’on fait, on attend."

Viviane est très passive. Elle avoue volontiers son impuissance : "Moi, je peux rien faire." Elle ne réagit pas quand elle apprend que la phrase que lui a offerte Germain-Roland ("J’aime bien la discipline du sport. C’est la seule liberté qui soit douce.") n’est qu’une citation :

  René : C’est une connerie de Drieu la Rochelle.
  Viviane : Ah bon !

Elle reste tout aussi calme quand René est agressif avec elle (la scène de la pose pour le portrait) ou quand Germain-Roland fait de même :

  Germain-Roland : C’est votre jeunesse que vous ne retrouverez jamais.
  Viviane : Vous n’arrêtez pas en fait.

Certes Viviane a "besoin de légèreté en ce moment", et Germain-Roland "a plein d’histoires marrantes sur plein de gens", mais on a l’impression qu’elle se laisse emporter par sa séduction plutôt que d’avoir un désir actif. Quand elle l’a rejoint dans un hôtel et qu’elle découvre qu’il ne l’aime pas vraiment, sa réaction est peu émotionnelle et très mesurée verbalement et non-verbalement : "J’aurai dû me méfier. Je me demande ce que je fais là. […] Vous êtes un petit cynique, mais je suis très heureuse de pas m’être fait baiser."

Même quand elle monte au créneau pour défendre René, Viviane reste calme :

  Viviane : On n’a pas le droit d’accuser les gens sans preuve.
  Frédérique : Mais, chère Madame, votre mari n’est pas inculpé à ma connaissance.
  Viviane : Manquerait plus que ça.

Identification avancée : Viviane est une 9 α à aile 1 de sous-type sexuel ("Union").

Germain-Roland Desmot (Antoine de Caunes) : 7

Germain-Roland multiplie les activités :

  Régis : Je sais pas comment il se démerde. Il fait de la télé, il écrit dans les journaux, il paraît qu’il écrit même des romans maintenant, il fait du sport, il tire des gonzesses. Il m’éclate ce mec.
  René : Je partage pas ton enthousiasme. Qu’est qu’il a qui t’éclate ?
  Régis : Sa façon de vivre. Ça me plairait de vivre comme lui.

Et même au sein d’un de ses métiers, il est d’autant plus heureux qu’il peut la scinder en plusieurs tâches apparemment contradictoires :

  Olivier Barrot : Vous une chronique au Figaro, une autre dans un journal d’extrême-gauche, une troisième dans un magazine, disons, people. Est-ce que ça ne vous gêne pas ?
  Germain-Roland : Écoutez, tant que ça ne gêne pas les directeurs de rédaction [petit rire], pourquoi voudriez-vous que ça me gêne ? J’ai jamais trahi personne au chant du coq et, je vais vous dire quelque chose, je suis à l’image du monde, explosible, combustible, submersible, et ça ne m’empêche pas de croire à la dignité. Et je vais même vous dire quelque chose, Olivier, la dignité de l’homme, c’est la sincérité des passions.

Il y a dans cette tirade un mélange de cynisme, de rationalisation et d’autosatisfaction assez typique d’un 7 assez désintégré. Germain-Roland s’écoute parler et quand il n’a rien à dire, il s’approprie avec aplomb les phrases des autres :

  Germain-Roland : J’aime bien la discipline du sport. C’est la seule liberté qui soit douce.
  Viviane : Ça se discute, mais la phrase est jolie.
  Germain-Roland : Je vous la donne.
  Viviane : [Elle sourit et ne dit rien.]

On apprendra bientôt que la belle phrase et le beau cadeau sont, en fait, de Drieu la Rochelle.

Ce côté équilibriste est reconnu aussi bien par Viviane ("Il est léger. […] Il a plein d’histoires marrantes sur plein de gens.") que par René ("C’est un beau jongleur, mais il n’avale pas les couteaux qu’il lance. Il préfère les faire avaler par ses admirateurs.").

Germain-Roland est positif. Il fait des compliments aux gens : "C’est un jardin d’extraordinaire.", "Votre sauce, Viviane, est absolument miraculeuse. Vous méritez vos étoiles au Michelin." Il est optimiste : "Tôt ou tard, ça va s’arranger. Ne vous tracassez pas."

Cela n’empêche pas une dureté qu’on ne retrouverait pas chez un type plus relationnel. Par exemple, il déclare à Viviane : "C’est votre jeunesse que vous ne retrouverez jamais." Quand il apprend qu’un artiste croyait qu’il avait joué un rôle pour l’empêcher d’exposer et que cela a été un des éléments à l’origine de son suicide, il dit avec indifférence : "Pauvre vieux ! J’ai pas tant de pouvoir, hélas !" On appréciera cet "hélas" à sa juste valeur. De même, alors qu’il est train de chercher à la séduire, Germain-Roland est d’une froideur totale quand Viviane lui parle de l’attentat dont René a été victime :

  Viviane : Il a failli perdre sa jambe.
  Germain-Roland : [Glacial.] Quelle horreur ! [Petit rire.] Se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment.

Germain-Roland ne rit pas que devant la souffrance des autres. Il est le plus souvent gai :

  René : [Voyant Germain-Roland faire un bonhomme en mie de pain.] C’est l’idée que vous vous faites d’un être humain ?
  Germain-Roland : C’est juste pour m’amuser.

Distancié, il s’amuse volontiers de lui-même :

  René : Qu’est-ce qui vous fait rire ?
  Germain-Roland : Moi ! Moi, je me fais rire !

Germain-Roland s’amuse à titiller les gens :

  Germain-Roland : Sur cette histoire de violeur qui n’a pas l’air d’avancer beaucoup, vous savez que j’ai ma petite idée ?
  René : Ah oui !
  Germain-Roland : [Il prend un air mystérieux.] Oui.
  René : C’est quoi ?
  Germain-Roland : Ben, vous lirez mon papier, mon vieux. Je ne suis pas de ces journalistes qui déflorent leurs articles dans des dîners.

Germain-Roland ne tolère pas la frustration. Lui qui passe son temps à dire tout le charme qu’a la Bretagne, la première intempérie le met en fureur : "C’est pas vrai. Qu’est-ce que je me suis laissé embarquer dans ce merdier ! Connard de pays !" Il ne supporte pas non plus la souffrance : "Oh merde ! Je saigne. […] Ça pique ! Vous n’avez pas du mercurochrome plutôt ?" Mais, il prend plaisir à transformer le petit bobo en une aventure exceptionnelle : "Se cogner à un faux trompe-l’œil dans le noir, ça n’arrive pas tous les jours, hein ?"

À la différence d’un 3 auquel il pourrait superficiellement faire penser, Germain-Roland ne s’identifie pas à ses rôles sociaux ou à ses activités : "Le masque est finalement plus révélateur que le visage, et je connais des centaines de gens dont l’apparence est devenue la nature." Il est parfaitement conscient du mensonge qu’ils représentent, mensonge qu’il apprécie comme un outil de confort social ("Heureusement qu’il y a le mensonge, la vie en société serait intenable sinon.") et de manipulation ("Le mensonge le plus fructueux, c’est de faire croire à quelqu’un qui vous ment qu’on le croit."). "Vous êtes rusé.", lui dit Viviane.

Pour Germain-Roland, le mensonge se confond avec l’imagination, c’est-à-dire avec la mise en œuvre du mental :

  René : Et ça vous intéresse tant que ça le mensonge. Moi, je préfère la vérité.
  Germain-Roland : Parce qu’elle est hors d’atteinte, mon vieux. C’est l’imagination qui fait rêver. En tant que journaliste, j’exerce mes dons d’observation et comme je suis plein d’imagination, je suis également romancier.

Germain-Roland est fier de sa capacité à générer des idées et des projets : "Je fais confiance à mon imagination. Elle ne m’a jamais laissé tomber." Les idées sont préférables aux projets : "Vous parlez, vous parlez, mais rien ne suit.", dit Viviane. Néanmoins, cette planification se concrétise souvent et l’amène à faire des choses aussi peu reluisantes que séduire Viviane pour la faire parler et quand son manque de désir réel est trop flagrant, Germain-Roland utilise avec le sourire son mécanisme de défense de rationalisation.

Identification avancée : Germain-Roland est un7 α à aile 8 de sous-type sexuel ("Imagination").

Frédérique Lesage (Valéria Bruni-Tedeschi) : 6

Le commissaire Lesage a l’amour du travail bien fait que certains 6 partagent avec le 1 : "Je peux pas faire vite et bien, Monsieur. C’est ça le problème.", "Je fais mon métier, Monsieur Stern. L’important, c’est de le faire bien." Elle ne supporte guère qu’on puisse agir autrement : "Il y a une maladie qui est pire que toutes les autres, c’est la flemme." Elle, plutôt douce et timide, peut alors devenir un peu plus assertive : "Loudun, quand vous aurez fini de manger, ce sera à vous !"

Quand elle aborde les gens, Frédérique le fait à la fois avec douceur et avec un petit rire gêné. Ce rire, voisin de celui de Germain-Roland, est typique de la réaction du centre mental face aux émotions. Frédérique essaye de calmer ses interlocuteurs : "Non, rassurez-vous. Je me renseigne. J’essaye d’avancer, c’est tout." Il est difficile de ne pas voir dans cette phrase une certaine projection.

Même lorsqu’elle veut interroger un témoin, elle prend le maximum de précautions. Elle demande "comme un service" à René de venir au commissariat. Elle s’excuse deux fois en rentrant chez Viviane et lui propose : "J’aimerais bien qu’on se parle sincèrement tous les deux."

Lorsqu’il s’agit d’arrêter le coupable, Frédérique cherche encore à éviter tout esclandre : "Venez avec moi. Tranquillement. C’est la seule chose à faire. Tranquillement." Et bien évidemment, elle s’excuse auprès de sa compagne : "Je suis vraiment désolée, Anna, mais avec tout ça, il va falloir que je garde votre ami. Vous me comprenez, j’espère."

Frédérique est simple et parle facilement de ses problèmes avec Loudun qui est son subordonné : "Vous plaisantez, mais j’aimerais bien que quelqu’un m’invite à dîner de temps en temps."

Frédérique a un fonctionnement parfaitement logique : "Si c’est pendant la panne de courant… Un effet d’optique dans le noir. Faut m’expliquer." Et de temps en temps, il semble que le centre mental soit brusquement réprimé :

  Frédérique : Ça peut aussi les compliquer.
  Loudun : Vous disiez le contraire, il y a cinq minutes.
  Frédérique : En tout cas, moi je me comprends. Passion, règlement de compte, tout ça pour nous embrouiller. Moi, ça m’embrouille.
  Loudun : C’est bien une réaction de Parisienne, ça. Vous faites tous la même parano.

Frédérique passe rapidement d’un ressenti à son contraire. Elle est choquée par l’humour du médecin légiste : "Ça vous rend gai ?" Mais, elle sort ravie de la morgue :

  Loudun : Ça vous met de bonne humeur la morgue.
  Frédérique : C’est pas la morgue. C’est le légiste, j’ai jamais vu quelqu’un d’aussi léger.

On retrouve la même chose avec le juge d’instruction, assortie d’une pointe de doute : "Comme vous voulez Monsieur le Juge. [Elle raccroche le téléphone.] Quel con ! [Pause.] Peut-être qu’il a raison." C’est une attitude typique de 6 alternant entre soumission et opposition à l’autorité.

Identification avancée : Frédérique est une 6 α de sous-type conservation ("Cordialité").

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

L’Inspecteur Loudun (joué par Bernard Verley) est un 9 de sous-type conservation ("Appétit"). Il comprend le point de vue de chacun, aimerait que les autres en fassent de même, et cherche autant qu’il le peut à rassurer : "Elle vous soupçonne pas particulièrement, vous savez. Elle cherche simplement à y voir clair. Allez, vous en faites pas, on l’aura ce salaud. On l’aura.", "Faut la comprendre, elle fait son travail."

Loudun n’a aucun ressentiment de n’avoir pas été promu au poste occupé par Frédérique :

  René : Ça vous a pas trop déçu de ne pas être nommé commissaire ?
  Loudun : Oh ! À un an de la retraite… Et puis l’ancienneté chez nous… Ils ont peut-être pas voulu m’offrir une retraite de commissaire.

Loudun narcotise aux sucreries. Il grignote en permanence des gâteaux ("Loudun, quand vous aurez fini de manger, ce sera à vous !") et va même jusqu’à offrir un Nuts comme récompense et lot de consolation à Anna qui vient témoigner au commissariat.

Le médecin légiste (joué par Thomas Chabrol), dont Frédérique Lesage dit qu’elle n’a "jamais vu quelqu’un d’aussi léger", est un 7.

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