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La fille sur le pont
Analyse

Adèle (Vanessa Paradis) : 2

Adèle n’existe que dans la relation à l’autre et, caractéristique assez fréquente du 2 de sous-type sexuel désintégré, elle confond intimité et sexualité :

  Adèle : À l’époque j’avais rencontré quelqu’un. C’est pour être avec lui que j’ai arrêté mes… Que je suis partie de chez moi.
    […]
  Voix off : C’était un besoin de liberté ?
  Adèle : Ben, de liberté, je sais pas. C’était surtout pour coucher avec lui, voyez, parce que quand j’étais plus jeune, je me disais que la vie ça devait commencer le jour où on fait l’amour et qu’avant ça, on n’est rien. Alors, le premier qui a eu envie de le faire, je suis partie avec lui pour qu’on soit que tous les deux et que ma vie commence.

Cela l’amènera après ce premier homme à enchaîner un psychologue, un anesthésiste, un patron de restaurant, ses clients, un juge, un militaire dans un train, un contorsionniste, un serveur de bar, un grec en croisière, etc. À chaque fois, le mécanisme est le même : elle veut se sentir aimée et surtout, elle a besoin que l’autre ait besoin de son amour : "Il avait l’air d’être tellement amoureux que je l’aurai suivi à l’autre bout du monde." Et ce besoin de l’autre n’a pas à être exprimé avec force :

  Gabor : Qu’est-ce qu’il y a ? Il vous plaît ? Si vous voulez faire connaissance, les chiottes sont sur votre droite.
  Adèle : Il me sourit. Je suis polie.
  Gabor : Ah ! Mais j’ai bien peur qu’avec vous la politesse finisse toujours au fin fond d’un plumard.

La scène du train est intéressante à cet égard. Elle fait l’amour dans les toilettes d’un wagon avec un militaire rencontré au bar et elle s’explique ainsi à Gabor : "J’avais besoin… J’avais envie que quelqu’un me prenne dans ses bras, j’avais besoin d’un petit peu de douceur et bon, je me suis peut-être un peu emballée, j’ai pas réfléchi." En termes d’Ennéagramme, on admirera cette tentative d’exprimer un besoin, interrompue et transformée en une envie. En fait, Adèle sait bien que son désir n’était qu’un écho de celui du militaire puisqu’elle précise : "J’ai pas encore l’habitude de dire non."

Plus l’autre est ou fait semblant d’être dans la souffrance, plus Adèle réagit vite. C’est pour cela qu’elle va suivre Gabor. Elle perçoit sa blessure émotionnelle et malgré sa peur, elle le suit dès qu’il lui dit "Faites-moi confiance, s’il vous plaît." Et que peut-elle donner de plus que, potentiellement, sa vie ? C’est pourquoi elle assimile le lancer de couteaux à l’acte d’amour.

La compulsion du 2 est de ne pas reconnaître ses besoins, mais elle ne l’empêche pas d’avoir des besoins et de vouloir qu’ils soient satisfaits. Adèle quitte donc Gabor pour un passager grec du bateau de croisière sur lequel ils font leur numéro. Le grec a le double avantage d’être dépressif et de lui donner un minimum d’attention : "Il n’y en a jamais aucun qui m’a regardé comme lui. Il n’y en a jamais aucun qui m’a demandé si je préférais le côté droit ou gauche du lit, si j’avais froid, si j’avais chaud, si j’avais faim ou si j’avais soif."

Traitée ainsi par les hommes, Adèle n’a pas eu une vie très plaisante : "Vous savez le papier collant qui attire les mouches, en spirale ? Ben, c’est moi craché. Les histoires moches, il n’y en a pas une qui me passe à côté. Faut croire qu’il y a des gens comme ça qui font aspirateur pour soulager un peu les autres. Je tombe jamais sur le bon numéro. Tout ce que j’essaie, ça rate, tout ce que je touche, ça se transforme en vacherie. […] Peut-être que j’ai jamais mérité mieux. […] Tout ce qu’on m’a promis, j’y ai toujours cru." On admirera dans cette tirade comment elle transforme sa malchance en un moyen d’aider les autres !

Pourtant, cette "poisse" ne la rend ni "heureuse, ni même vraiment malheureuse". Le long plan du début du film nous la montre racontant sa vie sans la dramatisation émotionnelle que mettrait par exemple un 4.

N’exprimant pas ses besoins, Adèle est en fait assez passive, hors du domaine de la séduction. De temps en temps, les 2 ne supportent plus cette situation, et Adèle reproche avec colère (la seule du film) à Gabor son "genre proviseur à la con à toujours juger les gens, à dire ce qu’il faut faire ou pas faire, c’est bien, c’est mal, tenez-vous droit, levez le menton, mettez-vous là."

Identification avancée : Adèle est une 2 α de sous-type sexuel ("Séduction agressive").

Gabor (Daniel Auteuil) : 5

Dès son apparition à l’écran, Gabor se manifeste par sa préférence pour le centre mental et par l’humour sarcastique qui peut le caractériser : "Ben évidemment c’est glacé. Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’ils la chauffent ?", dit-il à propos de la Seine où Adèle veut se jeter. Et il continue sans interruption : "Passé la quarantaine, le lancer de couteaux devient aléatoire. C’est pour ça que je recrute sur les ponts, j’aime bien rendre service." Puis :

  Adèle : J’ai le label catastrophe. Ça s’en va pas.
  Gabor : Qu’est-ce que vous croyez ? Que ça va partir à l’eau ?

Puis encore avec les pompiers qui les ont sortis de l’eau :

  Pompier : Vous êtes de la famille ?
  Gabor : Oui, je suis sa mère.

Quand Adèle saute à l’eau, la première réaction de Gabor, avant de chercher à la repêcher, est de s’indigner de ses faibles capacités mentales : "Vous seriez pas un peu con par hasard ?"

Même quand il se met en colère, Gabor invoque la capacité de son interlocuteur à raisonner. Quand l’employé de l’hôtel lui demande une empreinte de carte de crédit pour assurer le paiement de la chambre, il explose : "Mais, sérieusement, sérieusement, vous me voyez partir par la fenêtre avec tout ça ?"

Gabor a une bonne capacité d’action : "La chance ! La chance ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que ça s’attrape comme ça en regardant en l’air, comme la grippe ? Mais, il faut y croire, il faut la vouloir, il faut se bouger le cul, il faut aller la chercher, la chance, bordel de chiottes." Malgré cela et bien que son métier puisse sembler très instinctif et qu’il soit un ancien athlète, Gabor affirme la prééminence du mental : "Méfiez-vous des sportifs. Les trois-quarts sont demeurés et presque tous ont une bite de moustique. Vous seriez déçue."

La passion du 5 est l’avarice. Chez Gabor, elle se manifeste quelques fois au sens ordinaire du mot, par exemple sur le pont quand Adèle s’apprête à sauter :

  Gabor : Vous savez ce que je vois surtout ? Je vois qu’il va y avoir gaspillage, et ça, je supporte pas.
  Adèle : Mais quel gaspillage ?
  Gabor : Vous ! On jette pas une ampoule quand elle éclaire encore.

ou plus tard quand Adèle va jouer au Casino :

  Adèle : On fait comment ? Moitié-moitié ?
  Gabor : Frais d’hôtels déduits.

L’avarice se manifeste aussi par le fait que Gabor ne dit jamais à Adèle quelle va être la teneur de leur numéro. Elle l’apprend généralement par la bande et cherche à vérifier auprès de lui :

  Adèle : La roue de quoi ?
  Gabor : De la mort. C’est une petite variante. En croisière, les gens s’emmerdent. Ils ont besoin de mouvement. Voilà. Allons-y.

Bien évidemment, elle se manifeste encore plus avec la fixation de détachement par l’incapacité de Gabor à vivre, exprimer et partager des émotions. Quand les gens l’applaudissent à la fin de son numéro, il ne salue, ni ne sourit. Adèle relève ce manque profond de gaieté : "Ça vous arracherait la chique de sourire de temps en temps ?"

C’est surtout avec elle que cette incapacité émotionnelle est flagrante. Elle est un des thèmes centraux du film. Dès qu’il y a risque en ce domaine, Gabor repousse Adèle : "Je peux avoir un peu d’intimité deux secondes. On n’est pas obligé de s’entasser." Dans la voiture qui les mène en Italie, Adèle essaye indirectement d’obtenir qu’il s’exprime :

  Adèle : La chance cela doit être autre chose que gagner une voiture, au casino. […]
  Gabor : Ben évidemment.
  Adèle : Il y a quoi alors ?
  Gabor : Ben, je sais pas moi ce qu’y a.

Sa difficulté émotionnelle se manifeste aussi avec éclat lors de leur séparation sur le bateau quand Adèle n’attend qu’une chose, qu’il la retienne :

  Adèle : Il n’y en a jamais aucun qui m’a regardé comme lui. Il n’y en a jamais aucun qui m’a demandé si je préférais le côté droit ou gauche du lit, si j’avais froid, si j’avais chaud, si j’avais faim ou si j’avais soif. À part vous, peut-être. Dans vos bons jours.
  Gabor : Non, non. Moi, je vous ai jamais demandé si vous préfériez le côté gauche ou droit. [Il se détourne.]
  Adèle : Gauche. Vous et puis lui, il y a à peu près que ça qui m’est arrivé de bien dans la vie. Voyez, ça fait pas lourd, hein ? De toute façon, vous et moi, on va pas faire notre vie ensemble.
  Gabor : [Il se retourne vers elle, la regarde longuement, ne dit rien.]
  Adèle : On fait comment ? On se serre la main ? On s’embrasse ?
  Gabor : On s’oublie.
  Adèle : Je vous promets rien.

En bon 5, Gabor montre son attachement par quelques gestes. Par exemple, sur le pont du bateau où elle a froid, il met sa veste sur les épaules d’Adèle et cela suffit à la rendre heureuse. Plus encore, il pense à elle en son absence et la relation télépathique que le film montre entre eux est certes un symbole de leur amour fou, mais aussi de leur incapacité à exprimer leurs besoins émotionnels.

Comme Adèle, Gabor voit dans le lancer de couteaux une relation sexuelle, et il est fascinant, en dehors de ce que cela peut comporter comme sadisme, de prendre conscience que c’est une relation sexuelle sans contact.

Identification avancée : Gabor est un 5 μ de sous-type sexuel ("Confidence").

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