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Raison et sentiments
Analyse

Marianne Dashwood (Kate Winslet) : 4

Marianne a le culte de l’authenticité émotionnelle : "Moi, […] je ne cache jamais rien." Elinor confirme : "Marianne juge qu’elle n’a pas à cacher ses émotions." Mais une émotion n’a de réalité que si elle est vécue avec intensité et proférée à la face du monde. Aussi, elle considère tous les gens qui l’entourent comme handicapés sur ce plan-là. C’est vrai bien évidemment d’Edward :

  Marianne : Edward est un homme fort aimable
  Mrs Dashwood : Aimable, mais…
  Marianne : Mais il lui manque quelque chose. Il est trop pondéré. Sa façon de lire hier soir !
  Mrs Dashwood : Mais Elinor n’a pas ta nature. La réserve qu’il affiche lui convient.
  Marianne : Peut-il l’aimer ? L’âme peut-elle vraiment se satisfaire de cette politesse dans l’affection ? Car aimer c’est hurler, s’enflammer comme Juliette, ou Guenièvre, ou Héloïse.
  Mrs Dashwood : Elles ont pourtant fait une bien triste fin, chérie.
  Marianne : Une bien triste fin ? Mourir par amour ? Non, c’est vous qui dites ça. Y a-t-il fin plus admirable ?
  Mrs Dashwood : Je crois tout de même que ton romantisme t’emporte plus loin qu’il ne faudrait.

Mais Marianne est encore plus choquée de la réserve de sa sœur Elinor :

  Marianne : Est-ce que tu l’aimes ?
  Elinor : Je ne songe pas à nier que j’ai de lui une très haute opinion, que j’ai pour lui une très grande estime. Je confesse qu’il me plaît.
  Marianne : Tu estimes cet homme ! Il te plaît ! Je ne veux plus de ces mots insipides ! Sinon je quitte cette pièce sur-le-champ.

Elle est incapable de comprendre la distinction entre vivre des émotions et les exprimer et elle accuse en conséquence Elinor de sécheresse émotionnelle ("Aurais-je des sentiments superficiels que je saurais peut-être mieux les dissimuler comme toi.") ou de manque de confiance :

  Elinor : Marianne, je t’en prie, parle-moi.
  Marianne : Ne me pose surtout pas de question.
  Elinor : Tu n’as donc aucune confiance en moi.
  Marianne : Toi ! Me faire ce reproche ! Toi qui n’as confiance en personne.
  Elinor : Mais je n’ai rien à dire.
  Marianne : Ni moi. Nous n’avons rien à dire, ni l’une, ni l’autre, moi parce que je ne cache jamais rien et toi parce que tu ne diras jamais rien.

Cela l’empêche complètement de comprendre la force du chagrin d’Elinor séparée d’Edward et elle est stupéfaite quand sa sœur la lui avoue :

  Marianne : Elinor, où est ton cœur ?
  Elinor : Que sais-tu de mon cœur ? Que sais-tu de ce qui n’est pas ta propre souffrance ? Des semaines, Marianne, il m’a fallu vivre avec ce poids sans avoir la liberté d’en parler à personne de mon entourage. […] Tu peux croire, Marianne, si je n’avais pas été tenu au silence, j’aurais pu donner la preuve que mon cœur était brisé, même à tes propres yeux.
  Marianne : [Les larmes aux yeux.] Elinor.

L’art est bien entendu un moyen d’exalter les émotions, que ce soit le piano où elle joue des "pièces mélancoliques" (notamment le morceau préféré de son père qui vient de mourir) ou les sonnets de Shakespeare qui la transporte.

Mais les émotions peuvent laisser un peu de place au souci d’image :

  Marianne : Qu’importe un rhume quand un tel homme existe dans le monde !
  Elinor : Cela t’importera quand ton nez doublera de volume.
  Marianne : Tu as raison.

Plongée dans son imaginaire, Marianne le distingue mal de la réalité. C’est ainsi qu’elle se laisse prendre au jeu de John Willoughby, certes amoureux d’elle, mais qui ne s’est jamais déclaré.

Marianne n’apprécie guère l’humour de Mrs Jennings :

  Mrs Jennings : Vous chanterez dans votre clé préférée qui commence aussi par un F. En Fa majeur. Ah ! Ah ! Ah !
  Marianne : [Elle lève ostensiblement les yeux au ciel.]

Identification avancée : Marianne est un 4 α de sous-type conservation ("Intrépidité").

Elinor Dashwood (Emma Thompson) : 6

Le personnage d’Elinor est plus difficile à cerner. Peut-être parce qu’Emma Thompson, l’actrice qui interprète le rôle, est aussi la scénariste du film, Elinor ne manifeste quasiment pas les passions et fixations des types de l’Ennéagramme. L’aspect le plus caractéristique du personnage est son sens du devoir et il est possible d’en affecter les traits tant au type 1 qu’au type 6. Ce qui permet toutefois de retenir l’ennéatype 6 est qu’Elinor en manifeste tous les sous-types, alors qu’elle ne montre pas ceux du 1.

Dès le décès de son père, alors que sa mère et sa sœur se laissent aller au désespoir, Elinor entend rester raisonnable : "Réfléchissez Maman." Elle prend les choses en main : elle prévient les domestiques qu’ils ne pourront pas les garder, elle organise la maison pour recevoir son frère et Fanny, elle cherche une nouvelle habitation, elle gère le budget ("Il n’y a rien au-dessous de dix pence. Il nous faut vraiment économiser.")… Chaleureuse, elle pense à offrir un petit cadeau aux domestiques avant de partir.

Sur le plan émotionnel, Elinor est sur la réserve, même avec ses intimes :

  Marianne : Est-ce que tu l’aimes ?
  Elinor : Je ne songe pas à nier que j’ai de lui une très haute opinion, que j’ai pour lui une très grande estime. Je confesse qu’il me plaît.
  Marianne : Tu estimes cet homme ! Il te plaît ! Je ne veux plus de ces mots insipides ! Sinon je quitte cette pièce sur-le-champ.
  Elinor : Eh bien, pardonne-moi. Pense que mes sentiments sont plus profonds que je ne l’ai déclaré, mais je t’interdis d’en penser plus qu’il ne convient.

Marianne, notamment, voit dans cette attitude un manque de confiance : "Toi qui n’as confiance en personne." En fait, pour l’amour comme pour le chagrin, c’est la réflexion qui prime :

  Mrs Dashwood : Ton cœur doit bien te guider.
  Elinor : Dans une telle situation, Maman, il est préférable d’écouter la raison.

On ne sait pas très bien jusqu’à quel point cette attitude est un choix fondé sur des valeurs personnelles ou sur les règles sociales qu’Elinor invoque à tout bout de champ, avec Marianne :

  Marianne : S’il y avait quelque réelle inconvenance dans mon comportement, je suis persuadée que j’en aurai conscience.
  Elinor : Mais ta conduite t’a exposée à des remarques très impertinentes dans le monde. Ne commences-tu pas à douter de ta propre discrétion ?

Ou avec le colonel Christopher Brandon :

  Elinor : Marianne juge qu’elle n’a pas à cacher ses émotions. En fait sa propension au romantisme a fâcheusement tendance à réduire les bonnes manières à néant.
  Christopher : Elle est totalement spontanée.
  Elinor : Un peu trop spontanée à mon avis. Plus vite elle apprendra à bien se tenir dans le monde, mieux ce sera.

Faire ce qu’il faut et avoir le sens de l’honneur sont des vertus cardinales dont on doit tirer satisfaction :

  Elinor : Veux-tu qu’il la traite de façon plus vile que Willoughby t’a traitée ?
  Marianne : Non, mais je ne veux pas non plus qu’il épouse sans amour.
  Elinor : Edward a donné sa foi il y a longtemps. À l’époque, il ne me connaissait même pas. Il se peut qu’il abrite quelque regret. Cependant je crois qu’il trouvera le bonheur en sachant qu’il a fait son devoir et tenu sa parole. Après tout, il y a du merveilleux dans l’idée que notre bonheur dépend entièrement d’une seule personne. Ce n’est pas toujours possible. Il faut l’accepter. Edward va épouser Lucie et nous rejoindrons notre mère.
  Marianne : Toujours cette résignation, cette acceptation. Toujours cette prudence. L’honneur ! Le devoir ! Elinor, où est ton cœur ?
  Elinor : Que sais-tu de mon cœur ? Que sais-tu de ce qui n’est pas ta propre souffrance ? Des semaines, Marianne, il m’a fallu vivre avec ce poids sans avoir la liberté d’en parler à personne de mon entourage. […] Tu peux croire, Marianne, si je n’avais pas été tenu au silence, j’aurais pu donner la preuve que mon cœur était brisé, même à tes propres yeux.
  Marianne : [Les larmes aux yeux] Elinor.

Ainsi, Elinor va jusqu’à aider au mariage d’Edward et de Lucy en transmettant à Edward l’offre du colonel Brandon de lui offrir une cure sur ses terres et dans la foulée, elle lui donne sa bénédiction :

  Edward : Votre amitié est celle qui a eu le plus d’importance dans toute ma vie.
  Elinor : Vous l’avez à jamais.
  Edward : Pardonnez-moi.
  Elinor : Monsieur Ferrars, vous honorez vos promesses. Ceci est de plus d’importance que tout le reste. Je vous souhaite à tous deux beaucoup de bonheur.

La seule fois où Elinor manifeste la fixation du 6, le doute et la suspicion, c’est lors du départ de John Willoughby : "Il y avait comme de la sournoiserie dans sa façon de prendre congé."

Elinor apprécie et partage l’humour d’Edward ("La piraterie est notre seule option !").

Elle a peur de la solitude : "Marianne, je t’en prie, fais un effort. Je ne peux pas vivre sans toi. J’ai tout fait pour supporter le reste. […] Bien aimée Marianne, ne me laisse pas seule."

Identification avancée : Elinor est une 6 μ de sous-type conservation ("Cordialité").

Edward Ferrars (Hugh Grant) : 9

Edward aspire vraiment à une seule chose, la paix : "Tout ce que je désire et que je désire depuis toujours, c’est mener une vie tranquille, mais ma mère veut absolument que je me distingue. […] Je déteste Londres. On n’y a pas la paix. La vie au presbytère est mon idéal. Une petite paroisse où je pourrais faire quelque bien, élever de la volaille et prononcer des homélies fort courtes."

Il est prêt à tout lui sacrifier, même l’amour d’Elinor. Il cède aux injonctions de sa mère et obéit aux ordres de sa sœur, renonçant même à expliquer à Elinor son engagement envers Lucie :

  Fanny : Maman exige que tu partes immédiatement.
  Edward : [Il se tourne vers Elinor.] Excusez-moi. [Il s’en va sans ajouter un mot.]

Quand il va rendre visite à Elinor à Londres et qu’il trouve Lucie chez elle, il sent un conflit possible et s’enfuit en quelques minutes.

En bon 9, Edward ne veut pas déranger : il occupe la chambre d’invité plutôt que celle que Fanny a fait préparer pour lui. Il comprend facilement les gens. Il cherche à amadouer Fanny : "Ma chère Fanny, elles viennent de perdre leur père. Leur vie ne sera jamais plus la même." Il excuse Margaret de son silence : "C’est bien naturel. Moi aussi, je trouve les inconnus intimidants et je n’ai pas les excuses qu’elle a." Il comprend intuitivement comment la faire sortir de sa cachette sous la table de la bibliothèque :

  Edward : Je voudrais savoir où coule le Nil. Ma sœur le tient pour un fleuve sud-américain.
  Margaret : [Méprisante.] Pfft !
  Elinor : Non ! Non, elle n’y est pas du tout. Mon sentiment est qu’il coule… Euh… En Belgique.
  Edward : En Belgique ? Sûrement pas, je crois que vous devez confondre avec la Volga.
  Margaret : [Indignée.] La Volga ?!
  Elinor : Oui bien sûr, la Volga qui, vous le savez, prend sa source en…
  Edward : À Vladivostok et se jette…
  Elinor : À Wimbledon.
  Edward : Précisément, d’où viennent les grains de café.
  Margaret : [Trop, c’est trop. Elle surgit de sous la table.] La source du Nil se trouve en Abyssinie.
  Edward : Ah oui ? Très intéressant. [Il se présente.] Edward Ferrars.
  Margaret : Margaret Dashwood
  Edward : Ravi de faire votre connaissance.

Lisant des poèmes à la demande de Marianne, Edward est incapable d’y mettre la vie et l’émotion qu’elle souhaite : "Ne sentez-vous pas comme il est désespéré ? Reprenez !"

Identification avancée : Edward est un 9 μ à aile 1 de sous-type social ("Participation périphérique").

Mrs Jennings (Elizabeth Spriggs) : 7

Mrs Jennings, la belle-mère de Sir John Middleton qui vit "sans cérémonie" avec lui à Barton Park, passe son temps à rire. Elle a le goût typique du 7 de jouer avec les mots et les rimes : "De quel genre d’homme s’agit-il ? Soldat de bois, soldat de plomb, marchand de marrons." Dès qu’elle sait qu’Elinor est amoureuse d’un homme dont le nom commence par F, elle en fait un interminable sujet de plaisanteries et de taquineries : "Vous chanterez dans votre clé préférée qui commence aussi par un F. En Fa majeur. Ah ! Ah ! Ah !"

Avide d’informations sur les gens ("Comme chien d’arrêt vous battez ma Flossie." lui dit Sir John), elle a toujours un plan pour les aider à profiter de la vie et à s’aimer : "Je crois que je vais tenter une petite expérience. C’est la chose à faire. Tous les soupirants ont besoin d’un petit coup de pouce." L’idée mirobolante est inefficace, qu’importe une autre viendra vite :

  Mrs Jennings : Pendant toutes vos messes basses, Charlotte et moi avons concocté un plan.
  Charlotte : Oui, le meilleur plan qui soit au monde.

Son intérêt pour les autres ne va pas jusqu’à supporter longuement leurs problèmes. Quand le colonel Brandon est obligé de quitter le pique-nique qu’il a organisé, laissant tous ses hôtes en plan, elle croit bon de lui dire : "J’espère que ce n’est rien de sérieux, Colonel." Quant au chagrin de Marianne trahie par Willoughby, il est difficile à supporter : "C’est dur de la voir avec cet air abattu." Mais au fond, il suffit de le laisser passer et peut-être de trouver un bon dérivatif : "Il faut la laisser pleurer tout son saoul et qu’on n’en parle plus ensuite. Je vais trouver quelque chose qui pourrait bien lui plaire. Serait-elle tentée par les olives ?"

Mrs Jennings a l’art de voir le bon côté des choses. Obligée de quitter le bal à cause de Marianne, elle affirme tranquillement : "Je n’ai jamais souffert d’une pareille chaleur. Quel bonheur d’être partie tôt !"

Identification avancée : Mrs Jennings est un 7 μ à aile 8 de sous-type conservation ("Clan").

Autres

D’autres personnages peuvent être étudiés à l’aide de l’Ennéagramme :

Sir John Middleton (joué par Robert Hardy) et Charlotte Palmer (jouée par Imelda Staunton) sont des 7 formant un "clan" soudé autour de l’idée de plaisir.

John Willoughby (joué par Greg Wise) et Lucie Steele (jouée par Imogen Stubbs) sont des 3, centrés sur la réussite sociale et lui sacrifiant tout.

Margaret Dashwood (jouée par Emilie François), espiègle, imaginative, logique ("Ce n’est plus mon atlas, c’est leur atlas maintenant"), intéressée par le savoir, curieuse ("Ne dites rien d’important. Attendez-moi."), à l’aise en compagnie des adultes, est un 7. Non conventionnelle, elle rêve d’aventure :

  Elinor : Margaret a toujours voulu voyager.
  Edward : Je sais. Elle… Elle va sous peu conduire une expédition en Chine. Elle m’a engagé comme serviteur à la condition expresse que je sois affreusement maltraité.
  Elinor : [Rires.] Quelles seront vos fonctions ?
  Edward : Combat à l’épée, ça va sans dire. Distribution du rhum et briquer le pont.

M. Palmer (joué par Hugh Laurie), observant tout caché derrière son journal et lançant des remarques sarcastiques à propos de l’intelligence de sa femme ("Merci de cette pertinente remarque, ma chère."), est vraisemblablement un 5.

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